Immobilier : après le dynamisme, l’incertitude…
2021 est à marquer d’une pierre blanche pour l’immobilier. Jamais la filière n’aura connu une année aussi faste. Sur le plan national ou en Isère, la situation a été particulièrement dynamique, spécialement pour les biens bénéficiant d’un extérieur. Mais si les signaux étaient au vert, 2022 pourrait bien marquer un retournement de marché. Le manque de biens neufs et anciens, des prix qui ne cessent de grimper, ainsi qu’un contexte géopolitique incertain font craindre des lendemains plus compliqués.
L’année 2021 aura été incontestablement exceptionnelle pour les professionnels de l’immobilier en France : le record de 1,2 million de transactions dans l’ancien a été enregistré, soit une hausse de 17,5 % par rapport à 2020. Un volume important qui dépasse largement la période d’avant Covid où les ventes s’établissaient à 970 000 transactions. Du jamais vu, soulignent unanimement les professionnels. L’Isère n’échappe pas à la règle. « Nous étions déjà dans une tendance haussière en 2020, mais l’an dernier, tout s’est accéléré tant sur le volume des ventes que sur l’augmentation des prix, confirme Aurélie Bouvier, notaire à Meylan. En 2021, le marché de l’immobilier a été soutenu par des taux d’intérêt bas et par le souhait des acheteurs de sécuriser leur avenir dans la pierre. L’immobilier reste une valeur refuge. »
L’attractivité des maisons
Les zones les plus concernées par cette accélération de la demande demeurent les villes moyennes, un peu moins les grands centres urbains, car les futurs acquéreurs veulent désormais télétravailler et souhaitent disposer d’un espace extérieur, tout en restant proches des centres d’attractivité. Des critères que la crise sanitaire a mis en évidence et qui se confirment encore aujourd’hui. Dès lors, les maisons atteignent des niveaux record. Le prix médian au mètre carré s’élève à 6,4 % sur un an, selon l’Observatoire 2021 de l’immobilier des notaires de l’Isère. Des secteurs explosent littéralement, comme sur les communes de Coublevie dans le Voironnais, dont le prix moyen des maisons a progressé de 15 %, ou encore de 16,5 % à Villard-Bonnot. « Des biens se vendent même à plus d’un million d’euros autour de Bourgoin-Jallieu, je n’ai jamais vu cela en plus de 30 ans de métier, remarque Jean-Paul Girard, président de la Fédération française de l’immobilier en Isère. Depuis le Covid et un changement profond des habitudes, les gens préfèrent désormais acheter une maison à plus de 500 000 euros qu’un appartement haussmannien de 200 m² dans le centre-ville de Grenoble. »
Grenoble en hausse aussi
Selon l’Observatoire, la hausse se poursuit pourtant dans la capitale iséroise, avec un prix médian des appartements en augmentation de 4,3 % (+ 5,9 % dans tout le département). Cependant, ce sont plutôt des quartiers autour de l’hypercentre qui progressent davantage, car ils sont plus abordables : Les Alliés (+ 10,7 %), Bajatière-Patinoire (+ 8,7 %), les Eaux claires (+ 6,9 %), contre une baisse de 3,3 % pour l’Île Verte qui avait très fortement progressé en 2020. « Si l’on ajoute à l’augmentation des prix un nombre de transactions en progression de 10 %, l’attractivité de l’immobilier sur Grenoble se confirme en 2021 », indique l’étude. Mais derrière l’euphorie, plusieurs signaux faibles ont commencé à émerger en fin d’année dernière, qui se sont confirmés depuis.
