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Management / Formation / RH — Le 28 juillet 2023

Emploi : entre réforme du travail et nouvelles aspirations

Le monde du travail connaît des bouleversements d’une intensité rare. Le taux de chômage est en forte baisse, et l’ambition du gouvernement est d’atteindre le plein-emploi. Mais les entreprises sont toujours confrontées aux difficultés de recrutement, et doivent composer avec de nouvelles attentes. Une évolution qui requiert adaptation et remise en cause permanentes du côté des employeurs. Comment trouver les justes équilibres, et réinventer ses politiques de ressources humaines ?

© Adobestock

5 %. Le gouvernement a l’ambition d’atteindre ce taux de chômage à horizon 2027. Un objectif de plein-emploi dont il a fait l’un des quatre axes de sa stratégie, « pour une France plus juste et indépendante ». Actuellement, le taux de demandeurs d’emploi dans la population active est de 7,1 %, soit le chiffre le plus bas constaté depuis 1981, selon l’Insee. Près de 1,7 million d’emplois ont été créés sur le dernier quinquennat. Plusieurs résultats positifs ont été communiqués par le gouvernement, dont le taux d’emploi qui s’affiche, « au premier trimestre 2023, à 68,6 %, soit le plus haut point depuis que l’Insee le mesure, en 1975 ». Puis le souhait de parvenir au million d’apprentis, avec déjà « 831 148 nouveaux contrats enregistrés en 2022 », d’après la Dares (ministère du Travail). Ou encore, en retenant que le nombre de demandeurs d’emploi entrés en formation « continue sa progression ».

Une loi « pour le plein emploi »

L’État accélère encore par de nouvelles réformes, comme celles des retraites et de l’assurance chômage. Début juin, le ministre du Travail a ainsi présenté le projet de loi « pour le plein emploi ». Ce dernier comporte 11 articles, examinés cet été. Parmi les chantiers prioritaires : la création de France Travail, appelée à remplacer Pôle Emploi. Ou encore le déploiement d’un contrat d’engagement unique pour les bénéficiaires du RSA, l’idée étant de mieux orienter les personnes bénéficiaires vers des métiers qui recrutent. Ces fameux « métiers en tension », qui résistent toujours. Un enjeu fondamental dans un contexte de transition économique, auquel s’ajoute un autre point catalyseur de tension : l’évolution du rapport au travail. « Un vrai tsunami », affirme Francis Boyer, ancien DRH de grandes organisations, conférencier et auteur en innovation managériale. Fortement accentuée depuis la crise du Covid, cette mutation nécessite une nouvelle façon de penser le rapport salarié/employeur. Elle impacte le monde du travail dans son ensemble.

Un marché du travail déboussolé

Avec un taux de chômage au premier trimestre 2023 de 5,9 %, l’Isère se situe déjà au quasi-plein emploi. Une situation générale jugée « très favorable », par le directeur territorial de Pôle Emploi, Nicolas Faillet. Le département connaît une baisse de la demande d’emploi et une hausse des déclarations préalables à l’embauche. Le revers de la médaille : « Tous les domaines d’activité sont en tension, ce qui crée un climat inédit : une concurrence entre entreprises dans leurs démarches de recrutement et des demandeurs d’emploi qui n’hésitent pas à aller au mieux-disant. » De quoi déconcerter les dirigeants et managers. La configuration du marché du travail s’en trouve profondément modifiée et oblige l’ensemble des parties prenantes à s’adapter et trouver des solutions pérennes pour résoudre cette délicate équation.

Savoir parler des métiers en tension

Des actions sont menées pour mettre en relation les secteurs qui recrutent avec les demandeurs d’emploi ou les jeunes en orientation. « Nous avons progressé sur les métiers en tension, comme ceux du commerce, de l’hôtellerie ou des services à la personne, très sollicités par les jeunes que nous accompagnons », explique Catherine Belijar-Amadieu, directrice de la mission locale de Grenoble. S’ils s’orientent vers des métiers en tension qui ne correspondent pas à leur choix et leurs aspirations, ils ne resteront pas. Nous partons donc de leurs envies, tout en leur adressant des informations sur les besoins en recrutement des secteurs qui embauchent. Nous voulons susciter leur curiosité. » C’est d’ailleurs dans ce sens que la mission locale encourage ses conseillers à mieux s’informer sur des secteurs d’activité en tension, tels les métiers de l’industrie. « Les jeunes montrent un intérêt pour un métier dès lors que l’on sait leur en parler et que l’on mène des actions concrètes. » Comme des visites d’entreprise. Si elle n’est pas nouvelle, la démarche se généralise avec de vrais résultats.

