Comment Grenoble prépare l’avenir de l’industrie ?
Positionner la France au niveau mondial sur les filières d’avenir, tout en décarbonant massivement l’industrie… tels sont les défis lancés par le programme France 2030. Comment se situent les entreprises iséroises face à ces enjeux de transformation ? Quels investissements, nouveaux outils de production, innovations de rupture engagent-elles pour se projeter à l’horizon 2030 ? En quoi une stratégie internationale est-elle une voie de succès ? Interviews d’experts et dirigeants.
Lancé en 2021, le plan d’investissement France 2030 vise à favoriser l’innovation, l’industrialisation, la recherche et la formation, pour renforcer la souveraineté industrielle et technologique dans des domaines stratégiques pour le futur. En février dernier, 30 Md€ avaient déjà été engagés sur les 54 Md€ du programme. Ils ont permis de financer 3 500 projets au niveau national dans les secteurs de la santé, l’espace, les fonds marins, l’informatique quantique, ou encore liés à la décarbonation de l’industrie ou à une meilleure gestion de l’eau. « Au-delà de cet investissement de l’État, France 2030 a redonné un élan au pays ! a proclamé Bruno Bonnell, secrétaire général pour l’investissement en charge de France 2030, lors de la première édition de Tech&Fest, à Grenoble, en février dernier. Une dynamique territoriale s’est créée en France, constate-t-il. Il faut noter que 60 % des lauréats sont des ETI, PME, TPE et 60 % sont situés hors Île-de-France. Avec ce programme, l’État n’attend pas un retour sur investissement, mais un retour sur le territoire, l’emploi, la qualité de vie, l’environnement. Nous finançons des innovations qui auront un impact au-delà de cinq ou sept ans. Le deuxième retour attendu concerne la souveraineté : si nous n’investissons pas massivement sur les nouvelles technologies, si nous ne soutenons pas l’innovation, nous allons vers un décrochage et une dépendance vis-à-vis des autres pays. »
L’Isère, exemplaire sur les thématiques clés de France 2030
Dans ce contexte, le département de l’Isère s’en sort particulièrement bien. « France 2030 est taillé pour l’Isère, souligne Florent Genoux, délégué innovation chez Bpifrance Grenoble Alpes. Les priorités du plan rejoignent celles, historiques, du département : la microélectronique, l’énergie et la décarbonation, la santé et les medtech ». Ainsi une grande partie des financements du plan, soit 12 % environ, a été distribuée pour des projets de l’arc alpin. Les entreprises de Grenoble Alpes sont également très présentes parmi les lauréats des autres programmes nationaux, tels French Tech Green 20, avec 5 start-up lauréates sur 22 (Sylfen, TOLV, Rosi, BeFc, Waga Energy), ou encore French Tech 2030 (11 sur 125).
Une région à vocation industrielle
Depuis 2016, plus de 5 100 emplois ont été créés dans l’industrie. La dynamique s’est même accélérée depuis 2021, puisque l’industrie a créé 2 100 emplois sur la seule année 2022. Selon la préfecture de l’Isère, tous secteurs confondus, le département a enregistré 28 500 créations nettes d’emploi sur les trois dernières années, soit autant que sur les 13 années précédentes.
Grenoble, capitale deeptech
Dans ce terreau fortement industriel, les deeptech ont creusé leur sillon. « Avec une trentaine de start-up créées par an, Grenoble est la capitale de la deeptech », affirme Florent Genoux. Le baromètre de l’économie métropolitaine, publié fin novembre 2023 par Grenoble Alpes Métropole en partenariat avec la Banque de France Isère, indique que 69 % de la valeur ajoutée industrielle de l’aire d’attraction de Grenoble est produite par des entreprises de haute technologie ou de technologie « moyenne-haute ». Dans les autres métropoles, ce taux atteint 47 %. D’après l’Observatoire des start-up de Grenoble Alpes, publié en janvier dernier, près de 500 start-up ont émergé au cours des dix dernières années. En 2024, le bassin grenoblois compte 405 start-up et scale-up actives, dont 40 % à vocation industrielle, contre 12 % en France.
La région grenobloise constitue en outre un exemple en matière de transfert de technologie. Car passer d’une innovation de rupture, issue des laboratoires de recherche, à son industrialisation demande un long cheminement. La SATT Linksium joue un rôle déterminant dans la maturation des projets technologiques, leur transformation en entreprise et le passage à l’échelle industrielle. Elle participe ainsi à la création d’une quinzaine de start-up par an et en a déjà accompagné près d’une centaine. Parmi elles, BeFC, MagReessource, Rosi Solar et Vulkam ont annoncé, ces derniers mois, avoir franchi la phase industrielle.
