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Management / Formation / RH - Accueil - Tendances — Le 7 février 2022

Formation, apprentissage : les top et les flop de la réforme !

La loi Pour la liberté de choisir son avenir professionnel, entrée en vigueur en 2019, avait pour ambition de « transformer profondément le modèle de la formation professionnelle en France ». Deux ans plus tard, quel bilan tirer de son application ? Comment la crise sanitaire est-elle venue s’immiscer dans sa mise en œuvre ? Quelles tendances lourdes trace la réforme ?

© AdobeStock

La dynamique du compte personnel de formation (CPF) est enclenchée. À lire les chiffres de la Caisse des dépôts et des consignations et de la Dares, en 2021 plus de 2,25 millions de formations ont été validées, soit un doublement par rapport à 2020 (984 000). Un succès résultant de deux phénomènes : le premier, de l’accès facilité à un « parcours achat direct » depuis une plateforme en ligne (« Mon compte formation ») sur laquelle salariés et demandeurs d’emploi peuvent régler des sessions avec l’argent crédité sur leur compte, sans passer par un intermédiaire. Une nouveauté issue de la loi Pour la liberté de choisir son avenir professionnel en date du 5 septembre 2018. Le second est une conséquence de la crise du Covid. Il a provoqué chez certains le désir d’acquérir de nouvelles compétences en vue d’une reconversion professionnelle, ou d’augmenter leur niveau de qualification. Cette période « a libéré du temps, accru l’incertitude et accéléré les mutations dans certains secteurs », analyse la Caisse des dépôts en septembre 2021.

La révolution du CPF

Cette hausse des formations via le CPF recèle un double impact : financier, et caractéristiques du public concerné. « Cette activité représente désormais environ 15 % de notre chiffre d’affaires, atteste Géraldine Soto-Giroud, directrice de CCI Formation, établissement de la CCI de Grenoble. Mais nous observons aussi une montée des profils de stagiaires issus du grand public venant se former en langue, en bureautique, ou encore en compétences transversales comme le management. » Cet engouement pour le CPF pourrait être le grand vainqueur de la loi de 2018. Il requiert pour tous les acteurs la mise en place d’actions nouvelles – en matière de communication sur les réseaux sociaux entre autres – pour toucher une cible « plus volatile », et quantitativement plus importante que les seuls responsables formation en entreprise.

Les compétences renforcées

Autre changement majeur : de manière générale, la loi visait à la simplification et la transparence du système. Elle prévoyait la collecte de la contribution des employeurs, réalisée depuis le 1er janvier 2022 par les Urssaf, et non plus par les Opco, et de renforcer l’investissement des entreprises dans le développement des compétences de leurs salariés. Une évolution accélérée par la crise, que Géraldine Soto-Giroud observe surtout depuis un an : « Les budgets formation étant limités, les entreprises souhaitent investir de façon efficace, et former leur personnel pour accompagner leurs mutations ou gagner en compétitivité. La formation entre dorénavant dans un projet stratégique qui doit justifier cet investissement. »

« La formation a évidemment l’objectif de permettre d’accéder à un emploi, mais aussi de répondre à un besoin de transformation, de compétences nouvelles et enrichies demandées par des entreprises. C’est tout l’intérêt du plan d’investissement dans les compétences », complète Évelyne Cartier-Millon, chargée de projet formation à Pôle emploi Isère. Pour cela, Pôle emploi met en place des formations innovantes avec ses partenaires, permettant à tous les demandeurs d’emploi d’accéder à des savoir-faire. « Des parcours sans couture, adaptés et modulables. »

Les apprentis de l’IMT Grenoble.
Les apprentis de l’IMT Grenoble.

 

L’envolée de l’apprentissage

Concernant l’apprentissage, deux tendances se conjuguent. En premier lieu, l’apprentissage réformé séduit largement, puisque 525 600 contrats d’apprentissage ont été signés en France en 2020, soit une hausse de près de 80 % par rapport à 2017. Des chiffres qui doivent toutefois être nuancés : « Une grande partie de cette augmentation est due à la transformation des anciens contrats de professionnalisation en contrats d’apprentissage », analyse Thomas Viron, directeur de l’IMT Grenoble. La pandémie aurait dû logiquement freiner l’évolution. Or il n’en est rien. Les aides pour les entreprises qui embauchent un alternant, prolongées jusqu’au 30 juin 2022, ont à coup sûr contribué à rendre ce dispositif attrayant.

