L’immobilier résiste. Jusqu’à quand ?
Dans une année bousculée par la hausse des taux d’intérêt et des audits énergétiques obligatoires, le secteur de l’immobilier grenoblois reste attractif. Néanmoins, entre baisse des crédits accordés, ralentissement des transactions et manque de constructions neuves, les entreprises et les acteurs de l’immobilier expriment leur inquiétude. Sans compter le changement de comportement des investisseurs et des candidats à l’acquisition… Dans un paysage transformé, comment ce secteur essentiel, à la bonne santé de l’économie et à la cohésion sociale, se projette-t-il ?
Après une année 2021 particulièrement folle où les candidats à l’achat d’un bien immobilier se bousculaient, le marché de la vente de maisons et d’appartements marque une nette inflexion. Depuis le second semestre 2022, les professionnels isérois observent de manière générale – et significative – un ralentissement des transactions. Pas au point cependant d’en tirer des conclusions hâtives quant à un retournement de marché. Néanmoins, la situation interroge, voire inquiète.
« Nous ne constatons pas encore de baisse de prix, et la dynamique du marché reste bonne dans son ensemble. Nous relevons toutefois depuis l’automne une forte disparité selon les territoires », déclarait Stanislas Dufresne, président des notaires de l’Isère, en préambule de la présentation des dernières données de l’immobilier sur le département, le 30 mars dernier.
Si le volume des biens à la vente (appartements et maisons confondus) affiche en 2022 une progression de 7,2 %, avec des prix médians qui augmentent partout, cette situation est surtout due à un premier semestre exceptionnel. Dans la continuité de l’après-Covid « les acquéreurs voulaient acheter rapidement, car ils voyaient les taux d’emprunt grimper », précise Clément Dubreuil, notaire à Voiron. Puis la situation a commencé à prendre une tournure différente.
Vers une contraction du marché
À la crise géopolitique de février 2022 se sont en effet ajoutés la pénurie, et donc la hausse des coûts des matériaux, des taux d’emprunt multipliés par deux, suivis par la montée de l’inflation et l’envol des coûts énergétiques. Autant de facteurs impactant directement le marché de l’immobilier, conduisant alors à « davantage d’attentisme », résume Stanislas Dufresne. Un contexte mouvant, dont nul ne sait quand il va se stabiliser. « L’année 2023 pourrait connaître un ralentissement plus prononcé », avance-t-il. C’est aussi ce que confirment l’ensemble des acteurs au niveau national.
Le dernier baromètre Guy Hoquet Immobilier, analysant 800 000 offres de vente d’immobilier ancien en France entre janvier et avril 2023, questionne. Les prix restent en hausse, « pour le moment ». « Avec une évolution de + 1,5 % depuis le dernier trimestre, nous commençons à ressentir les prémices d’une contraction du marché. Les difficultés liées au crédit immobilier, la baisse du pouvoir d’achat et les contraintes liées à la nécessité de rénovation énergétique du parc ancien de logements commencent à impacter les projets immobiliers des Français », diagnostique Stéphane Fritz, président du réseau Guy Hoquet Immobilier.
Ralentissement des crédits
Premier facteur montré du doigt : l’évolution des taux de crédit. « En février dernier, le taux moyen en France, sur 20 ans, était de 2,35 %. En 2021, il s’affichait à 1 % à peine, détaille Luc Thomas, président du comité des banques de la fédération bancaire de l’Isère (FBF). Il y a eu un vrai impact sur les mensualités. Les acheteurs sont donc contraints de revoir leur projet. » Le banquier confirme à son tour « un léger ralentissement sur l’octroi des crédits immobiliers, après une hausse de ces derniers de 5,3 % sur 2022 ». Une donnée le précise : l’augmentation des crédits est en léger repli, passant de + 5,1 % à fin janvier à + 4,8 % sur février (sur 12 mois glissants).
