Crise du Coronavirus, anticiper et s'adapter, malgré tout…
Au-delà des secteurs directement affectés par la pandémie de Coronavirus, beaucoup d’entreprises ont été prises de court par les mesures d’urgence adoptées par le gouvernement et leurs conséquences. Quels pilotage et décisions prendre afin de pérenniser l’activité ? Au-delà de l’urgence, comment gérer les impacts en interne et en externe ? Sur quelles ressources s’appuyer ? À moyen terme, comment anticiper la reprise, et apprendre de la situation pour devenir une entreprise plus résiliente face aux crises ?
Les mesures d’urgence d’abord adoptées en Chine puis en Italie, s’imposent désormais partout en Europe, et même dans le monde. Les premiers secteurs violemment impactés – l’événementiel, la culture, l’hôtellerie, les voyages, le transport, la formation… - s’étendent désormais à l’ensemble de l’économie, avec l’entrée en phase 3. Seules quelques activités conservent un rythme d’activité soutenu, renforcé par les comportements de stockage, parfois irrationnels, observés en temps de crise. Des secteurs de l’agro-alimentaire, de la distribution, de la livraison, des réseaux, l’ensemble des fournisseurs faisant fonctionner les structures hospitalières ou positionnés sur la filière des soins aux personnes, doivent faire face, à l’inverse, à des pics d’activité rarement enregistrés. Il n’en demeure pas moins que la récession, au niveau mondial, est certaine, sur un trimestre à minima. Bercy vient de présenter son projet de loi de finances rectificatif fondé sur un recul de PIB de -1% en 2020. Et l’effondrement des chiffres d’affaires lié à la disparition même de l’activité impose pour les entreprises un pilotage ad hoc.
Conserver les capacités de prise de décision
La première recommandation est, quoi qu’il advienne, et face à une situation évoluant au jour le jour, de conserver calme et sang-froid. « Il est important de résister aux comportements spontanés de déni, de colère ou de paralysie. Le déni pouvant consister à dire « ce n’est pas grave » ou « ça ne passera pas par nous », la colère pourrait signifier en vouloir aux Chinois ou au gouvernement, et l’inertie attendre que le gouvernement gère à votre place. Il est essentiel de garder trois méthodes en tête, infaillibles et aux effets démontrés par l’imagerie médicale. La première est de rester en permanence en questionnement et en anticipation. La seconde, plutôt agréable, est l’humour. Et la troisième est de respirer en mode ventral et d’être à l’écoute des bruits qui vous entourent », propose Bertrand Robert, fondateur du cabinet de management de crise Argillos et expert intervenant auprès des clubs APM (Association Progrès du Management). Dès lors, si votre chiffre d’affaires s’effondre ou l’activité même de l’entreprise est entravée – dans le cas des fermetures de commerces ou sites industriels – il faut immédiatement prendre conscience qu’il en sera de même pour tous les autres établissements en France et en Europe, ce qui suppose des mesures d’urgence adaptées. Au niveau européen, des liquidités ont été débloquées permettant aux banques de chaque État de pratiquer un rééchelonnement des crédits bancaires et de délivrer des prêts de trésorerie, garantis dans l’Hexagone par Bpifrance à hauteur de 300 Md€. Elles doivent éviter la paralysie instantanée des entreprises, et leur permettre de faire face à leurs échéances de court terme (dont le versement des salaires). L’ensemble des échéances fiscales et sociales sont, elles, reportées. Les dispositifs de chômage partiel sont simplifiés, et même soutenus ou encouragés, de même que l’arrêt de travail pour garde d’enfants. Si les décisions sont prises et les différents leviers activés, les entreprises pourront alors traverser l’orage. Les pertes de marchandises périssables dues à la décision de fermeture des établissements de restauration peuvent faire l’objet de nouvelles solidarités de proximité : une fois les pertes enregistrées, des dons peuvent être faits aux associations caritatives, aux résidences de personnes âgées ou étudiantes, aux établissements de santé, aux saisonniers des stations. L’enjeu étant de ne pas gaspiller ce qui se révèle précieux pour les populations en situation de confinement.