Des levées de fonds record
Le territoire attire aussi les investisseurs. Si le montant des levées de fonds a baissé en 2023 au niveau national, il a encore augmenté sur le territoire de Grenoble Alpes pour atteindre 1,12 Md€. Avec 850 M€, la société grenobloise Verkor a, certes, largement contribué à cette performance. Mais le territoire relève plusieurs start-up positionnées sur des secteurs stratégiques qui ont également accompli de belles levées de fonds. C’est le cas de BeFC, Caeli Energie, Cilkoa, Ficha, MagREEsource, TOLV, sur les marchés de la transition énergétique et de la protection de l’environnement, Quobly, dans l’informatique quantique, Aledia et MicroOled, pour les écrans, ou encore Renaissance Fusion qui devrait marquer le futur de l’énergie nucléaire.
Les greentech, clé de la décarbonation
En représentant 20 % des émissions de gaz à effet de serre, l’industrie travaille aussi à la réduction de son empreinte carbone. Et cela passe par les sources d’énergies. Auvergne-Rhône-Alpes s’affirme à cet égard comme la première région productrice d’électricité décarbonée. Dans cet ensemble, le département de l’Isère dispose d’atouts incontestables. Filière historique avec l’invention de la houille blanche au XIXe siècle, le secteur de l’énergie et des greentechs consacre des efforts de R&D sans cesse renouvelés. Dans le domaine des batteries, Verkor, lauréat France 2030, s’affiche en tête de pont. Son centre d’innovation, implanté à Grenoble et inauguré l’an dernier, concentre à la fois la R&D et des lignes pilotes pour le marché des véhicules électriques. L’année 2023 a également été marquée pour Verkor par la pose de la première pierre de sa giga-factory à Dunkerque. Aux côtés de ce futur géant, des start-up industrielles répondent aux enjeux de décarbonation. Avec ses batteries destinées au marché de l’aéronautique, Limatech (Voreppe) a été lauréate des appels à projets « première usine » et « solutions et technologies innovantes pour les batteries ». L’entreprise devrait intégrer de nouveaux locaux agrandis au cours de ce second trimestre. De son côté, Inocel (Saint-Égrève), conceptrice d’une pile à combustible puissante et compacte, a rejoint la première promotion du programme French Tech 2030. Sylfen ou Waga Energy sont encore positionnés sur ces challenges.
Parmi les sept nouveaux défis de France 2030, annoncés fin 2023, figure la volonté d’accélérer la décarbonation grâce au stockage d’énergies et au nucléaire innovant. Lauréate French Tech 2030, Renaissance Fusion (Fontaine) répond parfaitement à cet objectif. La start-up, qui a effectué une levée de fonds de 15 M€ en janvier 2023, mise sur l’énergie de fusion. Début mars, elle a emménagé dans de nouveaux locaux, quatre fois plus grands, afin d’y implanter son laboratoire et son démonstrateur.
L’hydrogène, une filière qui se structure
Parmi les dix objectifs de France 2030 : le développement de la filière hydrogène et des énergies renouvelables. Là encore, l’Isère se distingue, avec des acteurs de poids. À Champagnier, HRS (CA 2022-2023 : 30,1 M€ ; 128 salariés), leader européen des stations de ravitaillement en hydrogène, enregistre une croissance de 77 % sur l’exercice 2022-2023. Autre acteur de la Hytech Valley, dans le sud grenoblois, SteelHy a inauguré l’an dernier, à Champagnier, un nouvel outil de production dédié à l’industrialisation des solutions de stockage et de distribution des énergies renouvelables, notamment de l’hydrogène, et s’est lancée tout récemment dans le photovoltaïque. McPhy (265 salariés ; siège à Grenoble), le spécialiste des équipements de production et distribution d’hydrogène bas carbone, est lui aussi en pleine croissance avec un chiffre d’affaires 2023 de 18,8 M€, en progression de 17 %. Sa future gigafactory sur le site de Belfort est en cours d’achèvement, avec un démarrage prévu au cours du second trimestre 2024.
La microélectronique, pilier technologique de Grenoble Alpes
Grande gagnante du plan France Relance en 2020-2022, la microélectronique reste plus que jamais le secteur à enjeu de souveraineté internationale, fortement doté par le programme France 2030. Et une fois encore, les entreprises iséroises se démarquent par leur excellence sur les marchés mondiaux et la portée de leurs projets industriels. STMicroelectronics, Soitec, Teledyne e2v semiconductors, Lynred, et Aledia font ainsi partie des 12 entreprises françaises soutenues dans le cadre du PIIEC (Projet important d’intérêt européen commun). Ces 12 entreprises bénéficient de 7 Md€ d’investissement pour la mise en place de nouvelles lignes de production.
