La montagne vers de nouveaux horizons ?
Poussées par le changement climatique, les stations rivalisent d’ingéniosité pour pérenniser leur modèle économique, en tenant compte d’une diversité croissante des pratiques et d’un contexte concurrentiel renforcé. Elles sont soutenues par des entreprises qui ont intégré l’urgence environnementale dans leurs offres et inspirent aux start-up des idées rafraîchissantes.
L’été dernier, pour la première fois depuis sa mise en exploitation en 1946, le glacier des Deux-Alpes, perché à 3 600 mètres d’altitude, a dû fermer au milieu de l’été, pour cause de fonte accélérée. Un événement marquant qui illustre l’intensification du réchauffement climatique, deux fois plus élevé dans les Alpes qu’ailleurs selon les scientifiques, et qui rappelle instamment aux stations de montagne la nécessité d’agir pour préserver leur économie. Les Deux-Alpes ont d’ailleurs pris les initiatives qui s’imposent pour amortir le choc, en créant cet hiver un système de barrières à neige pour faciliter son accumulation. “En tassant la neige, nous avons réussi à créer une couche de 10 mètres d’épaisseur, explique Éric Bouchet, directeur de l’office de tourisme des Deux-Alpes. Sachant que plus on skie l’été, plus on entretient le manteau neigeux et donc la glace en dessous.” Entretenir la neige pour assurer une skiabilité tout au long de la saison quand l’hiver tend à se raccourcir : c’est le lot quotidien de toutes les stations aujourd’hui, et notamment celles qui sont exposées à la concurrence internationale. Une préoccupation que la Région AuRA a prise à bras-le-corps en instaurant dès 2016 le plan Montagne, soutenu par le Département de l’Isère. Ce plan prévoit notamment l’aide à l’investissement en neige de culture. De 27 % en 2017, la surface des domaines skiables équipés en Isère devrait atteindre 42 % en 2025. Ceci pour garder jusqu’en 2050 un niveau de skiabilité identique à celui que l’on connaît aujourd’hui.
Des requalifications au bénéfice de l’environnement
Bien sûr, l’équipement en neige de culture ne peut avoir de sens que si cette politique vise en même temps à diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Comment concilier alors ski attractif et protection de l’environnement dans une même perspective durable ? Il y a déjà plus d’une dizaine d’années que l’Alpe-d’Huez y réfléchit. Tout en redoublant d’efforts sur la qualité de son domaine skiable, la station de l’Oisans s’est équipée d’enneigeurs de dernière génération, moins gourmands en eau et peu énergivores. L’entretien de la neige suit le même chemin : “Nos dameuses sont dotées de GPS et de sonars pour n’agir que là où c’est nécessaire”, explique François Badjily, directeur de l’office de tourisme de l’Alpe-d’Huez. La station prévoit aussi d’expérimenter l’énergie verte sur ses remontées mécaniques. Comme l’a fait récemment Serre-Chevalier, celle qu’on surnomme “l’île au soleil” projette d’équiper les gares de certains télésièges de panneaux photovoltaïques. Elle s’est aussi engagée dans la diminution permanente du nombre de pylônes de remontées mécaniques (“une quarantaine en moins en dix ans”, évalue le directeur de l’OT), l’équipement en remontées mécaniques plus performantes en énergie et la réhabilitation du couvert végétal après chaque opération d’aménagement, notamment. En lançant à partir de 2016 sa requalification complète, la station de l’Oisans a intensifié ses efforts. Ainsi, la mise en souterrain des parkings sous les résidences et la création d’une ligne de transports en commun en site propre transforment la station en ville piétonne skis aux pieds. “La réduction de notre bilan carbone va de pair avec l’amélioration de la qualité du séjour que l’on propose à nos clients”, résume François Badjily.