Mais surtout, un autre élément est formulé par l’Observatoire Crédit Logement/CSA, dans son étude d’avril : « La production recule toujours à fin avril 2023, avec une chute de 40,1 % pour le nombre de prêts. » « Et cela pourrait continuer, car les taux de crédit ne vont pas baisser dans l’immédiat. Sur 20 ans, ils pourraient même atteindre 4 % fin août, avec cependant un plateau attendu pour la rentrée 2023. C’est pourquoi nous restons prudents », reconnaît Luc Thomas.
Dans ce contexte, les comportements d’achat ne sont plus les mêmes. « La demande reste toujours importante, mais les acquéreurs négocient et achètent beaucoup moins rapidement », confirme Stanislas Dufresne. Quand ils peuvent le faire. D’autres repoussent leur achat, voire se rétractent. Si bien que trois catégories se dessinent, chacune d’elles étant touchée par ce contexte.
« L’accès au marché devient de plus en plus difficile, aussi bien pour les emprunteurs modestes faiblement dotés en apport personnel, que pour les ménages plus aisés ne pouvant plus disposer d’un apport suffisant au regard des prix pratiqués dans nombre de grandes agglomérations », précise l’Observatoire Crédit Logement/CSA.
Trois catégories d’acheteurs
Les primo-accédants d’abord. Premiers impactés, ils rencontrent plus de difficultés à emprunter car ils atteignent la limite du taux d’usure qui les freine dans l’accession à la propriété. Deuxième segment : les actifs pouvant emprunter, mais ayant été obligés de revoir leur projet en raison de la hausse des taux. Troisième catégorie : les cadres supérieurs de plus de 40 ans qui conservent un pouvoir d’achat important, et qui continuent, tant bien que mal, à se tourner vers les maisons individuelles, en zones péri-urbaine ou semi-rurale en particulier.
Si l’immobilier a toujours subi les aléas conjoncturels, acheter un bien n’est plus fondamentalement un aussi bon investissement qu’auparavant, du fait en particulier de la hausse des taux. Malgré tout, les notaires de l’Isère se veulent rassurants. « L’immobilier reste une valeur refuge, et 2022 a été une bonne année », soulignent-ils. Une prise de recul dont doivent aussi savoir faire preuve les investisseurs locatifs. Une autre catégorie d’acheteurs qui subit à son tour la conjoncture économique et internationale. Bousculés dans leur projet, une partie des bailleurs restent incertains : acheter de l’ancien ou du neuf ? Revoir leur stratégie d’investissement ?
Contraintes énergétiques
L’heure est ainsi à une plus grande prudence. Car les entraves se multiplient. Si les taux de crédits sont plus élevés, deux autres points représentent encore un frein important.
Sur le plan financier d’abord, les banques sont « aujourd’hui plus attentives sur le montant de l’apport » dans le cadre d’un prêt immobilier, confirme Luc Thomas.
Sur le plan environnemental ensuite, avec des logements passoires thermiques qui doivent se conformer aux mesures énergétiques pour être loués ou vendus. Les biens classés G et consommant plus de 450 kWh par mètre carré et par an sont d’ailleurs interdits à la location depuis le 1er janvier de cette année. L’une des solutions pour un investisseur : que les travaux soient effectués avant la transaction par le vendeur, ou que leur montant soit déduit du prix de vente final. « Ce qui conduit à sa dévalorisation ou alors à une très forte négociation », constate Jean-Paul Girard, président de la FNAIM 38. Dès 2025 seront concernés les biens classés F, puis E (en 2028) et D d’ici 2034. Si rien n’est fait, ils sortiront du parc de la location. « Sur le département, 10 000 logements sont concernés », assène-t-il.
Si Jean-Paul Girard ne remet pas en cause la nécessité d’une mise en conformité, il demande plus de temps pour y parvenir. « Les propriétaires souhaitent entreprendre les démarches, mais ils ne peuvent pas le faire si vite. Par exemple, seules 16 % des entreprises de l’Isère sont labellisées RGE », prévient-il. Donc susceptibles de répondre aux exigences imposées par la loi Climat et Résilience.
« Le calendrier mis en place par les autorités est critiqué par le secteur immobilier qui le juge trop rapide et craint qu’un grand nombre de biens sortent du parc locatif, alors que le pays souffre d’une pénurie de logements », estiment les notaires. Ces mesures impactent dans le même temps l’achat pour de l’investissement locatif. Or, ce n’est pas vers les logements neufs que se trouve la solution.