Des causes multiples
Premier fait notable : le manque de biens à vendre (dans l’ancien comme dans le neuf) par rapport à la demande, ce qui tend très fortement le marché. À cela se greffent un attentisme grandissant, et la volonté de remettre des projets d’achats au lendemain à cause des crises sanitaire et géopolitique. Un contexte ayant aussi pour conséquence la hausse et/ou la pénurie des matières premières pour la construction de logements, déjà affectée par une baisse des volumes de biens mis en chantier. Enfin, si les taux bancaires restent à des niveaux toujours bas, depuis le début d’année, ils subissent une légère remontée, ce qui pourrait freiner les décisions d’achat pour les primo-accédants et les investisseurs. Avec ces multiples facteurs, les mois à venir invitent les professionnels à plus de prudence. Quand certains ne cachent plus leur inquiétude.
La fin des taux d’intérêt bas ?
Loin d’atteindre les 9 % du début des années 1990, le taux d’intérêt immobilier moyen est encore relativement faible, à 1,17 % en avril, selon la Banque de France, pour un crédit immobilier à long terme à taux fixe. Toutefois, en quelques mois, le taux moyen a connu une progression notable, puisqu’en décembre il s’établissait au niveau historiquement bas de 1,06 %. « Cette remontée est à nuancer. Il faut plutôt noter que les taux arrêtent de baisser, et qu’ils se situent nettement en dessous des 3,5 points de l’inflation », précise Olivier Danès, directeur départemental de la Banque de France. Difficile de s’avancer sur l’évolution des taux dans les mois à venir, tant la politique de la Banque centrale européenne doit faire face à des injonctions contradictoires : lutter contre l’inflation sans compromettre le niveau d’activité économique. En tout cas, le marché immobilier s’inscrit dans une période charnière. « Tant que nous aurons ce taux moyen dans la période inflationniste actuelle, nous n’avons pas de raison de nous inquiéter, rassure Jean-Paul Girard. Mais l’accès au logement est rendu moins aisé pour les catégories socio-professionnelles qui ont des dossiers bancaires plus complexes à monter. » « Notamment pour les primo-accédants, poursuit Aurélie Bouvier. Les conditions d’octroi des crédits se durcissent, en particulier sur l’appréciation des taux d’endettement. D’autant que les prix de l’immobilier ne diminuent pas. C’est l’effet ciseau. » Le directeur de la Banque de France confirme le phénomène, mais encore une fois nuance : « Tout relèvement des taux a un impact pour les primo-accédants, puisque même une faible augmentation a pour effet d’élever les mensualités du prêt. Mais cela ne devrait pas les faire sortir du marché. » A contrario, Olivier Danès souligne « qu’une personne recherchant un logement doit se décider rapidement, en anticipant une prochaine hausse de taux. Ce serait donc plutôt l’effet inverse ». « Cette situation a donc imposé aux acquéreurs une réactivité pour leur prise de décision », constatent les notaires de l’Isère. Encore faut-il pouvoir trouver des biens accessibles, correspondant aux attentes des particuliers. Et c’est bien la raison pour laquelle le secteur connaît un tassement des demandes.
