Quelle santé pour l’immobilier d’entreprise ?
Alors que l’Isère, et particulièrement la région Grenoble Alpes, ont mieux résisté que d’autres territoires aux secousses post-Covid, la situation économique, 18 mois après le début de la pandémie, demeure fragile. Et si l’immobilier d’entreprise a retrouvé un rythme dynamique, le décalage entre l’offre et la demande devient problématique pour l’ensemble des parties prenantes. Trouver la solution à cette équation s’impose comme le défi des années à venir.
« Dès le mois de mai 2020, l’activité a rebondi. Depuis, la dynamique se poursuit sans que l’on observe le moindre ralentissement, explique Guillaume Woutaz, responsable d’agence chez Arthur Loyd Grenoble. La demande est forte actuellement, mais nous avons du mal à y répondre, tant le stock de locaux d’activités disponibles est faible et déséquilibré. » Côté chiffres, la demande placée du premier semestre 2021 représente plus de 33 000 m² commercialisés, avec près de 60 % des transactions en location et environ 40 % à la vente. Si cela correspond à une progression de 123 % par rapport au premier semestre atypique 2020, ces chiffres sont très légèrement supérieurs à ceux de 2019 (+ 4 %).
Locaux d’activité : une situation critique
Très dynamiques sur le territoire comme dans l’ensemble de l’Hexagone, l’industrie et les activités de logistique et de messagerie ressortent comme les principaux demandeurs. Parmi eux, les grands groupes industriels solides et les start-up innovantes qui entrent en phase d’industrialisation. La progression de l’e-commerce ne s’essoufflant pas depuis son explosion en 2020, la demande des entreprises spécialisées dans la logistique est également en hausse, notamment pour les sociétés de messagerie qui assurent le dernier kilomètre. Face à cela, l’offre à la vente est très insuffisante. « Lorsqu’un bien rentre, il est vendu en 24 heures ! », confie Guillaume Woutaz. « La situation est critique dans toute la grande région grenobloise, confirme Hugues de Villard, directeur d’Axite CBRE à Grenoble, d’autant que la pénurie de locaux d’activités concerne aussi la location. Nous devons parfois faire des appels d’offres pour sélectionner l’entreprise locataire. Récemment, nous avons par exemple reçu huit offres pour un entrepôt dans l’agglomération grenobloise. »
Recherche bureaux désespérément !
Avec 24 500 m² de bureaux commercialisés en location et en vente, le premier semestre affiche une belle vitalité, puisque ce chiffre correspond à une hausse de 60 % par rapport à 2020, et de 11 % par rapport à 2019. Pour Guillaume Woutaz, « la sidération provoquée par la pandémie est derrière nous. Les entreprises ont avancé en matière d’organisation du travail ; elles ont aujourd’hui une vision claire de leurs besoins, mais nous avons bien du mal à les satisfaire… »
Si la montée en puissance du télétravail a fait revoir à la baisse les besoins des entreprises en matière de superficie recherchée (-25 % en moyenne), cette tendance n’est pas non plus systématique et dépend de la culture d’entreprise. L’exemple de HP illustre cette approche nouvelle. D’ici la fin de l’année en effet, 600 collaborateurs quitteront le bâtiment historique de 11 000 m² situé à Eybens pour s’installer sur la Presqu’Île, dans l’immeuble Y.Spot Partners, où le groupe louera 4 000 m². L’organisation du travail et les aménagements intérieurs ont été pensés dans les moindres détails afin de limiter l’ensemble des coûts de l’entreprise, sans réduire le confort de travail des salariés. Un phénomène attesté par Hugues de Villard : «Les entreprises adoptant le principe des bureaux partagés souhaitent également des espaces de travail collectif agréables et des locaux sociaux chaleureux (espaces de restauration et de détente) afin d’améliorer la qualité de vie au travail. »
La situation de l’immobilier de bureaux se révèle tout aussi complexe, car là encore prédomine un faible stock disponible dans le neuf, alors que c’est ce que les entreprises recherchent. « Aujourd’hui, les sociétés veulent des locaux qui dynamisent leur image de marque et favorisent les recrutements. Elles désirent s’installer dans des sites faciles d’accès, notamment en transports doux, et dans des bâtiments dont la consommation énergétique est maîtrisée, safe et conviviaux. » Si les programmes neufs lancés en blanc comme Y.Spot ou le Signal se commercialisent très bien, la pré-commercialisation reste difficile, car les délais de livraison supérieurs à 18 mois s’avèrent trop longs pour les entreprises qui cherchent une nouvelle implantation.