Tous les acteurs de la filière concernés
Les efforts des stations en matière de protection de la montagne sont escortés par un nombre croissant d’acteurs de la filière. Le groupe Rossignol (Saint-Jean-de-Moirans) a lancé en début d’année le programme Respect. Celui-ci rassemble ses engagements pris dans le domaine de la responsabilité environnementale et sociétale. Le plus fort est sans doute la réduction d’ici 2030 d’au moins 30 % de son empreinte carbone et une diminution des déchets de 40 %, dès 2025. Au cœur de la stratégie carbone de Rossignol : la conception de produits respectueux, intégrant notamment l’utilisation de matériaux naturels et labellisés. Comme le bois, certifié FSC ou PEFC, qui sert à fabriquer la nouvelle gamme de skis Freeride 2020, dans des sites ISO 14001 où l’on traque les moindres déchets. Dans le domaine textile aussi, la marque réaffirme son engagement. Rossignol a notamment rejoint le Fashion Pact lancé suite au G7 en France l’an passé. Cette coalition mondiale d’une trentaine de grandes entreprises de la mode et du vêtement a adopté une plateforme d’objectifs environnementaux autour de la limitation du réchauffement climatique et de la protection de la biodiversité.
Recyclage et circuit court
Ça bouge aussi sur les pistes. Le constructeur de remontées mécaniques Gimard Montaz Mautino, à Saint-Martin-le-Vinoux, se différencie en utilisant notamment des structures démontables et des éléments recyclés à partir d’anciennes installations. Par respect pour la montagne, les embases métalliques de ses installations sont livrées avec des dalles en béton plutôt que scellées dans le sol, limitant ainsi l’impact de ses chantiers. Certifiée ISO 14001 depuis 2012, GMM réduit aussi la distance avec ses fournisseurs : 80 % d’entre eux sont issus de la région grenobloise. Un encouragement aux circuits courts, dont le constructeur Poma s’est aussi fait une spécialité, fort de son ancrage territorial et engagé dans la protection de l’écosystème local (voir encadré). Enfin, CM Dupon (CA 2019 : 2 M€, 10 personnes), à Pontcharra, dernier fabricant français d’engins de damage, réfléchit à des dameuses électriques. Pour les patinoires, il s’est déjà lancé dans la conception et la fabrication de surfaceuses dotées de batteries Li-Ion, qu’il espère écouler à l’international.
Vers une mobilité plus propre ?
Si ces efforts distinguent les entreprises sur leurs marchés, c’est avant tout sur le volet transport que se joue la bataille contre le CO2. Près de 65 % des émissions de gaz à effet de serre du tourisme hivernal sont en effet d’abord imputables aux déplacements des skieurs. Les stations rappellent alors à leurs clients d’utiliser le covoiturage ou les voyages en bus. Celle des Sept-Laux par exemple invite à préférer le bus à la voiture. Elle a mis en place la vente en ligne d’un ticket bus + forfait à tarif préférentiel, valable tous les jours pendant les vacances scolaires, au départ de Grenoble et de Chambéry. La plateforme mon-sejour-en-montagne.com, lancée en 2018 par l’École du ski français pour faciliter l’organisation de ses vacances aux sports d’hiver, a aussi inclus depuis cette saison l’offre transports en commun dans ses menus. Cette marketplace a noué des partenariats avec Oui.sncf, Actibus et Transdev pour permettre aux usagers de réserver leurs trajets depuis l’aéroport et la gare de Grenoble, entre autres villes alpines. Les compagnies de transport s’engagent elles-mêmes dans des programmes de transition énergétique pour limiter la pollution. Ainsi, VFD a-t-elle adhéré à la charte Objectif CO2 – les transporteurs s’engagent, en lien avec l’État et l’Ademe. L’entreprise fait rouler hiver comme été des navettes touristiques à destination des Deux-Alpes, d’Oz-en-Oisans et de Villard-de-Lans. Après le renouvellement de deux tiers de sa flotte en cinq ans en faveur de véhicules neufs répondant aux dernières normes environnementales, VFD s’engage à réduire encore ses émissions de GES de 2,5 % minimum d’ici trois ans.
