Retour de l’inflation : transformer les contraintes en opportunités
Principalement alimentée par la hausse des prix des services et de l’énergie, l’inflation, longtemps très modérée, est de retour. Si nous sommes loin des taux à deux chiffres des années 1970, les hausses constatées en France de 2,2 % en septembre et de 2,6 % en octobre commencent à peser sur l’ensemble des acteurs économiques (consommateurs, créanciers ou débiteurs). Les entreprises ne sont bien sûr pas épargnées, voyant leurs marges se réduire de façon parfois substantielle, à la fois « par le bas » (avec l’augmentation des coûts) et « par le haut » (avec des impacts croissants sur la consommation). Et les chiffres observés en octobre chez nos voisins allemands (+ 4,5 %) et espagnols (+ 5,4 %) ne sont guère rassurants. À l’heure où les contraintes représentées par ces évolutions se concrétisent, il demeure possible, comme toujours, d’y voir quelques opportunités.
Du caractère transitoire de la hausse des prix
Considérée comme un « mal absolu » en économie après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux experts l’appréhendant comme l’une des origines de l’arrivée des nazis au pouvoir (je pense ici à ce que l’on a qualifié d’hyperinflation dans les années 1920 en Allemagne), l’inflation a été combattue dans la majorité des pays européens par des moyens conduisant à réduire la création monétaire (hausse des taux d’intérêt, développement des marchés financiers pour réduire le poids des crédits bancaires…). La politique de désinflation compétitive mise en œuvre dans les années 1990 en France l’était par un gouverneur de la Banque de France, Jean-Claude Trichet, qui n’hésitait pas à sacrifier l’emploi à court terme en privilégiant les gains de compétitivité issus d’une maîtrise accrue de l’inflation, ces derniers devant permettre de créer davantage d’emplois à long terme. Largement maîtrisée ces dernières années, au point de faire redouter aux économistes de possibles spirales déflationnistes au moment des crises les plus récentes (crise financière de 2008, crise économique issue de la pandémie de Covid-19), l’inflation doit s’analyser au regard de son caractère plus ou moins transitoire. Si le phénomène est avéré, il est sans doute urgent de ne rien faire. S’il devait perdurer, il appellerait des réactions souhaitables de la part des acteurs économiques. Mais c’est précisément ce jeu des prévisions qui semble compliqué. La Commission européenne table sur une réduction du rythme de l’inflation en 2022… tout en reconnaissant qu’un phénomène d’emballement reste possible. Comme souvent, c’est avec une relative incertitude que les dirigeants vont devoir composer.
Profiter de la contrainte pour faire évoluer son business model
Devant l’érosion des marges, il est difficile, risqué et donc déconseillé de ne rien faire. L’inflation devrait ancrer un peu plus fortement la tendance bienvenue pour l’environnement à consommer « moins, mais mieux ». Côté entreprise, les objectifs habituels de réduction de coûts ne sauraient être préservés sous peine de décourager des salariés (je pense notamment aux acheteurs) incapables, en raison des forces contraires, d’y répondre. Il me semble dès lors important de ne pas seulement faire évoluer la cible – une réduction des ambitions en matière de baisse des coûts –, mais plutôt d’en profiter pour changer les priorités et viser des performances plus qualitatives qui peuvent passer par une amélioration de la qualité technique, sociale ou environnementale des produits ou services. Cette amélioration justifiera plus facilement les hausses de prix permettant de restaurer les marges, des hausses de prix ainsi bien mieux admises et validées par les clients. Les impératifs économiques généralement perçus conduisent souvent à renoncer à de telles évolutions, la pratique du business as usual, vécue comme moins risquée, finissant par l’emporter. Ce sont des impératifs issus du retour de l’inflation qui offrent aujourd’hui des perspectives de transformation des organisations en quête de performances plus qualitatives.
Hugues Poissonnier, professeur à Grenoble École de Management et directeur de l’Irima
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