Commerces : le dynamisme d’un secteur en mutation
« Contrairement aux idées reçues, la crise sanitaire n’a pas eu l’impact redouté en matière de dépôts de bilan, car les aides publiques ont permis de soutenir les commerçants » remarque Hugues de Villard. Le commerce est le secteur le plus dynamique du moment grâce à la fluidité entre l’offre et la demande. « On sent une confiance en l’avenir, ce qui génère du mouvement », observe Sylvain Michalik, directeur de l’agence BNP Paribas Real Estate, à Montbonnot, et président de la FNAIM Entreprises 38. Les chiffres de la FNAIM en témoignent puisqu’au premier semestre 2021, plus de 6 200 m² ont été placés, soit une hausse de 150 % par rapport à 2020. Ce chiffre est cependant inférieur de 40 % à celui de 2019.
La pandémie a rebattu les cartes. Alors que les enseignes nationales bas de gamme ont reculé, le Covid n’ayant fait qu’accélérer un repli déjà amorcé, Guillaume Woutaz note cette année « une montée en puissance des indépendants avec une activité à plus forte valeur ajoutée qui répond aux nouvelles tendances de consommation ».
Les commerces de proximité, notamment ceux qui privilégient le local et développent des projets plus originaux (secteur alimentaire, concept-store, produits de seconde main par exemple) ont le vent en poupe. La clientèle est plus attentive en matière d’origine des produits, de leur impact sur l’environnement, mais aussi plus attachée à la qualité de la relation humaine, du conseil et du suivi. On remarque par ailleurs que le mouvement de fermeture des points d’accueil des banques et des assurances s’affirme, les services en ligne prenant progressivement le pas sur l’activité traditionnelle des agences physiques.
Grenoble intra-muros est de plus en plus attractive et le taux de vacance, en baisse continue depuis trois ans, est aujourd’hui de 7 % seulement. Les loyers y restent globalement stables en valeur, qu’il s’agisse des principales artères commerçantes ou des zones commerciales de la périphérie.
Des investissements exigeants
Avec 71 M€ investis pour le seul premier semestre 2021, la FNAIM enregistre un chiffre historique, en progression de 42 % par rapport à 2020 et de 38 % par rapport à 2019. Sylvain Michalik, son président, constate que « l’investissement en immobilier d’entreprise est sans équivalence et demeure un des rares supports fiables offrant des rendements intéressants compris autour de 6 ou 7 %. » Il souligne cependant que « les acquéreurs ne s’intéressent qu’au neuf et se désengagent des bâtiments vieillissants dont les performances énergétiques ne coïncident pas avec les impératifs du décret tertiaire et ne correspondent plus aux usages actuels. »
Bien que la demande soit très forte et qu’il y ait peu de produits à vendre, la prudence reste de mise chez les investisseurs dont le niveau d’exigence est très élevé, qu’il s’agisse d’acteurs institutionnels et de fonds, de promoteurs ou de particuliers. Leurs critères de sélection ? L’emplacement, la qualité du locataire, la durée ferme du bail et la qualité technique de l’actif. Pour Guillaume Woutaz, la rareté de l’offre et la prudence des investisseurs ont tendance à figer le marché : « On se regarde un peu en chiens de faïence et lorsqu’un bien se présente, la concurrence est très très rude, surtout pour les bureaux qui représentent plus de la moitié des montants investis ! ».
B. Magne et R. Gonzalez
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