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Industrie — Le 7 juin 2022

BTP : comment la filière se réinvente et innove

Pénurie de matériaux, hausse du coût des matières premières et de l’énergie, nouvelle réglementation environnementale (RE 2020), tensions de recrutement… aujourd’hui, la filière de la construction et des travaux publics doit faire face à de multiples enjeux. Comment les professionnels du BTP relèvent-ils ces défis et abordent-ils l’avenir ? Quels nouveaux matériaux, techniques de construction, modes d’organisation imaginent-ils ? Portrait d’une filière en pleine transformation.

© AdobeStock

Depuis deux ans, le BTP n’est pas épargné par la conjoncture. À l’explosion du coût des matériaux et de l’énergie due à la crise sanitaire viennent désormais s’ajouter les répercussions du conflit en Ukraine. « Le premier défi que nous devons relever est de surmonter cette période de crise, estime Bertrand Converso, président de la Fédération du BTP de l’Isère. Si le coût des matières premières n’a fait qu’augmenter tout au long de l’année 2021, celui de l’énergie a été déterminant pour nos entreprises, car les fournisseurs l’ont immédiatement répercuté sur leurs prix. Or, nos métiers dépendent énormément de l’énergie. Résultat : les entreprises ont dû puiser dans leur trésorerie. À cela s’ajoutent les remboursements du PGE qui fragilisent un peu plus leur situation. »

Faire face à la conjoncture

Le plan de résilience, annoncé par le gouvernement le 16 mars dernier, ne satisfait pas pleinement la filière. Il accorde, certes, la possibilité de souscrire à de nouveaux PGE : les PGE « résilience ». Délivrés par Bpifrance jusqu’à fin juin, ils pourront couvrir jusqu’à 15 % du chiffre d’affaires moyen des trois derniers exercices de l’entreprise. Mais, pour Bertrand Converso, « ce n’est pas suffisant, car il s’agit de dispositifs qui devront un jour ou l’autre être remboursés ». Le président de la fédération iséroise préconise une solidarité entre tous les acteurs. « Chacun doit faire un effort pour supporter les surcoûts. Aujourd’hui, deux tiers de nos marchés sont non négociables et non révisables… Dans le privé, en effet, les marchés ont été signés avec des prix fermes, donc non réévaluables. »

Cette situation de tension se traduit par les reports de certains chantiers non structurants. « Sur les marchés publics, certains appels d’offres restent infructueux, poursuit Bertrand Converso. Du côté du secteur privé, nous faisons face à un attentisme des promoteurs immobiliers. » Frédéric Chessa, président de SBI, spécialiste des bâtiments professionnels, l’affirme : « Avec le Covid, en 2021, le coût des bâtiments a déjà augmenté de 15 à 17 %. L’impact de la guerre en Ukraine rajoute encore 10 % supplémentaires. Dans ce contexte, nous réalisons moins de prestations pour les clients auprès desquels nous avions déjà démarré les chantiers. Tout ce qui n’est pas structurant, les clôtures, les enrobés, sont reportés à une date ultérieure. Quant à certains clients, ils décalent tout simplement leurs projets immobiliers dans le temps. »

Fabricant de zinguerie aluminium sur mesure, Bourguignon Dal’Alu (25 salariés, Saint-Romans) est fortement impacté par l’augmentation de 30 % du coût de l’aluminium : « Il nous est difficile d’appliquer cette hausse à nos clients et nous sommes contraints de l’absorber en grande partie, ce qui impacte notre marge », explique Nelly Allard, responsable de l’entreprise. Quand ils le peuvent, les constructeurs sont contraints de trouver d’autres solutions techniques. Pour optimiser les coûts de construction, ils revoient leur conception architecturale, proposent des variantes pour remplacer certains matériaux.

Le défi de la transition énergétique

À cette situation conjoncturelle délicate, voire critique, viennent s’ajouter les enjeux environnementaux et les nouvelles contraintes réglementaires qui en découlent. Avec 44 % de l’énergie consommée en France, le secteur du bâtiment se place loin devant les transports (31,3 %). Le Haut Conseil pour le Climat le classe, par ailleurs, comme quatrième secteur le plus émissif de GES en France (ce chiffre n’intègre pas les émissions des industries de matériaux de construction, répertoriées dans le secteur Industrie). Le bâtiment constitue donc l’un des domaines clés dans la lutte contre le réchauffement climatique et la transition énergétique.

