Virginie Monvoisin, enseignante chercheuse en économie monétaire, macroéconomie, financiarisation
« L’Europe doit réinventer son espace économique »
Quelles conséquences économiques entraîne le conflit en Ukraine ?
Je retiens trois faits marquants : la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie, et la forte dépendance alimentaire envers la première région exportatrice de blé et d’engrais dans le monde. Or, notre agriculture intensive, en Europe, utilise beaucoup d’engrais, et le nord de l’Afrique dépend étroitement des approvisionnements en céréales. Enfin, je note que l’arme des sanctions financières n’est pas qu’à notre avantage. En considérant tous ces facteurs, je ne peux être qu’inquiète. Il existe des risques que cette crise géopolitique, touchant un pays aussi important que la Russie, aboutisse à une crise financière, d’ampleur systémique !
Quels seraient les mécanismes à l’œuvre ?
L’économie russe, depuis les premières sanctions de 2014, a su montrer une certaine résilience. L’Europe apparaît bien moins préparée à faire face à des pénuries d’approvisionnement. Or, si les banques centrales remontent leur taux directeur en réaction à une inflation élevée, cela peut déclencher une crise de la dette pour les États, mais aussi pour les entreprises privées, lourdement endettées au sortir de la crise Covid. L’augmentation du taux de défaillance fragiliserait à son tour le système bancaire, ce qui déclencherait une crise financière systémique. D’autres facteurs cumulatifs s’ajoutent, comme des confinements en Asie qui bloquent des approvisionnements…
Quelles leçons retenez-vous ?
Elles coïncident avec celles de la pandémie, qui ont aussi révélé nos manques. L’Europe a accordé une confiance excessive dans la libéralisation des échanges et du commerce international. C’est ce qui avait fait la force de la CEE jusque dans les années quatre-vingt-dix. Mais tout a changé depuis. De nouvelles puissances ont émergé. La guerre, comme la pandémie, viennent réinterroger l’organisation de nos chaînes de valeur. Il nous faut revenir à des politiques plus keynesiennes. Elles ne signifient pas forcément accroître la dépense publique, mais devenir un État stratège, sur le numérique, la défense, l’alimentation, la santé, le spatial aussi. L’Europe doit se doter des moyens de viser une indépendance économique et industrielle.
E. Ballery
Commentaires
Ajouter un commentaire