Grenoble Alpes a tous les atouts pour accueillir plus d'usines technologiques
L’approche des 30 ans de Soitec, toute première licorne essaimée du CEA-Leti, est l’occasion de revenir sur l’action structurante du CEA en termes de développement industriel. Une ambition plus que jamais à l’oeuvre, présentée par Stéphane Siebert, directeur de la recherche technologique du CEA.
Que retenez-vous de cette stratégie d’essaimage initiée par le CEA ?
Stéphane Siebert : Le bilan du CEA, à l’échelle nationale, est tout à fait original. Les start-up sont plutôt connues pour leurs champions du numérique – places de marché, cloud, services web... Or l’observation des grandes levées de fonds chez les start-up du CEA est frappante. Le numérique est peu représenté. En revanche, elles détiennent le plus souvent un fort impact industriel. Le CEA n’a jamais dévié de cet objectif, qui devient essentiel à l’heure où les pouvoirs publics en France et en Europe souhaitent reconquérir de la production industrielle. Sur les produits existants, il est difficile d’être compétitifs. Il faut donc bien s’orienter sur des produits nouveaux et, j’ajouterais, sur des marchés de masse. C’est ce qu’illustre parfaitement Soitec, dont les standards équipent 100 % des smartphones dans le monde. Ces deux facteurs, fort volume et différenciation technologique, sont à la source de la création de valeur. C’est ici moins le nombre de start-up qui compte, que le potentiel de création de valeur et d’emplois industriels. Il génère de fortes retombées pour les territoires et prépare l’emploi de demain.
Quels sont les ingrédients pour favoriser cela ?
Avoir de bons scientifiques et des laboratoires au meilleur niveau international sont des conditions nécessaires, mais non suffisantes. Un dirigeant de start-up témoignait qu’en parcourant un rayon de 2 km à Grenoble, il était capable de trouver tout ce dont il a besoin : compétences, écoles et centres de formation, partenaires avec lesquels co-traiter ou sous-traiter… Ce qui fait la force de la Silicon Valley, nous l’avons aussi à Grenoble !
Deuxième ingrédient : les capitaux. À l’époque de la création de Soitec, les systèmes d’amorçage étaient quasiment inexistants. La France a beaucoup progressé : les start-up n’ont plus de mal à démarrer et lever leurs premiers fonds. Il en va tout autrement lorsqu’il s’agit de développer les technologies jusqu’à la phase industrielle et de financer des usines. Les levées deviennent bien plus significatives. L’unité de compte est alors la dizaine de millions d’euros. L’obstacle du financement a mis beaucoup de temps à être levé. Au CEA, nous favorisons l’entrée au capital de futurs grands clients, ce qui permet de crédibiliser les solutions technologiques. Il reste en troisième lieu à composer des équipes gagnantes, aux compétences diversifiées. Quatrième sujet : le parcours résidentiel. Si l’on souhaite que les entreprises restent dans la région, il faut pouvoir réunir une offre complète de lieux d’accueil…
Un vrai souci dans la région ?
Clairement. Pour répondre à ces besoins, le CEA a créé avec Minatec Entreprises une offre complète de lieux d’accueil. Avec le BHT1 (Bâtiment haute technologie), nous pensions couvrir toute la demande. Mais très vite, le BHT2 s’est imposé. Et nous réfléchissons déjà au BHT3 !
Les dirigeants et salariés des entreprises technologiques souhaitent pouvoir se rendre à pied, du bureau au labo. Mais lorsqu’une start-up a réalisé une importante levée de fonds, il lui faut une usine. Ce qui signifie des terrains, un permis de construire, l’obtention d’autorisations… Toutes choses qui demandent du temps, quand il faudrait pouvoir répondre à la demande avec des locaux prêts à équiper.
Aledia a heureusement, en peu de temps, pu s’installer à Échirolles, et de là construire une usine à Champagnier. Cette implantation contribue à faire émerger, après la vallée de la microélectonique vers Chambéry, la vallée des imageurs vers Voiron, une vallée du display vers le Trièves. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Intel, qui souhaite investir 20 Md$ au États-Unis et 20 Md$ en Europe pour répondre à la pénurie des semi-conducteurs, s’intéresse à notre écosystème. La masse critique rassemblée ici est à présent visible, repérée et crédible au niveau international. Mais toute l’Europe va se battre pour accueillir Intel… Serons-nous dans cette course-là ? HP, un leader mondial, a choisi Y-Spot, notre site du polygone scientifique, pour la qualité de l’écosystème offert sur place. Nous devons avoir les collaborations les plus actives possibles entre la Presqu’île et ces trois vallées, pour envisager l’avenir à une plus large échelle.
Entre le CEA, la French Tech, l’institut d’intelligence artificielle, les pôles de compétitivité, la France ne superpose-t-elle pas trop d’outils d’intervention ?
Je pense exactement l’inverse ! Chacun de ces instruments traite de domaines massifs en termes de défis scientifiques. Le numérique à lui seul en rassemble une dizaine, l’IA renvoie aux processeurs, aux calculateurs, à la physique quantique… La réalité, lorsque l’on appréhende la complexité de chacun de ces sujets, n’est pas que nous en avons trop. La France n’en a pas assez ! À Grenoble, la vallée de l’image n’a rien à voir avec celle des semi-conducteurs pour la 5G. La cybersécurité est un domaine à part entière, comme l’électronique de puissance. Nous avons besoin de toutes ces compétences et réseaux d’experts.
E. Ballery
Infos clés
L’écosystème Grenoble Alpes de la microélectronique
8 000 emplois
80 % à l’export
1 900 chercheurs et experts au CEA-Leti
70 start-up issues du CEA-Leti, dont 2 licornes
3 vallées de l’Y grenoblois : vallées de la microélectronique, des imageurs et du display
Un marché mondial de 450 Md$, en forte croissance
Sébastien Dauvé, directeur général du CEA-Leti
Depuis le 1er juillet, Sébastien Dauvé a succédé à Emmanuel Sabonnadière, nommé à la direction d’un programme stratégique de Soitec. Diplôme de l’École Polytechnique et de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-SUPAERO), Sébastien Dauvé a démarré sa carrière à la DGA. Il a rejoint le CEA-Leti en 2003, en tant que responsable transferts industriels. Il a supervisé des laboratoires communs de recherche avec les entreprises, en particulier avec le groupe Michelin. Il bénéficie de plus de 20 ans d’expérience dans les technologies de la microélectronique et ses applications, notamment la mobilité propre, la médecine de demain, la cybersécurité et l’électronique de puissance.
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