Automobile : Grenoble en pointe sur les nouvelles motorisations
Sévèrement ébranlée par la crise du Covid-19, la filière automobile est en pleine transformation. Avec le plan de relance de l’État, la réglementation européenne sur les émissions de CO2, le nouveau protocole sur le calcul de la consommation des véhicules et la sortie programmée du diesel dans l’agglomération, les entreprises grenobloises revoient leur stratégie. En toile de fond, l’attrait pour les nouvelles motorisations, toujours plus performantes.
Avec un marché des voitures particulières neuves en chute de près de 40 % sur les six premiers mois de l’année, le secteur automobile est en pleine mutation. Car si la crise du Covid-19 a fait reculer les immatriculations de 72 % en mars et de 88 % en avril, selon le Comité des constructeurs français d’automobiles, une hausse s’est fait de nouveau sentir dès le mois de juin (+ 1,2 % par rapport à juin 2019) grâce en partie aux aides gouvernementales pour l’achat d’un véhicule propre. Annoncé le 26 mai dernier, le plan de relance du secteur a en effet fait la part belle aux véhicules électriques, avec des bonus records pour leurs acheteurs. Un coup de pouce concomitant au changement de politique des constructeurs, qui, depuis l’entrée en vigueur de la réglementation européenne, le 1er janvier dernier, limitant les émissions de CO2 à 95 g/km pour les nouveaux véhicules, se sont lancés dans la production massive de véhicules à batteries.
Une progression inexorable des véhicules propres
En un an, la part de marché des voitures électriques a triplé (6 % des immatriculations) en France, et celle des hybrides rechargeables a quintuplé (3 %). “Nous avons fait pression pour que les véhicules thermiques les moins polluants soient éligibles à ces aides, explique Sylvain Massardier, responsable Auvergne-Rhône-Alpes du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA). Les concessionnaires doivent mixer les ventes de véhicules thermiques et électriques.” Résultat, depuis le mois de juin, les concessions ont été prises d’assaut pour tous les types de véhicules. “Beaucoup de curieux ont finalement acheté, confirme Christophe Bernigaud, directeur des concessions Jean Lain en Isère (300 salariés ; CA : 100 M€) et pas seulement du neuf. La prime à la conversion [NDLR : le plan de relance a rendu éligibles 75 % des ménages français] a beaucoup concerné le parc de véhicules d’occasion.” De son côté Alain Manuel, président du groupe Manuel (cinq concessions Renault, Dacia et Alpine en Isère, 250 salariés, CA : 140 M€) remarque qu’“il y a eu un alignement des planètes que la profession n’avait pas prévu, entre l’influence des primes à l’achat, le report d’achats dû au Covid et des vacances prévues en France, donc en voiture pour l’essentiel”.
Les entreprises revoient leurs flottes
Cette conjoncture atypique pour les professionnels du secteur s’est doublée d’une évolution des comportements d’achat pour les flottes d’entreprises. “Nous relevons encore une certaine retenue, mais les sociétés prennent beaucoup d’informations sur les véhicules propres, notamment les véhicules hybrides rechargeables”, constate Gunther Doll, directeur commercial de Mercedes Huillier (12 concessions, dont 3 à Grenoble, représentant 40 salariés sur 330 et 12 millions d’euros de chiffre d’affaires), dont 50 % de la clientèle est professionnelle. Le marché professionnel est aussi ralenti du fait de l’entrée en vigueur, le 1er mars dernier, du nouveau protocole de mesure des consommations, dit WLTP. Il a changé la donne dans la gestion des flottes, en imposant aux entreprises de revoir toutes les données techniques de leurs modèles. Faisant suite au “dieselgate”, les mesures d’aujourd’hui se rapprochent davantage de l’usage réel des véhicules. Les consommations officielles et les émissions de CO2 augmentent : celle d’une Peugeot 5008 est ainsi passée de 109 g/CO2/km dans l’ancien protocole, à 153 g avec le WLTP ! De quoi faire réfléchir les gestionnaires de flottes au moment de passer de nouvelles commandes, d’autant plus que la fiscalité s’alourdit mécaniquement. À ces paramètres réglementaires en faveur des véhicules propres, outre l’exonération de taxe sur les véhicules de société (TVS) pour les modèles émettant moins de 60 g/CO2/km, s’ajoutent les bénéfices pour l’image de l’entreprise qui en possède : “C’est un argument pour se vendre auprès des collectivités !”, soutient Alain Manuel. Surtout avec le bannissement progressif du diesel dans l’agglomération d’ici à 2025, dans le cadre de la zone à faible émission de Grenoble-Alpes Métropole. “Il existe une réelle prise de conscience de nos clients professionnels, remarque Christophe Bernigaud,de Jean Lain. Contrairement à nos clients particuliers, que nous commençons à informer à ce sujet.”