Séduire une clientèle diversifiée
Reste qu’un quart des GES émis en montagne provient des bâtiments. D’où l’importance d’engager des travaux de rénovation thermique sur les résidences les plus anciennes. Ces requalifications immobilières portent aussi d’autres enjeux : embellissement, transformation des lits froids en lits chauds… Aux Deux-Alpes, une personne vient d’être spécialement embauchée pour inciter les propriétaires à la valorisation des bâtiments et les accompagner dans l’ingénierie des travaux de rénovation et de décoration. Les Deux-Alpes ont candidaté pour l’obtention du Flocon Vert. Ce label distingue les stations engagées dans une politique de développement durable de pointe. Chamrousse est pour l’instant la seule station iséroise à l’avoir décroché. Elle a opté à partir de 2014 pour un modèle moins énergivore et plus respectueux de la montagne, un modèle qui la libère en même temps des aléas croissants de la météo. Inscrit dans le programme Chamrousse 2030, son redéploiement immobilier veut à la fois respecter l’architecture historique de la commune et renforcer sa capacité d’accueil pour des publics diversifiés : skieurs de proximité, mais aussi touristes en city breaks pour des séjours bien-être, et même le monde économique. Chamrousse vient de signer la construction d’un équipement de balnéothérapie de 4 000 m2. L’espace sera connecté aux deux hôtels que la station va également ériger, pour un total de 240 chambres. Cerise verte sur le gâteau : la station s’apprête à basculer dans les smart grids pour réduire sa facture d’énergie. L’opérateur Engie a été retenu dans le cadre d’une DSP pour l’installation et la gestion des nouveaux réseaux multi-fluides. Fini le fuel, bonjour toitures photovoltaïques et chaleur biomasse. “Il y a 75 000 entreprises dans la vallée qui n’attendent que ça, se reconnecter à la montagne près de chez elles pour y organiser leurs événements. Elles exigent en même temps que nous soyons vertueux d’un point de vue écologique”, témoigne Serge Khavessian, directeur général de la SEM Aménagement Chamrousse.
La qualité, arme de séduction massive
La requalification et l’extension des hébergements touristiques confirment de nouveaux schémas de développement pour les stations de montagne. À l’Alpe-d’Huez, l’inauguration en début de saison du nouveau resort du Club Med de 441 chambres illustre cette double équation attractivité-écologie. Le bâtiment écoconstruit vise la très exigeante certification Breeam niveau Gold, qui correspond à l’utilisation d’équipements très performants pour la réduction et le suivi de la consommation d’énergie et d’eau, notamment. Ce fleuron architectural, doté d’une terrasse panoramique de 1 300 m2, est aussi jugé indispensable pour faire face à la concurrence internationale et développer l’attractivité estivale de la station, grâce aux prestations all inclusive. “C’est par une montée en gamme que nous pourrons séduire les TO et accroître notre attractivité été comme hiver”, insiste le directeur de l’office de tourisme. À ce titre, l’Alpe-d’Huez peut se targuer de proposer les deux seuls hôtels cinq étoiles du département. Cette offre qualitative répond notamment à la demande de touristes. Elle veut aussi promouvoir l’Alpe-d’Huez comme une destination internationale à part entière, offrant une palette diversifiée d’expériences en toutes saisons.
