Bien-être au travail, un grand pas vers l’économie du XXIe siècle ?
Comment développer implication, bien-être et plaisir au travail ? Quelles méthodes de recrutement porteuses de sens adopter dans ces environnements innovants ? Des entreprises qui ont fait l’expérience de démarches et nouvelles pratiques managériales témoignent.
Le bien-être au travail au cœur de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE)
Les obligations légales relatives à la RSE concernent de plus en plus d’acteurs. Depuis 2012, l’article 225 de la loi Grenelle 2 impose aux entreprises cotées sur un marché réglementé et sur les grandes entreprises de publier des indicateurs RSE dans leur rapport annuel. En 2016, elles ont été rejointes par les sociétés de plus de 500 salariés, et peut-être bientôt par les établissements de crédit, assurances et mutuelles (un projet est actuellement en consultation au ministère de l’Économie et des Finances). Outre sa dimension obligatoire, la RSE constitue un gage de compétitivité et de pérennité, et des entreprises l'ont bien compris. Salariés, partenaires et fournisseurs prennent de plus en plus en considération les données extra-financières. Les consommateurs, quant à eux, sont attentifs à la bonne conduite des entreprises. Mais surtout, une performance de moyen et long terme est au rendez-vous.
Des valeurs communes à la base de la performance
Depuis sa reprise en 2006, Automatique & Industrie (AI), leader régional dans le domaine des solutions automatisées implanté à Saint-Jean-de-Moirans, a ainsi vu son chiffre d’affaires multiplié par 9, atteignant 6,4 millions en 2016. “Placer le bien-être des individus au cœur de l’activité me semble aller de soi, affirme Pascal Mioche, son président. Dès le début de l’aventure, nous avons réfléchi tous ensemble à une vision partagée de l’entreprise. Et nous avons situé les valeurs humaines au centre de notre stratégie : confiance, transparence, liberté, solidarité. Je suis persuadé que ce sont ces valeurs qui font les performances d’AI.” Et ces valeurs s’incarnent concrètement : espace de travail aménagé pour la circulation et la collaboration, charte d’équilibre des temps de vie et droit à la déconnexion, covoiturage… “L’esprit d’équipe a créé une dynamique vertueuse”, poursuit Pascal Mioche. Avec, à la clé, une croissance de 10 % par an, la concurrence se situant autour de 3 %.
Quand les “ressources humaines” prennent tout leur sens…
Le groupe Mare Nostrum, spécialiste du travail temporaire et du recrutement, dont le service support est basé à Grenoble, s’est engagé depuis plus de 10 ans dans une démarche RSE. Impulsée par son président Nicolas Cuynat, elle a été formalisée en 2008 par une charte de la diversité. “Aujourd’hui, notre démarche RSE se développe autour d’un système de management et de la sécurité. Nous avons mis en place un parcours d’intégration de 10 jours, dont 4 sont exclusivement consacrés à la RSE. Chaque nouveau collaborateur est ainsi impliqué dès son arrivée”, explique Mélanie Clément au service communication. Au programme : sensibilisation à l’éco-conduite, informations sur l’hygiène et la sécurité, formation aux outils intranet… Mais la RSE ne se limite pas aux salariés du groupe. Ainsi, un pôle insertion pour les demandeurs d’emploi longue durée et sans qualification a été créé, afin de faciliter leur retour à l’emploi. Le groupe Mare Nostum, en forte croissance, compte aujourd’hui 200 collaborateurs et 40 agences sur le territoire français.