Bien calculer ses gains pour optimiser sa facture
Avec sa clientèle de gros rouleurs, Gunther Doll, chez Mercedes, estime que “le diesel a encore de beaux jours devant lui, car l’attractivité fiscale n’est pas assez forte pour que les transporteurs passent à l’essence, et le 100 % électrique ne marchera que lorsque l’autonomie approchera 600 km. Du coup, la tendance se porte plutôt vers l’hybride rechargeable (PHEV)”. Les constructeurs premium proposent en effet des véhicules pouvant rouler au moins 70 km en tout-électrique, contre 30 à 50 km pour les marques grand public. “Beaucoup d’entreprises y succombent pour leur fiscalité attrayante. Mais il faut bien faire ses calculs, car les commerciaux qui utilisent ces véhicules consommeront quand même beaucoup d’essence.” Analyser les usages de leurs collaborateurs s’avère donc crucial pour les entreprises. “L’hybride rechargeable est idéal pour un usage polyvalent, l’hybride classique doit se cantonner au périurbain, comme le 100 % électrique”, résume Christophe Bernigaud.
Le boom des véhicules électriques
Avec le plan de relance du secteur automobile, les véhicules 100 % électriques sont devenus plus abordables. Grâce aux bonus, les prix se rapprochent de ceux des motorisations thermiques. “Ils sont même faibles rapportés au coût d’usage de l’entreprise, et leur coût à la revente est important, note Alain Manuel, de Renault. C’est un peu comme le diesel il y a 15 ans : plus cher à l’achat, mais l’on s’y retrouve à moyen et long termes.” Les entreprises raisonnent aujourd’hui de façon globale avec le TCO (Total Cost of Ownership) qui comprend la consommation, les taxes comme la TVS, la location, la fiscalité, etc. “Elles regardent le coût de détention de A à Z et pas seulement le prix d’achat, étaye Fanny Sénezergues, directrice de Royal SA, à Meylan (CA : 47 M€ ; 45 salariés), qui vend 850 voitures par an (BMW et Mini) dont 350 aux entreprises. Il existe désormais un attrait très important pour nos 16 modèles de véhicules électriques – un gage d’image de marque –, notamment pour les grands comptes.” Aux gestionnaires de flotte d’intégrer en parallèle les coûts des bornes de recharge, l’impact de la planification des charges et des recharges régulières du véhicule.
La pénurie de bornes
Avec les bonus fiscaux, des batteries de plus en plus performantes (désormais incluses dans le prix du véhicule sans système de location, sauf chez Renault, à la demande) et un entretien mécanique minimal, l’électrique en usage urbain semble être la panacée. Pourtant, il reste tributaire au quotidien des infrastructures de recharge. À Grenoble, la plupart des bornes installées ne fonctionnent plus, car elles ont été conçues pour les iRoad de l’expérimentation Cité Lib by Ha:mo aujourd’hui terminée. D’ici fin 2021, la Métro en aura démantelé la plupart et “rétrofité” (remis à niveau) 27 d’entre elles, ce qui portera le parc en service à 55 bornes (dont 15 dans les parkings relais de Seyssins, Gières et Vif). “Mais vu le nombre de véhicules hybrides ou électriques, ça ne suffira pas, regrette Fanny Sénezergues, chez Royal SA. Dans le Grésivaudan, nos clients résidant en maison se rechargent chez eux, mais les citadins à Grenoble pâtissent des bornes déjà occupées ou de problèmes de copropriété pour en installer.” La question est épineuse, alors que la loi d’orientation des mobilités impose qu’en 2022 tous les nouveaux immeubles possèdent une prise pour chaque place de parking. Signe de l’engagement de l’État pour la mobilité électrique, le secrétaire d’État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, entend accélérer le déploiement de 100 000 bornes (contre 30 000 aujourd’hui) en 2021, plutôt que 2022.