Un manque de produits criant
« En volume de transactions, le premier trimestre 2022 accuse une baisse de 17 % environ », souligne Jean-Paul Girard. Pour le président de la Fnaim 38, ce recul s’explique – en partie – par « un manque de produits neufs, du fait malheureusement de politiques logement insuffisamment performantes. Nous en avons pourtant besoin ». Si la commercialisation de logements neufs en Isère est plutôt stable, avec en 2021 plus de 2 400 biens vendus, les professionnels estiment qu’il faudrait aller plus loin pour répondre à la demande d’une population qui augmente et souhaite se loger. « Nous constatons une baisse des permis de construire décernés, car nous sommes face à des maires bâtisseurs, et à d’autres qui ne le sont pas. L’État ne devrait-il pas reprendre la main sur ce sujet ? », lance Vincent Davy. Pour le président de la Fédération des promoteurs immobiliers Alpes, cette situation est criante depuis les dernières élections municipales. « Nous sommes beaucoup plus dans la concertation que dans l’avancée de projets concrets. Mais si le dialogue doit se renforcer entre toutes les parties prenantes, il doit rester constructif », prévient-il. Pour Jean-Paul Girard, des solutions doivent être engagées « pour que les prix de l’immobilier n’atteignent pas des sommets ». Et de les détailler : « Simplifier la construction pour les promoteurs, sensibiliser les politiques à la construction, réviser les PLU et les SCoT. Et réfléchir à l’habitat de demain. »
Contexte géopolitique
La crise en Ukraine est également venue jouer les trouble-fête, en impactant directement les programmes immobiliers, avec notamment l’envolée du coût des matériaux, voire la pénurie totale de certains d’entre eux. « Les difficultés d’approvisionnement entraînent des retards de livraison, sans rupture franche pour autant. Toutefois, lorsque nous interrogeons les professionnels du BTP, la crainte est réelle de ne pas regarnir les carnets de commandes en raison d’un attentisme des promoteurs immobiliers. Ils redoutent que des projets soient à l’arrêt, faute de rentabilité », prévient Oliver Dantès. Ce qui est déjà parfois le cas, confirme d’ailleurs Vincent Davy. « Des promoteurs ont mis leurs opérations à l’arrêt, en attendant des jours meilleurs. D’ici la fin de l’année, les prix de vente des biens à commercialiser pourraient être impactés. »
Safilaf le constate de jour en jour. Le promoteur isérois, spécialisé dans le logement familial et collectif (450 logements produits par an), subit ce contexte particulier. « L’augmentation des coûts des matériaux a précédé le conflit ukrainien. Elle se constatait déjà lors de la période post-Covid, note son directeur général, Christian Gardoni. Tous les promoteurs ont ainsi déjà réduit leurs marges. Nous ne pourrons plus descendre en dessous. J’ose ainsi espérer que le nouveau gouvernement s’intéressera davantage à la question du logement et de l’habitat. » Cette situation complexe, voire inextricable, laisse de nombreuses questions en suspens. Comme à chaque crise, elle pourrait toutefois faire naître une nouvelle vision de l’immobilier. Pour le groupe aux 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, cette période permet de repenser « l’optimisation et la rationalisation » de ses programmes. « C’est plus compliqué, mais ce pas de côté peut inciter à produire des logements de manière plus vertueuse », estime Christian Gardoni. Pour permettre à une classe intermédiaire d’acheter sa résidence principale, le logement du futur pourrait ainsi faire naître de nouveaux modèles, « plus abordables et accessibles, sans pour autant prendre la forme de logements sociaux », espère Vincent Davy. Si des initiatives peuvent être apportées et mises sur la table pour répondre aux défis qui lui font face, la principale volonté de la filière est de voir « rapidement » une politique du logement engagée ! Les mois à venir pourraient être déterminants.
R. Charbonnier
Infos clés
Mise à jour des données du prix de l’immobilier en Isère
Évolution des prix médians dans l’ancien, par type de bien en 2021 vs 2020
Isère
Appartement : 2 280 euros/m², + 5,9 %
Maison : 250 000 euros, + 6,4 %
Grenoble
Appartement ancien : 2 410 euros/m², + 4,3 %
Agglomération
Appartement ancien : 3 040 euros/m² à Varces, 3 000 euros/m² à Claix, 2 900 euros/m² à Seyssins (+ 10 %)
Maison : + 7,2 %
Immobilier de montagne
Appartement à l’Alpe d’Huez : 5 630 euros/m² (+ 16 %)
Appartement aux 2 Alpes : 3 960 euros/m² (+ 9 %)
Appartement à Auris : 2 710 euros/m² (+ 9 %)
Source : Observatoire de l’immobilier des notaires de l’Isère 2021
Commercialisation des logements neufs en Isère au 4e trimestre 2021
Mise en vente : 576 : +8 %
Stocks : 3 064 : –13 %
Réservations : 646 : –7 %
Prix moyen au m² : 3 644 euros : +8 %
Source : SDES-DREAL ECLN
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