Investir dans la formation aux relations humaines
Selon Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric et corédacteur d’un rapport ministériel, “Bien-être et efficacité au travail” publié en 2010, le manager se doit d’être pionnier dans les changements de l’organisation. Sa prise de conscience et sa formation sont donc essentielles, comme celles des équipes d’encadrement. Nombreuses sont ainsi les entreprises qui misent sur la formation humaine de leurs collaborateurs. Les équipes se trouvent dès lors plus reconnues et plus efficaces, et s’attachent à partager leurs nouvelles compétences. Cet échange crée une émulation collective, qui aboutit bien souvent à des innovations, tant techniques qu’opérationnelles. Chez Casabio, la direction place la formation, la collaboration et l’innovation au cœur de la stratégie d’entreprise. Lorsqu’en 2006 Yann Laurent reprend la gérance de l’enseigne, celle-ci est au bord de la faillite. Dix ans plus tard, elle affiche un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros et compte 43 salariés. La première étape a consisté à former les cadres à une méthode de management reposant sur l’autonomie et le dialogue. “Une fois instaurée, cette méthode a permis à tous les salariés de s’exprimer en toute sincérité. Et grâce à cette sincérité, les talents ont pu se manifester pleinement”, souligne Yann Laurent. Des postes ont pu être adaptés, voire créés. Un salarié, pâtissier de métier, a ainsi eu l’idée de créer un fournil dans la boutique du cours de la Libération de Grenoble. Un investissement gagnant, puisque la boulangerie a rencontré un tel succès auprès des clients qu’elle s’est transformée en espace de restauration. “Ce pâtissier est aujourd’hui à la tête d’une équipe de six personnes. Et un deuxième restaurant verra le jour dans notre magasin de Saint-Égrève à l’automne prochain.”
“Repenser la place de l’homme dans l’organisation”
Créée en 2012 au sein de GEM, la chaire de Mindfulness, bien-être au travail et paix économique regroupe aujourd’hui 3 professeurs permanents, 12 chercheurs contributeurs, 11 entreprises partenaires autour d’une communauté de pratiques. Pour Dominique Steiler, titulaire de la chaire, “il est nécessaire de repenser la place de l’homme dans l’organisation, aussi bien pour sa santé et son bien-être que pour sa capacité à produire et à inventer”. L’une des dérives possibles est l’instrumentalisation du bien-être, car il n’y a ni méthode magique ni outil prêt à l’emploi. Mettre en place une stratégie de bien-être en entreprise dans le seul but d’être plus efficace et performant serait contre-productif et inefficient. Car c’est bien l’humain qui est au centre de la démarche. “Nous sommes convaincus que pour instaurer un climat pérenne de bien-être en entreprise, il faut d’abord partir de l’intimité. Une prise de conscience individuelle est un préalable indispensable. Une fois les croyances personnelles et les mécanismes de défense identifiés, les managers peuvent mettre en place un autre système de relations interpersonnelles. Et enfin repenser le système managérial dans son ensemble”, explique Dominique Steiler.
Viser des objectifs atteignables et avancer pas à pas
Stéphanie Toussaint connaît bien ces problématiques. Après six ans comme consultante dans un cabinet de développement durable et un burn out professionnel, elle a créé son propre cabinet d’expertise en performance durable en 2015. De grandes entreprises font appel à ses services pour former leur staff au management durable. “La première étape est de faire prendre conscience que chacun est responsable de son propre bien-être. Il faut savoir identifier ses besoins et les actions à mettre en place pour les satisfaire. Et si le manager va bien, son équipe aussi !” Le travail de Stéphanie Toussaint est de co-construire avec son client un environnement “capacitant”, et cela pas à pas. “Je travaille avec des sportifs de haut niveau qui rencontrent les mêmes problématiques que les dirigeants et managers. Un sportif bien dans ses baskets ne regarde pas la montagne en se disant qu’il n’arrivera jamais au sommet. Il sait bien qu’il faudra mettre un pas après l’autre, et cela prendra un certain temps avant d’y parvenir !” Stéphanie Toussaint est intervenue lors de la première édition française de Disrupt en novembre dernier. Au programme de cet événement, 12 intervenants venus présenter leur approche de l’Agilité, de l’Innovation et des RH. Co-organisé par Ecobiz RH et Manethic, cet événement a rassemblé plus de 200 participants.
Recrutement : quand le savoir-être compte autant que les compétences
L’innovation s’exerce aussi dans les process de recrutement. Après neuf ans passés comme recruteur dans de grands cabinets, Arnaud Aveque crée French Flair Consulting en 2014. Son ambition : pratiquer à sa façon et avec ses valeurs. “Le recrutement prédictif, effectué grâce à des algorithmes informatiques, tend à se développer. Pour ma part, je préfère mettre l’humain au cœur de ma démarche et écouter mon feeling !” Chez French Flair, les procédures de candidature sont simplifiées, et on ne parle pas de sélection, mais d’entretien. Pour valider l’adéquation entre les valeurs de l’entreprise et le profil du candidat, quoi de mieux que le dialogue et les jeux ? Les recruteurs utilisent en effet de plus en plus la “gamification”, car elle permet de cerner ce qui se situe au-delà des compétences professionnelles : la capacité d’adaptation, la créativité, le sens collaboratif.