Remplaçant la RT2012, la RE2020 vise ainsi à accélérer la décarbonation du secteur en agissant sur la phase de la construction. Elle répond à l’ambition de la loi Énergie climat qui prévoit d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. La RE2020 insiste sur plusieurs points : l’isolation, afin de réduire la consommation énergétique ; la production d’énergie la plus décarbonée possible ; la prise en compte de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre du bâtiment sur son cycle de vie, y compris sa phase de démolition ; le confort en été, en prévision des futures canicules. Par ses exigences, la RE 2020 bouleverse l’ensemble de la filière.

Préparer la RE2020

Entrée en application le 1er janvier dernier pour les maisons individuelles et les logements collectifs, elle concernera, dès le 1er juillet prochain, les bureaux et bâtiments d’enseignement primaire et secondaire, puis, dans un troisième temps, les bâtiments tertiaires spécifiques, hôtels, commerces, gymnases… « Pour certaines constructions, mixant espaces tertiaires et industriels, nous allons devoir jongler pendant quelque temps entre la RT2012 et la RE2020 », explique Frédéric Chessa. Un vrai casse-tête pour le calcul des dépenses énergétiques !

« La mise en application de la RE2020 impose un changement complet des modes constructifs. Il faut que toute la filière soit prête, les architectes, les bureaux techniques… En ce sens, son adoption est trop rapide, estime Bertrand Converso. Il nous faudra en effet plusieurs années, peut-être quatre à six ans, pour s’approprier cette nouvelle réglementation et évaluer aussi ses effets indésirables. Aujourd’hui, nous n’avons pas encore assez de recul pour chiffrer les opérations, mais on peut estimer qu’elle générera un surcoût de 8 à 15 %… » Le président de la FBTP Isère reconnaît néanmoins qu’il faut aller plus vite sur le plan des économies d’énergie et des constructions décarbonées. « Jusqu’à présent nous ne prenions en compte que les enjeux économiques, désormais nous devons aussi intégrer les enjeux environnementaux. »

Construire autrement avec les matériaux biosourcés

L’une des réponses à la RE2020 est l’utilisation de matériaux biosourcés qui stockent le carbone pendant la durée de vie du bâtiment. Leur marché connaît d’ailleurs une forte croissance. Selon l’Association des industriels de la construction biosourcée (AICB), le volume d’isolants biosourcés mis en œuvre en 2020 s’élevait à 27 millions de mètres carrés. Un volume en progression de 87 % en quatre ans, qui représente 975 000 tonnes en équivalent CO2 stockées depuis 2016.

Le bois constitue, à l’évidence, le premier des matériaux biosourcés. Selon l’Interprofession France Bois Forêt, la part de la construction bois dans le marché du logement s’établissait à 6,5 % en 2020, contre 6,3 % en 2018. « Une légère hausse certes, néanmoins remarquable au regard du contexte. » La part du bois sur le marché des extensions-surélévations a, de son côté, progressé en 2020, passant à 30,5 %, contre 27,5 % en 2018. « La structuration et l’industrialisation de la filière devraient s’accélérer », estime l’Interprofession.

Un exemple en Isère : Bois du Dauphiné (BDD). Pour faire face à la demande croissante, l’entreprise a entamé d’importants travaux de modernisation (voir encadré). La scierie transforme des résineux en provenance d’Auvergne-Rhône-Alpes exclusivement. Dans le contexte mondial actuel de tension dans l’approvisionnement en matières premières, proposer du bois local constitue un atout auprès des clients. BDD travaille à 80 % pour le marché de la construction, à 20 % pour l’emballage. « Les maisons à ossature bois représentent un volume croissant, estime Michel Cochet, le dirigeant de BDD. Et la mise en œuvre de la RE2020 accélérera encore l’utilisation du bois de construction. » À l’horizon 2030, l’usage du bois et des matériaux biosourcés devrait être quasi systématique, préconise d’ailleurs le gouvernement.

Autre alternative : le béton bas carbone

La RE2020 encourage l’innovation en termes de mixité des matériaux et de béton bas carbone. Afin de décarboner sa production, Vicat investit massivement en R&D : « 90 % de nos projets d’innovation et de R&D sont consacrés à la neutralité carbone », indiquait Laury Barnes-Davin, directrice scientifique et R&D du groupe, lors du forum Innover pour bâtir, organisé en avril dernier par la FFB. Pour répondre à son plan climat 2030, le groupe évaluait, en 2021, le montant des investissements nécessaires à 80 M€ par an sur dix ans. Lancés en 2020, ses bétons labellisés DECA, d’une teneur en clinker réduite, produisent entre 10 et 40 % de CO2 en moins par rapport au béton traditionnel. En janvier dernier, l’industriel mettait également au point le premier liant carbo-négatif permettant d’obtenir un béton ultra-bas carbone, répondant pleinement aux exigences de la RE2020.

