Philippe Moati : « Nous arrivons au bout d’un modèle de consommation »

En quoi consiste le nouveau modèle de consommation que vous annoncez ?

Nous faisons face à un questionnement sur les modes de consommation dans la société française. D’un côté, il existe une volonté de répondre aux enjeux du changement climatique, d’adopter des modes de consommation plus durable et soutenable. Certains commerces l’ont déjà anticipé.

Une part importante de la population a ainsi révisé sa manière de consommer pour réduire son impact et aller vers une forme de consommation plus cohérente avec les enjeux environnementaux. Elle exprime une remise en cause d’un modèle fondé sur le toujours plus.

Le commerce qui émerge tend à revenir à l’essence même de la consommation, loin des phénomènes d’hyperconsommation : le plus important n’est pas le produit, mais de satisfaire des besoins. Cela implique des modèles économiques serviciels.

Quels services le commerce se doit-il d’apporter ?

Dans un premier temps, pour faciliter la vente, le commerçant rajoute des services, comme la prise de commande à distance, la livraison à domicile, le conseil… Mais, si nous allons plus loin dans la réflexion, il n’a pas forcément besoin de vendre le produit. Nous arrivons à un modèle économique de rupture où il peut fournir un service, apporter la solution à un problème.

Cette orientation est d’autant plus probable qu’elle rejoint la question environnementale. La solution, ce peut être la location longue durée, ou même aller encore au-delà. L’offre servicielle est intéressante lorsqu’elle est difficilement comparable avec l’acte d’achat. On ne peut pas comparer, par exemple, l’abonnement Netflix au coût d’un DVD !

Dès lors, les grands centres commerciaux répondent-ils encore aux aspirations de consommation ?

Nous arrivons à la fin des grands centres commerciaux à l’ancienne. Cela parce que l’offre est déjà en situation de surcapacité. Le secteur de l’habillement en témoigne, qui a vu les nombreuses fermetures de ces derniers mois. Le marché n’est plus en croissance, mais plutôt en déclin structurel, avec comme facteurs aggravants la fuite vers l’e-commerce et vers l’occasion.

La construction de nouveaux centres se fera au détriment des commerces moins adaptés et moins performants. En parallèle, la conception en matière d’urbanisme a évolué. Aujourd’hui, la mixité fonctionnelle est promue, avec l’idée que, dans chaque espace, l’on puisse trouver de tout : de l’activité professionnelle, de l’éducation, des services de santé, des loisirs, du commerce, etc. Les nouveaux centres commerciaux s’adaptent à cette tendance.

Comment voyez-vous évoluer le commerce indépendant à l’horizon 2030 ?

Distinguons d’abord le secteur alimentaire, du non-alimentaire. Dans le premier secteur, le modèle porteur fait référence aux produits sains, de qualité, plutôt artisanaux, ancrés sur les territoires. Si on met de côté l’épisode inflationniste actuel, le contexte est très favorable au commerce de bouche qui a rebondi ces dernières années. Pour le non-alimentaire, la concurrence est farouche, du fait notamment de l’e-commerce qui permet de s’informer et comparer les offres.

Or, le commerce traditionnel utilise peu le numérique. Je suis plus inquiet sur la capacité de rebond du non-alimentaire, surtout dans un contexte de surcapacité. Il va falloir rationaliser, regrouper l’essentiel des commerces sur les zones les plus actives et les plus fréquentées, ce qui, en même temps, se fera au détriment des boutiques indépendantes.

En parallèle, les centres commerciaux ressentent le besoin d’avoir une offre différenciée, ce qui passe par l’accueil de points de vente uniques, indépendants. Une alliance entre les deux est donc possible, le centre commercial apportant du trafic, l’enseigne indépendante un élément de différenciation.

F. Combier