Les liens au travail se distendent

Le contexte demande également aux employeurs une évolution de leur approche du travail, à une période où celle-ci s’écrit différemment. « Ce n’est pas que les individus ne veulent pas travailler, mais plutôt que la place du travail change dans leur vie, souligne Francis Boyer. Il faut avoir compris cet enjeu. » Exemple à l’appui avec des études réalisées sur une longue durée par l’Ifop. L’institut d’études d’opinion montre que si la place du travail dans la vie des salariés était estimée « très importante » en 1990 pour 60 % d’entre eux, derrière la famille (81 %), et précédant de beaucoup les amis et relations (40 %) et les loisirs (31 %), le rapport s’est depuis totalement inversé. La famille occupe toujours la première place (71 %), mais le travail est cette fois cité en quatrième position en 2021 à seulement 24 %, loin derrière les amis et relations (46 %) et les loisirs (41 %) ! Une tendance que Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies d’entreprises de l’Ifop, nomme « la perte de centralité du travail ». Une enquête menée avant Covid montre que les salariés français s’estiment moins reconnus « à leur juste valeur » dans leur travail par l’entreprise ou la structure qui les emploient au regard des salariés d’autres pays. Un ressenti qui n’est pas sans affecter le lien au travail.

Ifop

 

Emploi


Redonner du sens pour mieux recruter

Dans cet environnement, les entreprises ont l’obligation de s’adapter. La CPME Isère a ainsi défini plusieurs axes de sensibilisation qu’elle diffuse auprès de ses adhérents. Parmi ses préconisations, elle souligne l’importance de développer une stratégie de marque employeur, valorisant l’identité de l’entreprise et le sens donné au travail. « La plupart des entreprises communiquent sur leur savoir-faire, mais pas sur qui elles sont vraiment, sur leurs valeurs ou sur ce qu’elles peuvent apporter. Pourtant, il s’agit d’éléments attendus par des candidats et des salariés », confirme Jérôme Lopez, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises du département. « Elles n’ont pas d’autres choix que d’entreprendre ce virage en étant en prise avec la réalité du marché », prévient Nicolas Faillet. Mais « parler de son entreprise et de qui on est n’est jamais immédiat », abonde Émilie Journiac, responsable de l’activité emploi et RH au sein de l’Udimec Isère. L’ensemble des interlocuteurs intervenant auprès des entreprises ont donc conçu des programmes d’accompagnement pour venir épauler les dirigeants dans leurs besoins. La branche des industries et de la métallurgie propose par exemple des ateliers mensuels collectifs à ses adhérents afin de leur fournir des clés sur la manière de se présenter, rédiger une petite annonce, argumenter, etc. Le salaire n’est pas le seul critère d’attractivité. « Pour se différencier, les entreprises doivent être plus authentiques dans leurs démarches, souligne-t-elle. Le discours reste encore trop convenu. » Et surtout, à la marque employeur s’ajoute désormais celle de la notion d’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.