Autre solution : le béton de chanvre. « Il s’agit d’une solution connue, mais utilisée auparavant uniquement en projection, explique Laurent Legay, directeur des marchés et offre du groupe Vicat. Avec un partenaire, nous avons élaboré un système constructif utilisable pour les petits bâtiments. Nous travaillons également sur d’autres solutions, tel le béton de bois dans lequel une partie des granulats minéraux sont remplacés par des granulats de bois. Ces bétons bas carbone représentent une minorité des ventes aujourd’hui, mais leur taux de croissance est très important. »

Réemploi et économie circulaire

Le respect de la réglementation environnementale tout comme la pénurie actuelle de matériaux poussent les professionnels à imaginer des alternatives. Le réemploi et le recyclage des matériaux joueront à l’avenir un rôle prépondérant. « Le réemploi compte pour zéro dans le bilan carbone. La filière est donc amenée à se développer, confirme Bertrand Converso, mais il faudra cependant que la réglementation suive. La question se pose notamment de la garantie de ces matériaux de récupération. »

Selon l’Ademe, le BTP représente 70 % de la production annuelle de déchets en France, soit 224 millions de tonnes produites en 2020. La mise en application, le 1er janvier dernier, de la Responsabilité élargie du producteur (REP) pour les Produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB) implique que les entreprises productrices financent le traitement des déchets issus de leurs marchandises.

Du côté des distributeurs, il s’agit de créer des points de collecte des déchets de chantier. Samse (CA 2021 : 1, 77 Md€ ; 6 150 collaborateurs) a ainsi choisi, en début d’année, l’éco-organisme Eco-mobilier pour déployer la démarche. « Ce partenariat nous permettra de faire de la REP une véritable opportunité pour renforcer notre politique de gestion raisonnée et de réduction des déchets, en offrant à nos clients des solutions adaptées à leurs besoins », explique Olivier Malfait, PDG de Samse.

Une entreprise comme Midali, spécialisée dans les travaux publics, s’est intéressée dès 2000 à la question de la revalorisation des déchets (voir encadré). Depuis une quinzaine d’années, Eurovia, de son côté, pratique le recyclage des matériaux et se tourne vers l’économie circulaire favorisant l’approvisionnement de proximité. L’entreprise de travaux publics réfléchit aussi à des procédés innovants en matière énergétique. « Nous travaillons sur les îlots de chaleur de nos enrobés, précise Serge Duplaix, directeur technique Eurovia Centre Est. Nous captons la chaleur émise par les routes et la restituons pour chauffer des bâtiments et autres infrastructures comme des piscines. »

Booster le marché de la rénovation

Rendre les bâtiments plus économes en énergie passe par une rénovation massive des logements existants. D’ici 2025, les logements de classes énergie F et G ne pourront plus être loués. « Les bailleurs sociaux sont de bons élèves en la matière, observe Patricia Dudonné, vice-présidente d’Absise (Association des bailleurs sociaux de l'Isère). Nous possédons seulement 7 % du parc en F et G, contre 20 % pour le secteur privé. »

Présidée depuis fin 2021 par Nelly Allard, la SDH est l’un des plus importants bailleurs sociaux du département avec 22 152 logements, soit un quart du parc. « Nous comptons 25 % de logements classés E, F et G, contre 41 % dans le privé, affirme Nelly Allard. Entre 2011 et 2020, nous avons consacré 100 M€ aux travaux de rénovation énergétique. » L’an dernier, la SDH a investi 160 M€ dans la construction, l’amélioration et l’entretien du patrimoine sur le territoire de l’Isère. Parmi ses axes de travail actuels, outre le maintien d’un niveau de production élevé de logements accessibles au plus grand nombre, elle affiche également la ferme volonté d’accélérer la transition énergétique. Objectif : éradiquer les logements les plus énergivores (classés F et G) avant fin 2023, par anticipation de la loi Transition énergétique qui fixe l’échéance à 2025. Cela représente un investissement supplémentaire de l’ordre de 38 M€ avec plus de 1 100 logements impactés.

