RSE : tous concernés !
Fortement portée par la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), mais également initiée de façon volontaire pour perfectionner sa marque employeur, la RSE deviendra-t-elle demain un prérequis ? De nombreuses entreprises l’anticipent et entament des démarches d’amélioration autour de leurs enjeux sociaux, environnementaux, et de gouvernance. D’une contrainte entraînée par la réglementation, la RSE se révèle être une opportunité de concilier durabilité, performance et préservation de la planète. État des lieux sur ses enjeux et pratiques.
Selon une étude du Pacte mondial de l’ONU et de PwC France réalisée début 2023, 97 % des dirigeants déclarent connaître les enjeux du développement durable. Dans un contexte marqué par les risques climatiques, géopolitiques, énergétiques et sociaux, et également sous l’effet de la montée de la réglementation, la responsabilité sociale des entreprises (RSE) devient une préoccupation incontournable des organisations. En adoptant une stratégie RSE et des pratiques responsables, les entreprises, quels que soient leur taille, leur forme juridique et leur secteur d’activité, contribuent au développement durable sous toutes ses formes. Elles chercheront à générer des impacts positifs sur la société en étant économiquement viables, à créer de la valeur tout en étant vigilantes à leur écosystème et à leurs parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs et collectivité en général).
De nouveaux standards de gestion
La RSE est encadrée par la norme ISO 26000, un standard international qui se décline autour de sept thématiques fondatrices. Elles couvrent à la fois la gouvernance de l’organisation, l’environnement, les droits de l’homme ou encore les conditions de travail. En d'autres termes, elles touchent aux trois piliers de la RSE, à savoir le social, l'économie et l'environnement. « Il est important de souligner que la France est novatrice sur la question et contributive au changement, en particulier depuis la loi Pacte de 2019 qui a renforcé et modifié un article du Code civil. Celui-ci impose dorénavant à chaque société d’être gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité, précise Natacha Tréhan, maître de conférences, spécialisée en management des achats responsables à l’Université Grenoble Alpes. Nous sommes passés du paradigme de l’actionnariat au paradigme des parties prenantes. »
Les entreprises françaises en pointe sur la RSE
À cet égard, la RSE vient réinterroger la notion de rentabilité des entreprises, celle-ci n’étant plus abordée au sens strict. « Il est essentiel de considérer désormais la rentabilité comme un moyen au service de l’intérêt collectif, et non comme une fin en soi, avertit Hugues Poissonnier, professeur associé à Grenoble École de management. C’est le cas des entreprises à mission, ou de celles qui écrivent leur raison d’être. La rentabilité agit alors au service d’une performance globale, intégrant les trois paramètres du social, de l’économique et de l’environnemental », remarque-t-il. Une étude de France Stratégie datant de 2016 relevait déjà « un écart de performance économique d’environ 13 % en moyenne entre les entreprises qui mettent en place des pratiques RSE et celles qui ne le font pas ». Et sur ce sujet, la France ressort plutôt comme une bonne élève. En s’appuyant sur l'analyse de plus de 100 000 fiches d'évaluations RSE anonymisées de 62 213 entreprises, couvrant la période de 2018 à 2022, l’étude d’EcoVadis et du Médiateur des entreprises, publiée en 2023, indique que l’Hexagone se maintient dans le top 5 des pays européens les plus performants en matière d’application de la RSE.
L’accès à un niveau de maturité
Les situations de crise se multipliant – climatiques, écologiques, géopolitiques, sociales, qui pointent du doigt les vulnérabilités de l’entreprise –, la prise de conscience des enjeux de la part des dirigeants s’accélère, et l’adoption des initiatives RSE s’opère de façon visible. Principalement d’abord chez les grandes entreprises et les ETI. « Elles prennent des engagements précis pour faire évoluer leur rôle dans la société, et dans leur gouvernance, s’attachent à faire preuve de résilience face aux risques », constate Émilie Thévenet, associée au sein du cabinet BDO. En partie, parce qu’elles sont soumises à des obligations réglementaires qui se renforcent. Comme la récente directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui les contraint à passer à l’action rapidement. « La seule volonté du dirigeant n’est plus suffisante », défend Fabrice Bonnifet, président du Collège des directeurs du développement durable (C3D), qui regroupe 373 adhérents de grands groupes. En vigueur depuis le 1er janvier 2024, cette directive impose de nouvelles obligations de reporting extrafinancier aux entreprises. Elle vise à améliorer la transparence et la comparabilité des informations sur la durabilité des organisations, dans un objectif d’atteindre la neutralité carbone au niveau européen en 2050. Résultat : 96 % des grandes entreprises ont déjà réalisé un bilan carbone, contre 89 % en 2022, note le Baromètre de la RSE 2024* (1 000 entreprises de tous secteurs et de toutes tailles interrogées). Ces dernières apparaissent plus matures sur le sujet et consacrent toujours plus de moyens (98 % d’entre elles ont un budget dédié), décident de stratégies structurées et d’actions diversifiées (voir encadré). La représentation croissante de la RSE au sein des Comex, effective dans 70 % des grandes entreprises (contre 62 % en 2022), envoie également le signal que la responsabilité sociale des entreprises s’impose au cœur de la stratégie, quand elle n’est pas considérée comme une source de développement économique en tant que telle. « Il n’en demeure pas moins que certaines mènent encore une politique de petits pas », concède Émilie Thévenet. « Avec des actions qui ne vont pas assez vite face à l’urgence du changement », constate aussi Fabrice Bonnifet.