À la conquête de l’été
Faire grimper le chiffre d’affaires l’été quand celui de l’hiver a tendance à stagner : le défi est partagé par tous les massifs. “Même si la neige restera un pan important de notre activité, nous devons sortir du paradigme de la station de sports d’hiver traditionnelle”, assure Franck Lecoutre, directeur de l’office de tourisme de Chamrousse. Les stations se lancent dans la construction d’un tourisme montagnard quatre saisons. En Belledonne, la station des Sept-Laux a pris une bonne option. Depuis trois ans, elle s’est équipée d’une “Wizluge”, un serpent sur rails de 723 mètres de long dans les sapins du Pleynet, ainsi que d’un accrobranche, ouvert y compris en nocturne côté Prapoutel. Mettant en avant sa diversification familiale, elle a aussi aménagé, pour l’hiver, un parcours ludique sur deux pistes vertes. Sur sa lancée, elle ouvrira l’hiver prochain un village d’animations 4 Saisons au sommet du télésiège des Bouquetins. Un investissement de 400 k€, avec le Grésivaudan pour maître d’ouvrage, en collaboration avec la SEM Téléphériques des Sept-Laux qui exploite le domaine. Le vélo est une autre voie pour attirer les touristes en été, depuis le Vercors, haut lieu du vélo à assistance électrique jusqu’à l’Oisans, avec notamment les 21 virages de l’Alpe-d’Huez. Les Sept-Laux aussi ont enfourché la petite reine, en créant des itinéraires pour le VTT de descente, en partenariat avec l’association Les Pieds à terre. “Les férus de vélo de descente font ainsi fonctionner nos télésièges durant l’été”, se réjouit Jean-François Genevray, directeur de la SEM. De quoi assurer un meilleur ROI après les sommes engagées pour la modernisation de ces remontées.
La montagne inspire les start-up
Un nombre croissant d’entreprises accompagne ces efforts de diversification, pour une montagne plus désirable chaque saison. La start-up meylanaise Mhikes (CA 2019 : 1 M€, 12 personnes) a imaginé une application sur smartphone qui permet de guider les utilisateurs sur des parcours touristiques et outdoor. Ce savoir-faire se prolonge à travers une activité BtoB, à destination des territoires et des entreprises du tourisme. Mhikes propose ainsi aux stations de montagne de valoriser des parcours multi-activités associant par exemple ski de randonnée, trekking, vélo, trail ou encore cheval… “Chacune des applications que nous développons contribue à enrichir l’expérience des touristes, en itinérance comme en séjour”, explique Stéphane Thébault, dirigeant cofondateur de Mhikes. Outre des stations comme Arêches-Beaufort, les Saisies ou encore le Grand Bornand, différents Club Med ont aussi adopté Mhikes pour animer les séjours découverte de leurs clients. Également basée à Meylan, la start-up Graaly a recours quant à elle à la réalité augmentée pour une gamification des sites. Elle a ainsi mis au point des escape games virtuels utilisant le décor des stations de ski. L’idée finale étant de guider le touriste vers des points d’intérêt en aiguisant son sens ludique. Plus prosaïque, la jeune entreprise Ecoload, à Moirans, a conçu des stations de recharge solaire pour les VTT électriques. Des petites haltes techno et design, installées en pleine nature, y compris sur les sentiers de montagne escarpés, pour accueillir deux ou trois vélos en même temps et recharger son smartphone.
Les hivers raccourcis ont peut-être sonné le glas du tout-ski. Ils relancent du même coup l’imagination des entreprises pour rendre la montagne plus attrayante toute l’année. Pour faire vivre ces territoires toute l’année, comme au temps du pastoralisme ? C’est en tout cas un argument étayé par les acteurs du tourisme. Pour le directeur de l’OT de l’Alpe-d’Huez François Badjily, “la meilleure répartition du chiffre d’affaires des stations de montagne au fil des saisons répond à des enjeux écologiques et sociaux. Permettre aux gens du pays de vivre sur place dans la montagne, à l’année, contribue aussi à la diminution des émissions de CO2”.
R. Gonzalez
Infos clés
La réduction de notre bilan carbone va de pair avec l’amélioration de la qualité du séjour.
C’est avant tout sur le volet transport que se joue la bataille contre le CO2
Un quart des GES émis en montagne provient des bâtiments
Un défi : faire grimper le chiffre d’affaires l’été quand celui de l’hiver a tendance à stagner
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