Logement : la reprise se fait attendre
Le marché du logement traverse une crise profonde, d’une gravité « peu connue », selon certains observateurs. Toutes les professions liées au secteur se voient impactées, avec à présent d’importantes répercussions sur les finances publiques et les budgets des collectivités. À Grenoble comme au niveau national, la résilience prévaut. Pour combien de temps encore ?
La crise… Depuis un an, le mot est omniprésent chez les acteurs du logement. Des entreprises du bâtiment aux notaires, des promoteurs aux architectes, toute la filière subit les conséquences du recul drastique du secteur : –22 % de ventes de logements anciens en 2023 en France pour la Fnaim, et seulement 100 000 logements collectifs neufs vendus, alors qu’en moyenne, près de 160 000 d'entre eux trouvent acquéreurs chaque année… En Isère, les ventes d’appartements neufs connaissent une baisse de 39 %. « Une des pires années pour le logement collectif », annonce la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). La demande est au plus bas, l’offre à l’arrêt, le foncier rare, voire inexistant.
Tous les segments concernés
Cette situation découle principalement de la diminution du pouvoir d’achat des acquéreurs, due au resserrement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Elle a entraîné une hausse abrupte des taux d’intérêt, et donc du montant du crédit, suscitant la baisse des ventes. Une tendance accentuée par la forte augmentation des coûts de la construction, liée à l’inflation des prix des matériaux et de l’énergie en 2022, ainsi que par le fléchissement du nombre de permis de construire délivrés en France, en recul de 19,8 % entre avril 2023 et mars 2024. Se sont encore ajoutées des mesures défavorables, comme le recentrage du prêt à taux zéro, ou la réduction des dispositifs de soutien à l’investissement. « L’automne 2022 a amorcé la baisse du volume de transactions au plan national et local. Cette décrue s’est installée en 2023, et devrait globalement se poursuivre en 2024 », analysait Stanislas Dufresne, président de la Chambre des notaires de l’Isère, lors de la présentation, fin mars, de la 4e édition de l’Observatoire de l’immobilier des notaires. Quels que soient les territoires, la situation s’érode trimestre après trimestre et plonge toutes les branches d’activités dans l’inquiétude. « Il y a un besoin urgent de loger la population (…). Mais tous les indicateurs sont dans le rouge avec des carnets de commandes des entreprises qui se sont vidés ou allongés », confirme Bertrand Converso, président de la Fédération du bâtiment pour l’Isère.
En quête d’investisseurs
La catégorie des investisseurs particuliers est particulièrement touchée. Or, ces candidats acquéreurs sont essentiels au fonctionnement du marché de l’immobilier locatif. La baisse de leur pouvoir d’achat, l’arrêt des dispositifs publics de soutien à l’immobilier neuf pour les investisseurs locatifs, tel que le programme Pinel, l’exigence de réaliser des travaux de rénovation, ou encore l’encadrement des loyers dans certaines grandes villes, les ont contraints à revoir leur projet. Les ventes auprès des investisseurs particuliers ont ainsi été divisées par deux l’an dernier. « Ces acheteurs vont se raréfier à cause de charges plus élevées, de capacités d’investissement plus contraintes, ou d’obligations à rénover et à améliorer l’habitat, analyse Clément Dubreuil, notaire à Grenoble. Les travaux effectués dans ces logements restent juridiquement à la charge des investisseurs privés. Mais sans rentabilité suffisante, ou faute de pouvoir financer le coût de la rénovation, il est à craindre qu’ils délaissent l’entretien de leurs biens, voire renoncent à le relouer en raison de contraintes réglementaires trop fortes. » À Grenoble, il est estimé que près de 50 % du parc de logement serait à rénover.
