De l’innovation au progrès sociétal : une nécessaire évolution des ambitions
Dans ma chronique précédente, j’évoquais la nécessité de penser le changement et d’agir, à l’heure même où ces activités sont rendues plus difficiles par le caractère illisible des évolutions sur les plans économique, géopolitique, environnemental et social.
La réponse apportée – et elle le fut par plusieurs lecteurs que je remercie ici – se résume souvent à l’innovation. Si cette dernière peut constituer un moyen privilégié, elle ne saurait suffire à assurer le progrès sociétal susceptible de donner un sens à nos actions collectives.
Grenoble terre d’innovation
À Grenoble, le recours à l’innovation semble inscrit dans l’ADN d’entreprises qui en ont fait le moteur de leurs succès économiques. Rappelons ici la reconnaissance de Grenoble comme cinquième ville la plus innovante du monde par le magazine Forbes en 2013. Si le progrès issu des innovations peut revêtir un caractère social ou environnemental – et il y aurait de nombreux exemples à mentionner – il s’avère le plus souvent purement technique ou technologique. Il en est aussi qui se révèlent trop peu contributrices au progrès sociétal, voire même, pour certaines, destructrices. Ce sont bien des innovations, et l’utilisation qui en a été faite, qui ont contribué et contribuent au changement climatique, pour ne citer que cette conséquence.
Pour un véritable progrès sociétal
L’innovation ne saurait donc se suffire à elle-même. Elle ne devrait être vue que comme un moyen, tout comme les performances économiques générées, au service d’une finalité redéfinie avec ambition, et qui s’exprimerait en termes de progrès social ou environnemental. L’innovation peut, mais de façon non automatique, contribuer à la RSE. Reste donc à faire en sorte que nos innovations ne relèvent pas seulement du progrès technique, mais contribuent au progrès sociétal.
Innovation et progrès : des objectifs à réconcilier
La critique de « la rhétorique autour de l’innovation » est particulièrement éclairante chez le physicien et philosophe des sciences Etienne Klein, qui n’hésite pas à voir dans cette dernière une contradiction de l’idée de progrès. S’appuyant sur les écrits du philosophe anglais Francis Bacon, il rapproche l’innovation technologique de l’idée d’un temps corrupteur, un temps qui abîme les choses et les êtres. Innover vise alors à « empêcher que le monde ne se défasse » pour reprendre, avec Etienne Klein, les termes de Camus. Il s’agit en effet d’« innover pour que rien ne change », ce qui apparaît antinomique de l’esprit des Lumières, reposant sur l’idée d’un temps constructeur, permettant la survenue d’un progrès qui serait volontiers qualifié de sociétal aujourd’hui.
C’est précisément cette prise de conscience – finalement très ancienne, puisque la mythologie grecque regorge d’avertissements (toutes les mésaventures vécues par Dédale l’illustrent bien) – du fait qu’innovation et progrès au sens large ne vont pas forcément de pair, qui contribue à redéfinir et raffermir un lien essentiel. Le récent manifeste du Shift Project invitant à « former l’ingénieur du XXIe siècle », en remettant le progrès sociétal au centre des ambitions, a le mérite de fournir des pistes stimulantes. Loin de ne concerner que les écoles, elles ne manqueront pas de bouleverser, à brève échéance, le fonctionnement des organisations.
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