*Baromètre réalisé auprès de 940 entreprises à l’initiative de 13 organismes : 1% for the planet, C3D, EcoVadis, France Digital, Kantar, Observatoire de la QVT, Sami, Utopies, Impact at Work, Haatch, B Lab France, 2 Tonnes, Vendredi.
Le déclic des PME
Les TPE et PME ne sont pas en reste. D’abord sous l’impulsion de dirigeants précurseurs et militants, ensuite sous la pression de leurs donneurs d’ordre. Ceux-ci présentent notamment des cahiers des charges ou des appels d’offres de plus en plus nourris sur les critères de la RSE. Si certaines PME « se trouvent encore parfois loin du concept », note l’experte de BDO, la situation évolue rapidement. Le Baromètre souligne que 62 % des PME répondantes ont mesuré leurs émissions carbone en 2024 (contre 40 % deux ans plus tôt). Elles disposent généralement d’une équipe dédiée, mènent des actions RSE ponctuelles avec des démarches en structuration, et surtout ont une volonté d’agir sur une diversité de sujets. Au niveau des TPE, peu ou pas de ressources dédiées en revanche, mais la réponse à l’urgence sociale et environnementale est la motivation principale à la mise en place d’actions RSE. La thématique de l’environnement émerge d’ailleurs comme l’enjeu majeur chez toutes les entreprises confondues. Avec le début d'un véritable changement de mentalité et une progression continue des pratiques d'année en année, les transitions au sein des petites et moyennes entreprises se confirment. Si les TPE et PME ne sont pas soumises au cadre réglementaire (à quelques exceptions près), la RSE devient par ricochet un impondérable dans leurs activités. Les grandes entreprises, tenues de respecter la CSRD, imposent à leurs partenaires de se conformer aux obligations RSE. Ces derniers s’adaptent afin de préserver leurs marchés et maintenir les relations commerciales. Engager la transition devient un moyen de différenciation, quand elle n’est pas déjà question de survie…
Vers des politiques achats plus résilientes
Du fait des pressions s’exerçant de toutes parts – critères RSE devenant obligatoires, collaborateurs souhaitant évoluer dans des entreprises à impact, investisseurs attentifs à la résilience des modèles économiques –, la responsabilité sociale des entreprises s’impose de plus en plus comme un prérequis essentiel à la pérennité des organisations. Plutôt que de percevoir la démarche comme une contrainte, elle doit de préférence être abordée comme « une opportunité », argumente Hugues Poissonnier. Et pour atteindre de bons résultats, une politique RSE se doit d’intégrer des achats responsables. « Les achats représentent en moyenne 60 % du chiffre d’affaires des entreprises. Elles ne peuvent donc véritablement faire de la RSE sans achats responsables, ce qui passe nécessairement par une redéfinition de leurs besoins ». Or dans ce domaine, la marche reste élevée : 52 % des entreprises françaises mènent une politique en ce sens, contre 48 % il y a cinq ans. « À quoi bon avoir les coûts les plus bas, si vous ne vous relevez pas de forte turbulence géopolitique ou climatique », confirme Natacha Tréhan. La notion de durabilité des activités et des modèles économiques devient ainsi déterminante. « La pandémie, combinée aux risques commerciaux et sectoriels, tels que l’urgence climatique, la volatilité des coûts et l’évolution de la réglementation placent la durabilité au cœur des achats, un pilier essentiel de la résilience et de la création de valeur », précise le label EcoVadis. Ce questionnement existentiel amène plus largement les organisations à évoluer en profondeur en intégrant des modèles alternatifs, tels que l’économie circulaire.
L’économie circulaire, une voie à suivre ?
Une démarche d’économie circulaire consiste à produire des biens et des services de manière durable, en limitant la consommation et le gaspillage des ressources, en promouvant la réutilisation des produits et la réduction des déchets. L’économie circulaire prend en compte l’ensemble du cycle de vie d'un produit, de l'amont à l'aval du processus de production. Elle repose sur sept principes clés que sont l'écoconception, l’écologie industrielle, l'économie de la fonctionnalité, le réemploi, la réutilisation, la réparation et le recyclage. Natacha Tréhan affirme que c'est la seule manière d'atteindre des changements d’envergure. « L'économie circulaire peut être adaptée à toutes les entreprises et produire des impacts aux niveaux social, économique et environnemental. » En adoptant ce modèle, le groupe SNCF Réseau a valorisé des produits en fin de vie (dont les rails), qui ont généré en 2022, 67,9 M€ de recettes nouvelles. « Le modèle linéaire n’est plus adapté, les entreprises doivent muter vers une économie permacirculaire, soit une approche fondée sur l’écoconception qui tient compte des limites planétaires, insiste pour sa part Fabrice Bonnifet. La méthode est peut-être offensive et révolutionne les façons de faire. Mais il faut mettre fin à l'illusion d'une économie sans limites. »
La sensibilisation demeure un préalable aux changements, et de nombreuses initiatives y participent, dont la Convention des entreprises pour le climat, à laquelle 145 entreprises de la région ont pu participer en 2023 (1 000 au niveau national, engageant 750 000 collaborateurs). En plaçant la RSE au cœur de leur (nouveau) modèle économique, en mobilisant toutes les parties prenantes et en adoptant une approche proactive et transparente, les entreprises pourront atteindre des objectifs plus responsables, améliorer leur performance et leur attractivité. À travers des propositions concrètes et mobilisatrices, elles contribueront alors positivement au développement durable et donc à la préservation de la planète. « L’avenir appartiendra aux entreprises les plus efficientes, durables et résilientes », termine Natacha Tréhan.
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