Par ailleurs, l’offre de formation proposée est devenue beaucoup plus diversifiée, et lisible pour le public ciblé. Serge Laury, directeur du Greta de Grenoble, témoigne, avec l’ouverture à l’apprentissage des Greta, d’une large augmentation de la palette de formations. « L’apprentissage a nécessairement occupé d’emblée une place importante, et continue à monter en puissance. Il représente à présent 20 % de notre activité. Cela a permis d’élargir l’offre et d’améliorer les synergies avec l’ensemble des autres formations proposées. » Une évolution également vérifiée par Marc Oddon, vice-président à la formation et à l’apprentissage à l’Université de Grenoble (UGA). « La réforme a conduit à mieux positionner et valoriser la place de l’apprentissage à l’Université. La création de notre CFA d’université offre désormais la possibilité à nos étudiants de choisir l’alternance, tout en restant cohérents avec un parcours dans l’enseignement supérieur. » Les formations en informatique, génie civil et mécanique en apprentissage sont ainsi largement plébiscitées, précise-t-il.

Marc Oddon, vice-président à la formation et à l’apprentissage à l’UGA.
Marc Oddon, vice-président à la formation et à l’apprentissage à l’UGA. © J.-M. Blache

 

Un manque de candidats pour les formations de premier niveau

Dans ce contexte, un point d’achoppement est aussi soulevé : les formations de premier niveau, qui orientent vers les métiers en tension, manquent toujours cruellement de candidats. « Nous n’avons pas connu de changements radicaux sur ce point. Dans ces métiers, nous observons toujours un faible nombre de jeunes adressés par l’Éducation nationale, note Thomas Viron. » Les chiffres de la Dares montrent que les parts des formations de niveaux 3 (CAP) et 4 (bac) continuent de baisser depuis dix ans. Elles sont passées de 46,6 % en 2010 à 25,5 % en 2020, quand la part des contrats d’apprentissage permettant de préparer une formation du supérieur (niveau bac +3 à bac +5) s’accroît de plus de 9 points. Une difficulté de taille que la réforme n’arrive pas à résoudre. « Nous démarrons des sessions de formation à six stagiaires alors que nous avons douze places. Le sourcing reste problématique », confirme Serge Laury.

Le défi de l’orientation aux métiers

Comment convaincre des jeunes de se former sur des diplômes de premier niveau, ouvrant l’accès à l’emploi et parfois à de vraies carrières dans l’hôtellerie-restauration, l’industrie ou le bâtiment ? « Ce n’est pas faute d’avoir des entreprises qui nous demandent des candidats. Or ces offres ne sont pas toutes pourvues », alerte le directeur de l’IMT. L’une des solutions réside dans l’amélioration et la refonte de l’orientation : « Elle doit tenir compte des souhaits, des capacités de la personne, et du marché de l’emploi », préconise-t-il. « Cette réalité nous contraint à rechercher des gens que l’on ne voit pas habituellement, à leur donner envie et leur montrer que ces secteurs d’activité ont évolué. Mais aussi à adapter les parcours de formation à une nouvelle génération qui souhaite du “concret” et du “faire”. Nous nous rapprochons pour cela davantage des missions locales et de Pôle emploi », ajoute Serge Laury. « Pôle emploi travaille avec les entreprises à mieux faire connaître aux demandeurs d’emploi leurs métiers et leurs débouchés, avec des ateliers et des témoignages de personnes qui ont suivi une formation, souligne Évelyne Cartier-Millon. Nous nous efforçons de valoriser les métiers et casser les fausses représentations. »

Les étudiants du Campus numérique in the Alps.
Les étudiants du Campus numérique in the Alps. © E. Tolwinska

 

Le Covid, un formidable accélérateur ?