Des mises en chantier en baisse
Car là aussi, les chantiers manquent et sont en net recul. « Nous avons connu en France une baisse de 10 % des mises en chantier sur 2022. C’est considérable », remarque Bertrand Converso, président de la Fédération du bâtiment de l’Isère. « Nous allons manquer de biens à la location dans les dix prochaines années », s’inquiète aussi Jean-Paul Girard. « La construction neuve est pourtant la solution », tonne Gilles Trignat, vice-président de la Fédération des promoteurs immobiliers Alpes. Une solution tant au manque de logements disponibles qu’aux problématiques de nouveaux standards sur le plan énergétique. Mais là encore, les hausses exorbitantes des coûts de l’énergie, des matériaux, rejaillissent sur les entreprises, avec des marges désormais quasi inexistantes pour absorber l’élévation des prix des constructions. « L’augmentation avoisine 30 %, remarque Gilles Trignat. Qui peut supporter une telle hausse ? Cela oblige à retravailler les projets, avec un prix de vente pour l’acquéreur tout de même qui dépasse 10 % à 20 % d’augmentation. »
Dans ce contexte touchant toutes les couches du secteur immobilier, les investisseurs, en particulier, réfléchissent à deux fois avant de se lancer dans la concrétisation de leur achat. Cette situation pourrait-elle conduire à une crise durable du logement ? Les professionnels du bâtiment l’évoquent.
« On va dans le mur », s’inquiète Bertrand Converso, qui appelle de ses vœux les collectivités à lancer des programmes de construction de logements. Ce dernier y voit un véritable signe d’attractivité pour une ville. « Le lien entre logement, emploi et économie est essentiel. Les belles entreprises du territoire s’implantent là où leurs salariés vont pouvoir se loger. »
Face à l’urgence, les professionnels veulent être entendus, mais surtout attendent des réponses. Difficile d’entrevoir pourtant des jours meilleurs sans position nationale sur le sujet.
Des mesures en attente
Sur ce point, le gouvernement a annoncé fin avril vouloir travailler avec les collectivités locales pour augmenter le nombre de logements en zones tendues, et favoriser ainsi la baisse des coûts du foncier et des coûts de construction. Il a formulé aussi son souhait de construire de nouveaux logements sociaux. Cependant, ces volontés auraient dû être formulées par le ministre délégué à la Ville et au Logement, le 9 mai dernier, à partir des conclusions du Conseil national de la refondation logement. Mais la vingtaine d’annonces prévues ont été reportées à une date ultérieure. Une volte-face qui a fait plus que réagir les professionnels.
L’autre élément qui permettrait de redonner un peu de souffle au marché immobilier est celui de la hausse des taux d’intérêt. Sur cet aspect, Luc Thomas se permet une projection : « On peut l’imaginer pour 2024. Avec une baisse de l’inflation et des taux raisonnables qui reviendraient autour de 2 %. » Un retour à la normale qui serait bienvenu et pourrait redonner un peu d’optimisme à un secteur qui redoute une crise grave, nouveau détonateur d’une crise sociale d’ampleur.
R. Charbonnier
Mise à jour des données du prix de l’immobilier en Isère Évolution des prix médians dans l’ancien par type de bien en 2022 vs 2021
|
Âge moyen : 42 ans À partir de l’ensemble de leurs données analysées, les notaires de l’Isère ont établi l’âge moyen des acquéreurs de biens immobiliers. Il en ressort que ces derniers sont âgés en moyenne de 42 ans lorsqu’il s’agit d’acheter dans l’ancien (maison ou appartement). L’âge est un peu plus élevé lors d’une acquisition dans le neuf : 48 ans. En moyenne, la détention d’un bien est de l’ordre de 11,5 ans pour un appartement et de 12,5 ans pour une maison. Quant aux profils des vendeurs, ils ont entre 56 et 58 ans, et 67 ans lorsqu’ils vendent du terrain. |
Commentaires
Ajouter un commentaire