Objectifs climatiques : quand les actionnaires deviennent moteurs
Rentabilité, compétitivité, solvabilité, contribution au bien commun… autant de définitions, ou de dimensions de la performance des entreprises qui peuvent apparaître complémentaires ou substituables, selon la capacité des dirigeants à concilier les attentes des parties prenantes sur le long ou le court terme.
En caricaturant un peu, il est possible de considérer la rentabilité comme la vision de la performance des actionnaires, quand les clients attendent davantage le meilleur rapport qualité-prix, les préteurs se montrant attentifs à la solvabilité. La capacité des entreprises à définir d’ambitieux objectifs climatiques et à s’engager à les atteindre relève, elle, des attentes de la société dans son acception la plus large. Les parties prenantes les plus diverses n’hésitent pourtant plus à prendre le relais de ces attentes fédératrices.
Les fonds d’investissement à l’origine d’attentes nouvelles en matière d’objectifs climatiques
Bien sûr les clients, endossant un rôle de consom’acteurs, ont été les premiers à promouvoir les actions en direction de la préservation du climat. Des évolutions semblent en cours du côté des actionnaires. L’actionnariat ou l’investissement socialement responsables ne sont pas nouveaux. Mais la responsabilité environnementale des investisseurs progresse au regard des pressions émanant de certains actionnaires, notamment pour les groupes pétroliers et gaziers. Des investisseurs de plus en plus nombreux leur réclament l’arrêt des nouvelles explorations. Alors qu’elle n’avait récolté que 2,7 % des voix il y a cinq ans, la résolution climat du fond activiste Follow This a rassemblé près du tiers des actionnaires de Shell en mai dernier. Deux membres pro-climat viennent d’intégrer le conseil d’administration d’ExxonMobil sous la pression, notamment du fonds Engine No. 1. Au même moment, chez Total, plusieurs investisseurs influents ont voté contre une résolution du groupe portant sur ses engagements de réduction d’émissions de CO2, en raison de son caractère jugé insuffisamment ambitieux.
Des intérêts économiques de mieux en mieux compris
S’il ne s’agit pas d’une redéfinition de la performance des entreprises, les exemples de ce type se sont multipliés dans l’actualité récente. Ils découlent de motivations trouvant deux grandes origines. La philanthropie et la bienveillance assumées se voient renforcées par des intérêts économiques de mieux en mieux compris : s’assurer que le virage stratégique de la transition énergétique n’est pas raté et que la rentabilité, même si elle se trouve relativement sacrifiée à court terme, sera bien au rendez-vous dans quelques années. Il est logique que le secteur de l’énergie soit le théâtre privilégié de ces évolutions. Il serait tout aussi logique que ces changements gagnent d’autres secteurs dans les années qui viennent.
Vers une évolution de la gouvernance des entreprises
Le défi de la préservation du climat peut devenir l’objectif fédérateur susceptible de transcender les attentes des différentes parties prenantes. Clients, salariés, actionnaires, fournisseurs, préteurs, dirigeants – une partie de la rémunération des dirigeants de Total est d’ores et déjà conditionnée à l’atteinte d’un objectif de réduction d’au moins 30 % des émissions de CO2 du groupe en Europe d’ici 2030 – y trouveraient une occasion d’œuvrer à quelque chose de plus grand que les performances économiques et financières traditionnelles.
Hugues Poissonnier,
professeur à Grenoble École de Management et directeur de l’Irima
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