Du « capitalisme trimestriel » à l’« urgence du long terme » : pour une vision féconde du temps en entreprise
Mobilisée avec malice et clairvoyance par l’astrophysicien Etienne Klein, puis le Prix Nobel d’économie Jean Tirole, la formule désignant l’« urgence du long terme » rappelle à quel point la perspective temporelle est au cœur de la hiérarchie des conceptions de la performance et de la légitimation des valeurs qui les sous-tendent. De façon très claire, si l’on se place au niveau de la direction d’une entreprise, la rentabilité peut être vue comme un moyen permettant d’assurer la pérennité et une contribution à une mission élargie (intégrant le lien social, le bien commun ou la préservation de l’environnement), ou comme une finalité au service de laquelle tous les moyens mobilisables (y compris des moyens destructeurs vis-à-vis du lien social ou de l’environnement) seront jugés pertinents (à l’aune unique de la contribution à la rentabilité).
Force est aujourd’hui de constater deux choses essentielles : la domination de la seconde conception, et le développement, bienvenu et souvent rendu possible par des intérêts économiques mieux compris, de la première.
La seconde conception renvoie au « capitalisme trimestriel », expression attribuée à Andrew Haldane, chef economiste de la Banque d’Angleterre, qui l’aurait utilisée pour la première fois en 2011. Elle décrit les dérives d’une recherche accrue du profit à court-terme (en référence à l’échéance de la fin du trimestre) aux dépens de performances élargies à long terme intégrant les dimensions économiques, sociales et environnementales qui caractérisent la RSE.
Vers un partage de responsabilités permettant de « lever le nez du guidon »
Compétitivité (une vision à long terme de la performance de l’entreprise, qui se construit généralement avec des partenaires) et rentabilité (une performance reflétant généralement une vision à plus court terme) sont intrinsèquement et potentiellement vertueusement liées puisque la rentabilité permet d’investir et de développer la compétitivité, qui à son tour permet de renforcer la capacité à générer des bénéfices. Une focalisation excessive sur les performances à court terme (la rentabilité donc) empêche cependant le cercle vertueux décrit de se mettre en place sur la durée. Les raisons des dérives évoquées sont connues. L’une d’elle, peut-être aussi importante que les attentes exprimées par les actionnaires, réside dans le climat d’incertitude renforcé dans lequel opèrent les entreprises. Sur ce point la responsabilité politique est grande. Dans la difficulté d’anticiper les réformes à venir et donc d’opérer de réels choix sur le long terme, les dirigeants sont contraints de composer avec une incertitude souvent grandissante et à optimiser leurs décisions sur un horizon temporel court. Les amateurs de cyclisme savent pourtant bien qu’on ne gagne pas le Tour de France en sprintant, mais en construisant, puis en mettant patiemment en place une stratégie évolutive.
Le retour du long terme dans les stratégies mises en œuvre au sein des entreprises repose sur des responsabilités forcément partagées, y compris avec les salariés, en interne comme chez les partenaires économiques (clients et fournisseurs notamment). Complexe, le sujet s’avère donc appropriable, et c’est sans doute la meilleure des nouvelles, par chacun et chacune.
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