La recherche de qualité de vie

Cette nouvelle règle du monde du travail s’installe petit à petit chez les actifs. Pour 49 % des Français, l’aspiration à cet équilibre est même devenue un critère « essentiel », qui arrive avant le salaire (Observatoire Welcome to the jungle). Une dimension qui nécessite la mise en place d’actions portant sur des facteurs tels que la montée en compétences, l’autonomie et la confiance, le télétravail (quand il est possible). Ou d’un rythme de travail revu pour une plus grande flexibilité dans l’organisation, avec notamment la possibilité d’introduire la semaine de quatre jours. Une formule qui suscite l’intérêt côté salarié (64 % voudraient en bénéficier, selon un sondage EY) et éveille la curiosité côté employeur. La période actuelle oblige enfin à « repenser la fidélisation et l’engagement des salariés, constate Francis Boyer. Il faut accepter l’idée qu’ils vont bouger ». « Nous savons bien qu’un jeune ne restera plus dix ans chez nous, mais sans doute plutôt trois ou quatre ans », ajoute Jérôme Lopez. Ce qui peut bousculer plus d’un dirigeant, la clé d’un recrutement étant désormais plutôt entre les mains d’un candidat. «D’où un sentiment de perte de repères pour certains d’entre eux », observe Émilie Journiac.

De l’autonomie dans un cadre bien défini

Alors que la relation au travail se trouve réinterrogée, jusqu’où placer le curseur des changements ? « Il faut veiller à ne pas provoquer de déséquilibres entre les salariés présents dans l’entreprise depuis longtemps, et les nouveaux », prévient Jérôme Lopez. Il ne s’agit pas non plus de créer des « salariés-rois », comme le note Francis Boyer. « Il y a des règles à respecter et un cadre à fixer dès la signature du contrat, rappelle Nicolas Faillet. Ce qui ne veut pas dire que l’entreprise n’est pas attractive. » Les règles, notamment de savoir-être, demeurent incontournables. À la mission locale de Grenoble, les conseillers réalisent ainsi des simulations de vie en entreprise dans le but de sensibiliser les jeunes aux attentes des employeurs. « Dans un contexte de tension de recrutement, les entreprises attendent de leurs futures recrues non pas des diplômes, mais un savoir-être et des qualités humaines », confirme Catherine Belijar-Amadieu.

Accélérer la réponse aux besoins à venir

Une approche moins généralisable aux métiers requérant une forte technicité ou savoir-faire. C’est le cas notamment des métiers de la santé, de techniciens, de développeurs. Ici, les promotions formées sont trop faibles au regard de la demande, favorisant irrémédiablement les tensions sur le marché de l’emploi. Une situation qui n’est pas nouvelle, et qui s’accroît encore avec l’essor des métiers de demain. En particulier ceux de la transition énergétique dont l’Ademe estime la création de 540 000 emplois d’ici à 2030 et « pourrait atteindre un million d’emplois à l’horizon 2050 ». Des prévisions qui demandent une accélération de la mise en place de mesures pour anticiper les besoins en compétences. « Nous devons prendre un coup d’avance », avertit Jérôme Lopez. Il y a urgence dans ce domaine. Une référente sur les métiers de demain vient d’être nommée à la mission locale. « Tout le monde doit désormais se mettre en ordre de marche », Émilie Journiac.

R. Charbonnier et E. Ballery

Données de l'emploi en Isère

5,9 % le taux de chômage au premier trimestre 2023.

20 % de CDI parmi les recrutements 

73 % sont des contrats courts de moins de six mois.

37,3 % des projets de recrutement pour l’année sont prévus pour faire face à un surcroît d’activité ponctuelle.

La santé, la construction et l’hôtellerie-restauration demeurent les secteurs aux difficultés de recrutement les plus élevées

+ 1,2 % augmentation du nombre de salariés du secteur privé en région AURA au 4e trimestre 2022 (2,38 millions au total, et + 27 550 postes). 
+ 0,8 % en Isère (359 000 salariés du secteur privé)
+ 1,8 % sur Grenoble.

+ 2,2 % évolution annuelle des effectifs de l’industrie en Isère, en particulier dans les secteurs des équipements électroniques et informatiques, et de l’industrie du meuble. Progression moins franche dans le commerce et les services (respectivement + 0,2 % et + 0,6 %). En recul dans la construction (- 0,7 %).

À horizon 2030, les métiers d’ingénieurs et de cadres du privé, ceux de la santé et de l’aide à la personne seraient les plus créateurs d’emplois en Auvergne-Rhône-Alpes. 

Données de l’emploi en France

7,1 %, taux de chômage en France 

375 500 emplois sont vacants au 1er trimestre 2023 (- 5 %)

(Sources : Pôle emploi, Urssaf, Dares)

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