Ça roule pour l’hydrogène
Annoncé pour la décennie 2030, le déploiement massif de véhicules à hydrogène, qui concernera d’abord les flottes captives, semble sur la bonne voie, grâce notamment aux acteurs grenoblois. Avec, en toile de fond, le projet Zero Emission Valley porté par la Région. Il a retenu le consortium MAT, formé par McPhy, TSM (installé à Champ-sur-Drac, 34 salariés, CA : 4,8 M€) et leur partenaire savoyard Atawey, pour la construction de 14 stations. Celui-ci vise à mailler le territoire régional de 20 stations de recharge (dont deux à Grenoble) et de 1 000 véhicules à hydrogène, que différentes aides publiques (Région, Union européenne et Métro) permettent d’acquérir avec un rabais pouvant atteindre jusqu’à 18 000 euros. Ce projet structurant s’inscrit dans le plan national hydrogène, qui prévoit à l’horizon 2028 de créer 400 à 1 000 stations et 20 000 à 50 000 véhicules utilitaires légers en circulation, pour 800 à 2 000 véhicules lourds. Car c’est bien sur le segment des véhicules puissants et parcourant de longues distances que l’hydrogène entend s’imposer.L’accélération se confirme au niveau européen Si les bus à hydrogène roulent déjà, les poids lourds sont encore en phase de développement. “La pile à combustible permet d’obtenir une densité d’énergie très importante et de faire le plein très rapidement, contrairement aux recharges des véhicules électriques, explique Benoît Hilbert, directeur général d’Air liquide advanced Technologies, à Sassenage (1 200 salariés), où a été développée la première station hydrogène au monde il y a 20 ans. On constate actuellement une accélération des développements des solutions hydrogène.” Couvrant l’ensemble des technologies liées à ce gaz, Air liquide a investi l’an dernier dans Hydrogenics, spécialiste des électrolyseurs (produisant de l’hydrogène sans émission de CO2), et continue en parallèle d’innover dans la valorisation du biométhane. “Une technologie qui permet, pour les camions, de réduire jusqu’à 85 % d’émissions de particules et jusqu’à 90 % de celles de CO2 par rapport au diesel”, explique Benoît Hilbert. Plus de 80 stations “bio GNV” de recharge des véhicules ont été ouvertes dans toute l’Europe.
Grande accélération aussi pour un autre champion grenoblois de la pile à combustible, Symbio (CA : 4,5 M€ ; 250 salariés). Détenue par Michelin et Faurecia, l’entreprise de Fontaine vise en 2030 la production de 200 000 stackpacks permettant de prolonger l’autonomie des véhicules électriques, avec une forte intensification à compter du milieu de la décennie. Un horizon qui se rapproche rapidement, au point que Symbio et le CEA, partenaires depuis dix ans, ont signé un accord-cadre en juillet dernier. Il prévoit que les équipes de R&D des deux entités travaillent conjointement en vue d’industrialiser plus rapidement des systèmes hydrogène destinés aux transports. Ceux-ci, moins coûteux, plus performants et plus faciles à intégrer dans les véhicules, préparent, depuis Grenoble, la prochaine rupture technologique dans la mobilité.
F. Baert
Bonus pour l'achat d'un véhicule propre
Le bonus pour l’achat d’un véhicule 100 % électrique est de 7 000 € (contre 6 000 € auparavant).
Pour les flottes professionnelles, il est de 5 000 € (contre 3 000 € au début de l’année). Le véhicule ne doit pas dépasser 45 000 € pour un bonus à taux plein et 60 000 € pour bénéficier d’une aide. |
La prime à la conversion
Pour les particuliers ayant moins de 18 000 € de revenu fiscal et souhaitant remplacer leur ancien véhicule polluant :
• 3 000 € pour l’achat d’un véhicule thermique (de moins de 50 000 € et émettant moins de 137 g/CO2/km WLTP) ; • 5 000 € pour un véhicule électrique ou hybride rechargeable à l’autonomie supérieure à 50 km. |
Chiffres clés
• 13 700 véhicules électriques ont été immatriculés en juin, soit 3 fois plus qu’en juin 2019.
• 18 000 € est le montant maximal de la subvention attribuée par la Métro aux professionnels souhaitant remplacer un véhicule ancien par une voiture “propre”. |
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