Affirmer la force du collectif
Une deuxième recommandation majeure : dans cette situation inédite, ne pas rester seul. Les entreprises qui ont constitué des « cellules de crise » ou des « task force », avec des rôles précis assignés aux membres d’une équipe – suivi au jour le jour du plan de charge, des commandes clients, évaluation des soucis d’approvisionnement et de logistique présents ou à venir, état des personnes en situation de travailler, diagnostic des tâches à réaliser en télétravail… - ont adapté en permanence le navire et l’équipage à l’évolution de la tempête. C’est aussi ce collectif qui permettra, une fois le calme revenu, d’identifier les avaries et de réparer les dommages afin de reprendre la navigation vers le cap souhaité. Pour les dirigeants seuls à la tête de leur petite entreprise, la solution peut être de se tourner, de préférence par mail compte tenu des décisions de télétravail, vers leurs interlocuteurs ressources : experts-comptables, conseillers de clientèle de leur banque, avocats, gestionnaires de paie, médecine du travail…
L’ensemble des organismes en lien avec les entreprises - ont aussi mis en place des structures d’interface dédiées pour étudier toutes les situations et cas de force majeure : l’État a ainsi désigné un référent unique au sein de la Direccte de chaque région et département, et le réseau des CCI a depuis février dernier réactivé les cellules de continuité économique, destinées à atténuer les effets de la pandémie sur les PME et TPE du territoire (voir numéro d’urgence et liste des mesures)
Privilégier le principe de solidarité, avant celui des résultats à court terme
Troisième conseil, de l’ordre de la certitude celui-ci : les entreprises qui raisonneront exclusivement « évolution de l’Ebitda * » auront toute chance de ne pas aller bien loin. Car l’urgence de la situation – prendre les dispositions de prévention et d’hygiène nécessaires, sécuriser les approvisionnements… - imposera bien souvent de libérer, au contraire, des liquidités disponibles, sans certitude qu’elles s’accompagnent de recettes immédiates, ou même planifiées dans le cadre d’une activité normale. À l’inverse, les fournisseurs et clients choyés se souviendront immanquablement, en sortie de crise, de l’apport ou de la sécurité manifestés par une entreprise en ces temps troublés. Un point absolument crucial, au moment où la crise interroge profondément l’organisation de l’ensemble des chaînes de valeur de grandes filières stratégiques, à commencer par la santé, l’énergie, les équipements de transport, l’alimentaire, mais aussi la chimie/pharmacie. Aux niveaux national et européen, sont ainsi lancées des réflexions autour de la sécurisation des approvisionnements et de l’indépendance souveraine de maillons critiques des chaînes de valeur, susceptibles de rebattre quelques cartes, dans l’industrie automobile et les filières électroniques en particulier.
Au niveau du commerce, verra-t-on en France les mêmes messages d’amitié et de solidarité exprimés par les Italiens sur les devantures fermées des boutiques de proximité ? Si le commerce en ligne a toutes les chances de tirer son épingle du jeu, il est à souhaiter que les habitants réalisent aussi ce que devient un pays en termes d’animation, de lieux de vie, d’attractivité des quartiers, lorsque l’ensemble du commerce est sommé de fermer boutique. La prise de conscience serait alors salutaire.
Travailler la cohésion d’équipe et la résilience de l’entreprise
Car il y aura bien un « après » crise du Coronavirus. Pour commencer, dans le monde de la consommation (commerce, mode, sorties, loisirs, restauration…), il se traduira nécessairement par un effet rattrapage. Il faudra alors faire face à la frénésie de loisirs, de shopping, de voyages, de la part d’une population restée longtemps isolée et confinée. Il sera aussi temps de continuer à recruter, à former. Gare alors aux entreprises qui n’auront pas suffisamment anticipé, ou auront géré « sauvagement » leurs ressources humaines en temps de crise. Prendre régulièrement des nouvelles des personnes en situation de quatorzaine, des équipes en télétravail pour s’assurer de leurs besoins, et même des salariés touchés par le Coronavirus, est ainsi absolument indispensable pour maintenir la solidarité nécessaire et le lien avec l’entreprise. Il convient également de prendre soin, comme évoqué, des clients et fournisseurs, d’entendre les difficultés, de tenir à sa disposition la liste des organismes ressources à contacter… Bref, de rester disponible et à l’écoute de chacun dans cette période.
Dans un deuxième temps, au-delà des actions commandées par l’urgence, viendra le temps du retour d’expérience et de l’apprentissage. Une étape fondamentale pour tirer les enseignements collectifs sur la performance et les valeurs réelles d’une organisation, et aborder les prochaines étapes. Crise climatique, flux migratoires, nouvelle pandémie, guerre économique… Les risques ne sont pas absents d’un monde traversé par de sérieux déséquilibres. Et si la crise du Coronavirus n’était qu’un épisode, une répétition générale, d’un temps désormais marqué par l’incertitude, la volatilité, et la répétition des scénarios de crise ? Il ferait alors de la résilience - ou la capacité à répondre de façon souple, agile aux crises, à en ressortir plus fort, plus aguerri mentalement - la qualité numéro un des dirigeants et de leur entreprise.
E. Ballery
* Earnings before interest, taxes, depreciation and amortization (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements), caractérisant le niveau de profitabilité d’une entreprise.
Impacts de la pandémie
. Entre 300 000 à 500 000 décès estimés en France en l’absence de mesures de prévention et de confinement
. 400 personnes en réanimation en France au 15 mars, dont le nombre double toutes les 72h
. Dans l’alimentaire, augmentation des ventes en ligne de +29 % entre le 2 et 8 mars, de +9,4 % en hyper et supermarchés.
. 45 Md€ d’aides immédiates, 300 Md€ de garanties pour les prêts aux entreprises.
. Suspension des factures d’énergie et des loyers pour les petites entreprises en difficulté.
. La BCE accorde des prêts de long terme aux banques qui financent l’économie réelle, à -0,75% à compter du 24 juin.
Sources : Imperial college de Londres, Institut Pasteur, Institut Nielsen
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