La France, première destination touristique mondiale : pour une stratégie allant au-delà des chiffres
La France confirme après l’été, et avant la saison hivernale, son attractivité touristique. Un possible “effet Coupe du monde”, plus un certain attrait lié à la diversité de notre littoral, des montagnes et du patrimoine culturel, continuent à faire de notre pays – et de notre région – des destinations prisées.
Dans un tel contexte, l’objectif gouvernemental récemment affirmé d’atteindre 100 millions de touristes par an ne semble pas irréaliste. Faire d’une telle performance un levier de croissance majeur et un moyen de financer le déficit commercial l’est sans doute davantage.
Le nombre de touristes : un critère discutable
Avec près de 90 millions de touristes accueillis l’an dernier, la France demeure en première position d’un classement mondial flatteur. L’Espagne (82 millions) et les États-Unis (76 millions) complètent un podium qui peut se révéler trompeur au regard d’autres critères pertinents.
Les recettes touristiques, mesurées sur la base de l’ensemble des chiffres d’affaires réalisés, constituent un critère lui aussi contestable, mais qui a le mérite d’offrir une vision différente : avec 54 Md€, la France apparaissait l’année dernière loin derrière les États-Unis (190 Md€) et l’Espagne (60 Md€). Notre pays est même, selon ce critère, talonné par la Chine et la Thaïlande qui présentent des dynamiques plus fortes. Un tel écart s’explique par le fait que de nombreux voyageurs ne font en réalité que passer ou qu’ils ne s’arrêtent que peu de temps. La France ne figure ainsi qu’à la 17e place du classement fondé sur le chiffre d’affaires par touriste, très loin derrière la Suède, leader selon cette donnée.
Une non-spécialisation évidente
La place du tourisme dans l’économie française, bien que non négligeable, témoigne d’une non-spécialisation, qui explique en partie le relativement faible chiffre d’affaires par touriste généré dans un pays pourtant considéré comme leader mondial.
Les recettes touristiques françaises représentent à peine 2,3 % du PIB, contre 19,5 % pour… la Croatie, véritable “championne du monde” en la matière ! Bien sûr, il est possible de constater, derrière ce chiffre, la bonne santé et l’importante contribution au PIB de nombreux autres secteurs d’activité et, partant, une dépendance au tourisme relativement faible et bienvenue. Les “meilleurs” sur ce critère sont d’ailleurs des pays qui cherchent à réduire une dépendance jugée trop forte (à côté de la Croatie, Chypre et Malte complètent un podium composé exclusivement de “petits” pays). Il n’empêche que les recettes touristiques représentent 5,2 % du PIB en Espagne, pays qui a investi dans une montée en gamme contribuant à l’attractivité et à l’augmentation significative du chiffre d’affaires par touriste.
Financer le déficit commercial grâce au tourisme : les limites du raisonnement
Vouloir éponger le déficit commercial grâce au tourisme semble une stratégie douteuse. D’abord parce que le déficit commercial représente de réels défis industriels dont il importe d’avoir conscience et qu’il ne s’agit pas de dissimuler. Ensuite parce que les chiffres, comme nous avons pu le voir, ne disent pas tout.
Dépasser la barre des 100 millions de touristes ne constitue sans doute pas l’objectif le plus pertinent à l’heure où la recherche de sens est de plus en plus réelle chez les voyageurs. Bénéficiant, contrairement au pays, d’un excédent commercial, l’Isère aurait tort de succomber à la stratégie du chiffre.
Hugues Poissonnier, professeur à Grenoble École de Management et directeur de la recherche de l’Irima.
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