Ne réduisons pas le progrès à la hausse du pouvoir d’achat !
Centrale, mais loin d’être exclusive dans les revendications des “gilets jaunes”, la hausse du pouvoir d’achat n’est pas un objectif nouveau. Elle a été au centre des attentions des gouvernements qui se sont succédé ces 20 dernières années (il serait même possible de remonter bien au-delà). Que d’écarts entre les ambitions affichées et les résultats obtenus, même si l’idée reçue selon laquelle le pouvoir d’achat régresse est clairement démentie par les chiffres : entre 1998 et 2008, le pouvoir d’achat par unité de consommation a augmenté de 1,7 % par an en moyenne, du jamais vu depuis la fin des Trente Glorieuses sur une période aussi longue, pour certes passer à 0,3 % par an entre 2008 et 2018. C’est donc d’un ralentissement réel qu’il est question, phénomène en parallèle duquel certaines personnes ont bien vu leur pouvoir d’achat régresser ces dernières années.
Des perspectives non réjouissantes sur le terrain de la croissance
Après la Seconde Guerre mondiale, les Trente Glorieuses se sont caractérisées par des taux de croissance et des gains de productivité tels que tous les acteurs pouvaient, sans pénaliser les autres, bénéficier des fruits de la croissance. Ainsi fonctionnait le fameux cercle vertueux caractérisé par des profits élevés permettant aux entreprises d’investir et d’embaucher, tout en proposant des salaires élevés, générant eux-mêmes de la demande et des débouchés… Depuis maintenant 50 ans, la croissance est insuffisante pour alimenter en même temps les hausses de salaire et celles des profits. Les années quatre- vingt ont montré à quel point, contrainte extérieure oblige, le pari des hausses des salaires pour réenclencher le cercle vertueux était perdant. Les années quatre-vingt- dix confirment que le pari alternatif consistant à favoriser les profits n’était guère plus pertinent. Depuis, la recherche systématique de la croissance fait écho au quasi consensus selon lequel seule cette dernière pourrait fixer les marges de manœuvre. Une rapide analyse prospective suffit pourtant à comprendre que la croissance risque fort de s’apparenter à Godot, ce personnage central que tout le monde attend, mais qui ne viendra jamais. Trop de facteurs structurels limitent en effet cette dernière, et l’urgence climatique n’incite pas forcément à les lever.
Et si on changeait d’objectif ?
Le constat qui vient d’être fait ne me semble pas si déprimant, bien au contraire. Peut-être est-il utile en vue de changer d’objectif. Si la croissance est indispensable à l’augmentation du pouvoir d’achat, elle ne l’est pas, et c’est heureux, à l’amélioration de la qualité de vie. Elle ne l’est pas non plus à la diffusion du progrès, ni même au bonheur (que des indicateurs comme le Bonheur national brut permettent de mesurer avec pertinence). De meilleures allocations des ressources peuvent contribuer à améliorer le bien-être sans passer par le pouvoir d’achat. Ainsi, l’impossibilité récurrente à augmenter le pouvoir d’achat est sans doute un mal pour un bien. Elle peut nous conduire à trouver d’autres moyens d’améliorer la qualité de vie que la seule consommation, un moyen bien caricatural reflétant une conception étriquée du progrès. La hiérarchie des objectifs n’est pas neutre. Comme la croissance, le pouvoir d’achat mérite d’être remis à sa juste place : celle d’un moyen et non celle d’un objectif simpliste.
A savoir
Si la croissance est indispensable à l’augmentation du pouvoir d’achat, elle ne l’est pas à l’amélioration de la qualité de vie Montbonnot (Tarmac)
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