À ce marché de la formation en plein bouleversement, la pandémie est venue ajouter plusieurs éléments perturbateurs. Le premier a directement impacté l’activité des organismes de formation. La Fédération française de la formation professionnelle, devenue Acteurs de la compétence en 2021, estime ainsi à 30% la baisse moyenne d’activité en 2020 pour le secteur, soit l’un des plus affectés par la crise. Le second est, au contraire, venu souligner toute l’importance de la formation et de l’apprentissage pour organiser des reconversions ou la réorientation vers des métiers porteurs. La digitalisation constitue le troisième élément clé. Le contexte de pandémie a accru le déploiement des formations à distance, via des plateformes en ligne, permettant de basculer du tout présentiel, au tout virtuel. Le digital learning a ainsi connu une poussée extraordinaire, alors qu’il peinait à se développer. Entre 2020 et 2021, les formations réalisées en tout ou partie à distance ont encore enregistré une hausse significative de + 14 %. Et la formation en présentiel, redevenue le modèle le plus répandu (50 % des actifs ont suivi une formation de cette manière), a connu un repli de 26 % sur un an. Une photographie établie par l’étude « Les actifs français et la formation professionnelle », conduite par Visiplus academy et l’institut BVA en mars 2021. « Nous pensions atteindre nos objectifs de digitalisation en cinq ans, nous y sommes parvenus en deux », étaye Géraldine Soto-Giroud. « Nous allons poursuivre nos investissements dans l’innovation pédagogique afin de proposer davantage de formations hybrides », confirme Marc Oddon. Équipé depuis son ouverture en 2016, le Campus numérique in the Alps de Grenoble, créé par les acteurs de la French Tech et le Cnam, est « nativement » conçu sur ce modèle pour toutes ses formations dans le numérique. 

Tirer les leçons du digital learning

En accordant une place plus importante à la flexibilité, le distanciel offre des avantages notables, parmi lesquels gain de temps pour l’apprenant, réduction des coûts pour l’entreprise. Une rupture dont les acteurs ont pu prendre toute la mesure : « Le développement des outils numériques ouvre de grandes possibilités et opportunités. Il permet notamment de toucher un nouveau public », affirme Évelyne Cartier-Million. « Le digital learning apporte une forme de souplesse, de confort, et un côté plus ludique. Mais il demande aussi une plus forte implication des stagiaires. Tout cela nécessite de bien l’adapter en fonction du besoin et des publics », précise Géraldine Soto-Giroud. Sa généralisation demeure toutefois difficile à envisager. « Le distanciel n’est pas approprié pour l’acquisition d’un geste technique, par exemple dans un cours de charpente », recentre Thomas Viron. Le directeur de l’Institut des métiers et des techniques n’en reconnaît pas moins que l’essor de l’e-learning a eu le mérite de mettre le sujet sur la table, là où on ne l’attendait pas. « Il a fait bouger les lignes, et des priorités ont pu être définies, comme le développement d’un espace numérique de travail sur lequel les jeunes peuvent acquérir des connaissances. Nos collaborateurs ont également été formés à certains outils numériques. »

Si l’offre de formations à distance connaît une croissance fulgurante depuis trois ans, cette modalité pédagogique pourrait se pérenniser dans le temps avec le blend learning (un mix de présentiel et de distanciel). Un modèle plus facilement adaptable et correspondant aux attentes des stagiaires comme des entreprises.

Une réforme portant des objectifs ambitieux, des obstacles administratifs, une crise sanitaire et économique, des plans d’investissement importants… Depuis 2019, le secteur de la formation et de l’apprentissage a été soumis à rude épreuve. Si la prise de conscience de l’intérêt d’acquérir des compétences à tout âge, de se former aux transitions en cours et d’accompagner les besoins en emploi est bien là, force est de constater que toutes les conditions ne sont pas encore alignées pour atteindre les résultats fixés. Entre autres, l’enjeu des années à venir demeure la question de l’orientation et de la formation vers les métiers en tension. Comment résoudre cette problématique ? Le gouvernement a présenté fin 2021 un plan de réduction des tensions de recrutement, doté d’un budget de 1,4 Md€. Apportera-t-il réponse au premier dysfonctionnement du marché du travail français ?

R. Charbonnier et E. Ballery

Infos clés

  • -30 %, c’est la baisse moyenne d’activité enregistrée en 2020 par les organismes de formation. (Source : acteurs de la compétence, fédération nationale rassemblant 1 200 entreprises du secteur)

A savoir

  • La réforme de 2019 est la sixième depuis 1971.
  • Selon l’Insee, en 2019, 1,5 million de jeunes entre 18 et 25 ans ne seraient ni en emploi, ni en études, ni en formation. Ce sont les NEET (Not in Education, Employment or Training).

 

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