Faire tomber les préjugés
Ce sont ces mêmes savoir-être qui sont mis en avant chez Talentéo, à Grenoble, agence de communication digitale RH, (5 collaborateurs ; CA 2016 : 450 000 euros). Le challenge : décloisonner et dédramatiser le handicap en entreprise. Stéphane Rivière, dirigeant fondateur de la société, animateur d’un média en ligne et d’événements dédiés, ne manque pas d’imagination pour faire accéder les porteurs de handicap au monde de l’entreprise. “Nous avons développé un média en ligne où nous présentons les innovations managériales qui accordent une place importante au handicap. Nous avons également créé plusieurs événements pour que le monde de l’entreprise et celui du handicap se rencontrent.” Par exemple Sport2Club : ce challenge inter-entreprises propose aux acteurs locaux (CEA, Schneider Electric, STMicroelectronics…) et aux candidats en situation de handicap de faire équipe. Avec, en fin de partie, un emploi à la clé. Autre méthode de recrutement originale proposée par Talentéo : le job dating “in the dark”. Les dix premières minutes de l’entretien se déroulent les yeux bandés. Plus de préjugés et un grand sourire lorsque candidat et recruteur se découvrent enfin. De même, l’entreprise “libérée” Acritec, bureau de contrôle des installations et de prévention des risques techniques et humains basé à Moirans, a mis en place depuis 2014 les recrutements sansdirigeant. Lorsqu’un nouveau collaborateur est embauché, un groupe de salariés se constitue pour faire passer les entretiens. “Les salariés sont formés à la méthode Process Communication, explique Isabelle Nury, directrice chez Acritec et formatrice à cet outil. Ils ont ainsi les clés pour écouter leur intelligence émotionnelle durant les entretiens.” Cette méthode originale permet une meilleure intégration des collaborateurs, car ils ont été choisis par l’équipe avec laquelle ils vont travailler au quotidien.
Préparer l’entreprise de demain
Au-delà d’une tendance et des discours parfois vides de sens, le bien-être au travail répond aux nouvelles attentes sociétales. Rappelons les effets négatifs de l’insatisfaction des salariés : turn-over, absentéisme, désorganisation, insatisfaction client, détérioration du service et de l’image de l’entreprise… Le bien-être au travail constitue de surcroît un levier efficace pour répondre aux aspirations des collaborateurs, et plus particulièrement à celles de la génération Y. Celle-ci représentera 75 % des actifs dans le monde d’ici 2025, selon une étude du Brookings Institute. “La génération Y a une réelle volonté d’équilibrer vie professionnelle et personnelle. Elle n’a plus forcément envie d'entrer dans une grande entreprise et d’y passer toute sa carrière !”, souligne Arnaud Aveque. Et l’entreprise a tout à gagner à intégrer ces talents, demandeurs d’énergie, d’agilité, et maîtrisant les nouveaux outils numériques. Face aux changements économiques, sociétaux et environnementaux, les évolutions de posture semblent indispensables. Car, selon la célèbre formule d’Albert Einstein, “la folie serait de faire toujours la même chose en attendant un résultat différent”.
E. Barré
Comment se situe la France ?
Selon le baromètre Edenred-Ipsos 2016, 67 % des Français se déclarent satisfaits quant à leur bien-être au travail. Parmi 14 000 salariés interrogés dans 15 pays (USA, Japon, Chine, Allemagne, Royaume-Uni, France, Brésil, Inde, Italie, Espagne, Mexique, Turquie, Pologne, Belgique, Chili), la France se place au 12e rang sur 15. À noter que l’Europe arrive derrière les économies à forte croissance. L’Allemagne figure en tête des premiers pays européens, en 6e position, suivie par le Royaume-Uni, la Pologne, la Belgique, l’Espagne et la France.
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