Point de vue expert : Patrice Guezou, directeur général de Centre-Inffo
Comment qualifier cette dernière réforme de l’apprentissage par rapport à celles déjà intervenues par le passé ?
La loi du 5 septembre 2018 affiche très nettement l’ambition de rapprocher les qualifications des jeunes, des besoins en compétences des entreprises, dans un monde de fortes ruptures technologiques. Alors même que ce rapprochement était attendu depuis de très nombreuses années, le gouvernement a choisi de miser sur la confiance et la responsabilisation des branches professionnelles – chargées de proposer un coût-contrat repère à France Compétences – et des entreprises – appelées à recourir massivement à l’apprentissage. L’État a ainsi donné aux acteurs économiques les moyens de développer de manière forte et puissante l’apprentissage. Maintenant que la gouvernance et les moyens financiers sont revus, réajustés et simplifiés, il reste à relever ce défi culturel : donner à l’apprentissage toutes ses lettres de noblesse au sein du système éducatif, et en faire une voie de réussite d’égale dignité par rapport aux formations d’enseignement général. C’est un pari de long terme dont les résultats ne seront pas immédiatement perceptibles. Ils seront atteints si les entreprises, les familles, les acteurs de l’éducation et du développement des compétences jouent pleinement le jeu.
Qu’est-ce qui est de nature à favoriser ces évolutions culturelles ?
Le manque de collaboration entre le ministère du Travail et celui de l’Éducation nationale était depuis longtemps identifié comme un facteur de blocage. Cette fois, l’implication de l’Éducation nationale, à travers notamment des journées consacrées aux métiers dans les collèges et les lycées, représente une excellente nouvelle. La création des prépas apprentissage, pour que l’apprentissage puisse être accessible à tous, constitue aussi un levier très intéressant. Cet ensemble de mesures montre que la France tend à privilégier une plus forte articulation et coopération entre les acteurs de l’éducation et de l’économie, y compris l’économie sociale et solidaire. C’est une politique clairement assumée.
À l’inverse, quels points de vigilance convient-il de garder à l’esprit ?
La réussite de la réforme, nous l’avons vu, est clairement conditionnée à son appropriation par les acteurs concernés. Elle dépend au premier chef de l’adhésion des entreprises. Car la loi pointe nommément l’entreprise comme le lieu opportun pour se former et acquérir une qualification. Dès lors, le gouvernement mise, comme en Allemagne ou en Autriche où cette mission est explicitement acceptée et intégrée, sur l’implication des dirigeants non seulement à former pour satisfaire les besoins de leur propre organisation, mais à assumer un rôle plus vaste d’insertion des jeunes dans l’emploi et, partant, dans la société. L’une des conditions essentielles du succès de la réforme viendra donc de leur acceptation à s’investir davantage dans la formation des jeunes et des futurs actifs, en accroissant leur engagement et leur responsabilité sociétale (RSE). Mais, rappelons-nous, le rapport Lachmann, dès 2007, plaidait déjà en faveur de cette révolution culturelle.
*Créé en 1976, Centre Inffo constitue l’échelon national de l’information et de la documentation dans le domaine de l’orientation et de la formation professionnelles. L’association, sous tutelle du ministère en charge de la Formation professionnelle, accompagne les entreprises, les organismes de formation, les partenaires sociaux via des publications, des portails, des événements, tels que l’Université d’hiver de la formation professionnelle, des formations et des missions de conseil.
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