Défaillances et licenciements
Dans ce contexte, des effets immédiats se font déjà sentir. Les faillites chez les promoteurs se multiplient, bondissant de 34 % en un an. De grands groupes réduisent les emplois (500suppressions annoncées pour Nexity). Les entreprises du bâtiment ont perdu 13 300 postes entre les 4e trimestres 2022 et 2023, indique la Fédération du bâtiment (FFB), et –3,4 % de leurs effectifs sur le dernier trimestre en Isère. D’ici à 2025, la crise pourrait mettre en péril 300 000 emplois chez les acteurs de la construction, alerte la FFB, dont 150 000 dans le bâtiment et l’autre moitié dans les métiers gravitant autour, comme les promoteurs, les assurances, les bureaux d’études. « Avec un chiffre d’affaires en baisse de 20 %, nous avons été contraints de supprimer plus d’une cinquantaine d’emplois intérimaires et d’élargir le rayonnement géographique de nos chantiers », souligne Adrien Cartier, directeur général de l’entreprise de gros œuvre SMBA, à Fontaine. La crise conjoncturelle, conjuguée à une crise structurelle, oblige la filière à prendre des mesures pour pérenniser l’activité. Mais combien de temps tiendra-t-elle encore ?
Choc de simplification
Car les perspectives d’avenir restent floues. Les acteurs critiquent le manque d’engagement du gouvernement, comme des acteurs locaux sur le sujet. Chacun justifie ses scénarios de sortie de crise – « un salut » avec un « électrochoc fiscal d’ampleur », pour les notaires, « l’application d’un choc de simplification, de stabilité », selon Bertrand Converso, « un soutien massif aux investisseurs avec le statut de bailleur privé », défend Vincent Davy, pour la FPI Isère. Une lueur d’espoir pourrait provenir d’une baisse des taux d’intérêt des crédits à l’habitat, dont un premier fléchissement a été observé en février 2024. Pour la première fois depuis l’année 2022, le taux d’intérêt moyen, hors frais et assurances, s’est établi à 3,97 % en mars 2024 – sous le seuil symbolique des 4 % – contre 4,11 % en février et 4,17 % en janvier. « Il s’agit de la fin de la hausse et du début de la baisse », affirme Olivier Danès, directeur de la Banque de France Isère. « Ce qui est très encourageant, mais reste à confirmer, en juin, par une baisse du taux directeur de la Banque centrale européenne », nuance-t-il.
« Recaler le logiciel »
De quoi espérer un retour des acheteurs ? « Il existe déjà un frémissement sur le marché des transactions depuis le début de l’année, en raison de la baisse de l’inflation et de la stabilisation des taux bancaires », observe Stéphane Chaissé, président de la Fnaim 38. Encore faut-il que la demande suive. « Avec cette hausse des taux rapide et forte, une partie du pouvoir d’achat immobilier a été affectée. Si les taux devraient revenir à la normale et s’équilibrer dans le temps, les banques n’en constatent pas moins une forme d’attentisme des acheteurs. Il faut pouvoir recaler le logiciel ». Les banques se déclarent plus disposées à accorder des prêts. Les prix à l’achat tendent à baisser légèrement et dans le même temps, le gouvernement s’engage à proposer une loi sur le logement annoncée comme un « choc de l’offre ». Les effets seront-ils suffisants pour recréer de la confiance et faire redémarrer le moteur ? Le temps presse, et les mois sont comptés.
R. Charbonnier
Que contient le projet de la loi sur le logement ? Très attendu, le projet de loi « relatif au développement de l’offre de logements abordables » a été présenté en Conseil des ministres le 3 mai dernier. Il vise à apporter des réponses à la crise traversée par le secteur. Son premier article prévoit la prise en compte du logement locatif intermédiaire (logement bénéficiant de loyer plafonné inférieur aux prix du marché) dans les objectifs de logements sociaux, imposés par la loi SRU. Un volet qui concernerait seulement les communes qui ne respecteraient pas leurs obligations. L’autre axe envisagé consiste à donner plus de pouvoir aux maires dans l’attribution de logements sociaux neufs, en leur fournissant des outils pour maîtriser le foncier et réguler l’inflation immobilière. La loi prévoit par ailleurs un « choc de l’offre » en facilitant la construction, l’acquisition, l’amélioration et la gestion directe de logements locatifs intermédiaires par les bailleurs sociaux, ou encore la réduction des délais de recours pour les demandes d’autorisation d’urbanisme. |
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