« La SDH est engagée de longue date et de façon volontaire dans la lutte contre le réchauffement climatique, poursuit Nelly Allard. Les actions que nous conduisons depuis de nombreuses années, notamment en matière de réhabilitations thermiques, en témoignent. Nous avons, par exemple, plus de 9 % de nos logements alimentés en énergie renouvelable. »

Des aides multiples pour améliorer son logement

Lancée par l’État le 1er janvier 2020, MaPrimeRénov’ permet aux particuliers de financer les dépenses engagées pour les travaux d’amélioration de la performance énergétique de leur habitation. Un peu plus de 14 000 logements ont bénéficié de ce dispositif en Isère. Et la demande est croissante : au premier trimestre 2022, 2 629 dossiers étaient en cours dans le département, contre 2 011 dossiers à la même période en 2021. En Isère, les travaux générés par MaPrimRénov’, en 2020 et 2021, se chiffraient à près de 170 M€ ; ceux au titre de MaPrimRénov’ Sérénité (ex-Habiter Mieux Sérénité) s’élèvent à 89 M€ depuis son lancement, en 2011.

Fortement créateur d’activité, le marché de la rénovation représente, sans conteste, une réelle opportunité pour les acteurs du bâtiment. Les aides accordées par l’État pour les travaux d’amélioration sont multiples. Dans ce contexte, la Fédération du BTP Isère sensibilise, informe, conseille au quotidien ses adhérents et assure également des formations. En effet, pour obtenir une aide de l’État, il est nécessaire de faire appel à des professionnels labellisés RGE (Reconnus garants de l’environnement), les seuls habilités à intervenir. Le département en compte un peu plus de 1 000 à ce jour.

Les travaux publics face aux enjeux environnementaux

Le secteur des travaux publics doit lui aussi relever le défi de la transition énergétique. À partir du 1er juillet, date d’application de la ZFE dans la métropole grenobloise, celle-ci sera interdite aux véhicules PL et VUL Crit’Air 3. Consciente des enjeux, la CCI anime un groupe de travail sur le sujet et est le porte-parole du collectif auprès de Grenoble-Alpes-Métropole qui a mis en place des aides à destination des professionnels pour le remplacement de leur flotte de véhicules. Celles-ci sont cependant soumises à un certain nombre de critères, dont celui d’être implanté sur la métropole. Ceci risque de créer un décalage entre les entreprises selon leur lieu d’implantation, estime-t-on à la fédération, qui demande que les aides soient étendues aux autres territoires.

Reste aussi la question de l’offre de véhicules moins polluants qui n’est pas au rendez-vous. Les fabricants d’engins de chantier commencent tout juste à proposer des modèles plus vertueux, peu disponibles encore, et ne couvrent pas toute la gamme. Ainsi, Caterpillar France vient de développer un premier bulldozer à entraînement électrique. Il faudra encore beaucoup de temps pour installer la tendance.

Une filière qui recrute

Pour relever les défis à venir, le bâtiment recrute chaque année plus de 65 000 personnes. « La formation fait partie des grands enjeux de nos professions, analyse Bertrand Converso. Nos métiers sont en tension, nous devons former des apprentis, garder nos savoir-faire, faire monter en compétences nos salariés. Le BTP souffre d’une image dégradée qui ne correspond plus à la réalité ! Et puis nous avons un impact sociétal fort : nous sommes pourvoyeurs d’emplois non délocalisables. La filière a toujours été prompte à se renouveler, se réinventer. Nous pouvons transformer les contraintes en opportunités ! »

F. Combier

 

Infos clés

Le poids du BTP

En France :
410 000 entreprises
1,5 million d’emplois dont 1,1 million de salariés
125 Md€ de travaux dont 
•    neuf : 52 Md€
•    entretien-amélioration : 73 Md€

En Isère :
11 000 entreprises
30 000 salariés
CA : 3,2 Md€

Sources : FBTP, juin 2021 ; FBTP 38

Les formations initiales aux métiers du BTP

Sur le Campus de l’alternance (CCI de Grenoble), rue Aimé-Pupin à Grenoble :

  • l'Institut Supérieur de la COnstruction (Isco) propose des formations diplômantes pour l’encadrement dans les métiers du BTP (coordinateur, chef de travaux...), en incluant les méthodologies BIM et rénovation énergétique (bac+2 et bac+3). Il accueille chaque année environ 150 étudiants et alternants.
  • l’Institut des Métiers et Techniques prépare à des des CAP, des BP, des bacs pro, des BTS et titres professionnels dans plus d’une trentaine de métiers du bâtiment. Il forme chaque année près de 400 apprentis.

Le lycée Roger-Deschaux, à Sassenage, couvre un large éventail de métiers du BTP et délivre des CAP, bacs pro, BTS.

Le CFA des Compagnons du devoir et du tour de France propose des contrats d’apprentissage (du CAP à la licence) et des contrats de professionnalisation dans certains métiers du bâtiment.

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