Forte d’une levée de fonds de 120 M€ en septembre dernier, Aledia poursuit ainsi sa stratégie de développement sur son nouveau site de Champagnier, afin de devenir un leader mondial du marché des MicroLED. Soitec, de son côté, a inauguré, en septembre dernier, à Bernin, une nouvelle usine dédiée à la technologie SmartSIC destinée au marché des véhicules électriques. Quant aux deux géants des semi-conducteurs STMicroelectronics et GlobalFoundries, ils ont démarré, en juin, leur nouvelle unité de production sur Crolles. Leur méga-usine, soutenue à hauteur de près de 3 M€ par l’État, devrait atteindre ses pleines capacités en 2028. Les applications industrielles des semi-conducteurs sont multiples : automobile, téléphonie, informatique quantique et même santé. STMicroelectronics a ainsi signé, en janvier, un partenariat avec le cluster Medicalps en vue du développement de nouvelles technologies dans le domaine médical.
L’écosystème florissant des healthtech
Avec les greentechs et la microélectronique, les healthtech constituent le troisième pilier de l’industrie de haute technologie grenobloise. Filière en pleine croissance, elle est portée par une très grande diversité d’acteurs. Aux côtés de start-up telles Avalun, Eveon, Pélican Health, Remedee Labs, des industries plus traditionnelles comme Stiplastics et ARaymondLife ont su prendre le virage technologique. En janvier dernier, ARaymondLife, filiale du groupe ARaymond, annonçait un investissement de 66 M€ pour l’implantation d’un nouveau site industriel à Voreppe. Opérationnel début 2025, il est notamment destiné à la production des bouchons RayDyLyo® pour l’industrie pharmaceutique. Déjà bien présent à l’international, notamment en Inde, en Chine et aux États-Unis, l’industriel entend consolider encore sa présence sur le continent américain avec l’implantation d’une usine aux États-Unis.
SGH Medical Pharma (CA 2023 : 55 M€ ; 250 salariés) nourrit également des ambitions sur le territoire américain d’ici deux ans. Le plasturgiste, spécialisé dans la conception et la fabrication de dispositifs médicaux, a, par ailleurs, investi 5 M€ l’an dernier dans une nouvelle unité de production dotée d’une salle blanche, sur le site de Stiplastics, à Saint-Marcellin. Le groupe reste encore en attente d’une certification au titre d’établissement pharmaceutique pour son site isérois. Une démarche majeure qui renforcerait ses ambitions en France comme à l’international.
L’international, clé du dynamisme industriel grenoblois
D’après le baromètre de l’économie métropolitaine, l’écosystème grenoblois est particulièrement tourné vers l’international. Ainsi 25,3 % du chiffre d’affaires total des entreprises est généré par les exportations, contre 19,9 % pour la moyenne des autres aires d’attraction métropolitaine. L’industrie grenobloise réalise 51,6 % de son activité à l’export, contre 35,5 % pour les autres aires. Ce chiffre atteint même 78,2 % pour les industries de haute technologie.
Quelle industrie demain ?
« La décarbonation est un défi climatique, un enjeu d’innovation, une question de ressources humaines et de capacité d’investissement, mais elle représente surtout l’un des principaux leviers de compétitivité à long terme », soutient Franck Colcombet, président du directoire d’Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises, lors de l’événement « Énergies pour l’Industrie », organisé par l’agence en collaboration avec la Région, en février dernier. « La France de 2050 sera une France décarbonée, confirmait quelques jours plus tôt Bruno Bonnell. Tous les domaines des énergies renouvelables, à plus ou moins long terme, vont connaître des croissances exceptionnelles. Ceci dit, les deux secteurs d’avenir, selon moi, sont le spatial, qui mérite d’être regardé avec attention, et, bien sûr, l’intelligence artificielle, je dirais plutôt, l’intelligence augmentée, qui va notamment révolutionner les processus industriels. » Au sein de cette industrie du futur, hautement technologique, les acteurs de la recherche, de l’industrie, de la formation à Grenoble Alpes, rayonnent bien au delà de leur territoire, en participant aux grands défis mondiaux.
F. Combier
Données clés
Emploi industriel en Isère
46 560 emplois dans l’aire de Grenoble Alpes
28 500 créations nettes d’emploi sur les trois dernières années, soit autant que sur les 13 années précédentes
Export
54 % des PME industrielles françaises sont exportatrices
41 % des PME exportatrices ont connu une hausse de leur chiffre d’affaires en 2023 (+1,6 % contre – 0,1 % pour les non-exportatrices)
23 % des PME ont l’intention d’exporter en 2024
Source : Baromètre Bpifrance Le Lab – février 2024
FRANCE 2030
Plan d’investissement de 54 Md€
30 Md€ déjà engagés début février 2024
3 500 projets lauréats
En Isère
4,59 Ms€ (soit près de 1/5e des subventions nationales)
1er département français pour le montant investi par l’État
267 projets financés
Les 10 objectifs de France 2030
Les sept nouveaux défis de France 2030
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