Formation professionnelle et apprentissage : décryptage de la réforme
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel modifie en profondeur la formation professionnelle et l’apprentissage. Dans l’attente de l’intégralité de ses décrets d’application, les entreprises, les organismes de formation anticipent déjà les évolutions majeures. Entre nouvelle gouvernance, nouvelles compétences, un système qui se veut plus “agile” et “transparent” se prépare… Premier regard d’experts.
Les secteurs de la formation professionnelle et de l’apprentissage retiennent leur souffle. Publiée au Journal officiel le 6 septembre dernier, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel entend en effet redistribuer les cartes. Les 174 décrets d’application seront publiés d’ici au 31 décembre. C’est le deuxième volet des réformes sociales d’ampleur du gouvernement, qui touche également l’assurance-chômage, après les ordonnances sur le Code du travail de 2017. Celui-ci a été présenté par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, comme devant “permettre d’édifier une société de compétences”.
Quatre ans après la dernière réforme, qui a notamment vu naître le compte personnel de formation (CPF), le système censé garantir la “formation tout au long de la vie” reste fragile : 36 % des actifs bénéficient d’une formation chaque année en France, contre 53 % outre-Rhin et plus de 60 % en Scandinavie. À ce constat, la Fédération française de la formation professionnelle ajoute des inégalités criantes : un salarié d’une grande entreprise a trois fois plus de chances d’être formé qu’un salarié de TPE-PME. Pour combler les lacunes du système, la loi mise sur l’individualisation et la libéralisation du secteur. Avec, en filigrane, une volonté de le simplifier et de le “clarifier”, comme l’a précisé le président de la République Emmanuel Macron.
Un système simplifié
“En 2000, il fallait être spécialiste de la formation professionnelle pour gérer les types d’action (financement, dispositifs…) à mettre en oeuvre pour un salarié, explique Françoise Silvan, avocate spécialisée en formation. Personne ne savait à l’avance si cette action pouvait être financée, c’était l’Opca qui décidait.” Une gouvernance complexe aujourd’hui remise à plat. Les 20 Opca actuels vont être transformés au 1er janvier 2019 en une dizaine d’opérateurs de compétences (Opco), sous l’autorité d’un nouvel organisme national, France Compétences. “Ils ne collecteront plus les taxes sur la formation et l’apprentissage, précise Françoise Silvan. C’est l’Urssaf qui le fera et sans délai, ce qui risque de transformer la comptabilité des entreprises.” Mais l’avocate y voit une saine contrepartie : “Les besoins en formation de chaque branche remonteront rapidement à l’échelon national pour que soient créées des formations certifiantes et que les entreprises disposent des compétences localement.” Les décrets d’application de la loi vont par ailleurs définir les critères de certification des organismes de formation (le coût, la qualité, régulés par France Compétences) qui seront désormais contactés directement par les salariés, sans intermédiaire.
Individualisation et modularité des formations
Renforçant l’individualisation de la formation professionnelle, la loi simplifie en effet l’accès à la formation pour les salariés, en leur imposant une “gestion directe” de leur CPF via une unique application mobile, dont les caractéristiques seront précisées prochainement. Tout va passer à présent par le CPF, que la loi “monétise”. Entré en vigueur en 2015, il permettait au salarié de choisir une formation certifiante ou qualifiante grâce à un nombre d’heures acquis réglementairement, découpée en blocs de compétences depuis la loi Rebsamen de 2015.
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel renforce cette modularité de l’offre de formation. Les blocs sont devenus l’unité formative de référence, “sorte de monnaie de base de l’offre de formation”, comme le résume Véronique Girod-Roux, responsable développement et gouvernance des titres à Grenoble École de Management. Ils permettent d’accéder à une compétence à un moment donné de son parcours professionnel et de valider ultérieurement un titre ou un diplôme en complétant celui-là par d’autres blocs. “L’État pousse au développement de parcours, où l’on vient piocher sur une étagère des unités de compétences, techniques ou de savoir être par exemple. Reste à savoir comment les décrets vont redéfinir ces blocs…”
Révolution dans l’apprentissage
Autre grand volet de la loi, l’apprentissage devrait vivre un tournant sans précédent. Pour lutter “efficacement” contre le chômage des jeunes, le gouvernement veut en effet “développer massivement” l’offre d’apprentissage des entreprises en direction de ces derniers, a déclaré Muriel Pénicaud. Pour la ministre, l’objectif est “de changer l’image de l’apprentissage et de le transformer en profondeur, de changer d’échelle”.
Au niveau de la gouvernance du système, les Régions perdent la main directe sur l’apprentissage au profit des Opco et de France Compétences. Les Régions conservent en effet un rôle de régulation par l’élaboration, avec les branches, d’un schéma régional des formations en alternance, et une responsabilité d’aménagement du territoire, en aidant au maintien de CFA en milieu rural ou en zone sensible. Mais les branches sont désormais libres d’ouvrir des formations sans attendre l’autorisation de la Région. C’est ainsi à la fois le pilotage et les financements qui se trouvent bouleversés. Les Opco auront pour mission de redistribuer les revenus de la taxe d’apprentissage (elle aussi désormais collectée par l’Urssaf) et d’être particulièrement attentifs à ce qu’ils financent. Ceux régissant les grandes branches (le bâtiment, l’automobile ou la métallurgie) seront naturellement en capacité de le faire ; à l’inverse, les professionnels du secteur redoutent que les “petites branches”, comme les services à la personne ou la boulangerie, aient plus de difficultés à porter cette nouvelle mission.
Les CFA seront financés “au contrat”, selon le nombre d’apprentis accueillis. Ce financement dépendra aussi du coût du diplôme préparé, déterminé par les branches. Un bouleversement censé refléter l’adéquation entre les besoins des entreprises et l’offre des établissements. Avec l’instauration d’un seuil de rentabilité, les CFA pourront fermer une section en cas de trop faible effectif, suivant en cela la logique comptable d’une entreprise normale. D’ailleurs, une simple déclaration à la préfecture et une certification qualité suffiront désormais pour en ouvrir un, brèche dans laquelle devraient s’engouffrer nombre d’organismes de formation.
Assouplir les contraintes des entreprises
Pour faciliter le recours à l’apprentissage, la loi supprime le passage aux prud’hommes en cas de rupture de contrat. Autre grand changement de paradigme, la vision de l’apprentissage, que la loi consacre comme outil de formation professionnelle, “au détriment de la dimension formation initiale, déplore Thomas Viron. L’apprentissage, pour des jeunes de 16-17 ans, s’inscrit sur le long terme ; ceux-ci préparent un diplôme en s’insérant doucement dans l’entreprise. Avec l’idée de formation professionnelle proactive contenue dans la loi, répondant aux besoins immédiats des entreprises, on ‘gère l’urgence’ sans forcément réfléchir aux métiers de demain.” Un changement d’approche validé dans le passage de la limite d’âge de 26 à 30 ans, un âge où statistiquement une personne s’éloigne de la formation initiale. Les aides ciblées en direction des TPE-PME et des niveaux infra-bac et bac devraient aussi contraindre les CFA à revoir leur offre de formation.
F. Baert
Infos clés
Une application mobile permettra aux salariés d’acheter leur formation librement et sans intermédiaire.
L’apprentissage devrait vivre un tournant sans précédent.
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