Aller au contenu principal
Numérique — Le 5 février 2019

Grenoble au coeur de la révolution des data

Le monde du traitement et de l’exploitation des données est en pleine effervescence. À Grenoble notamment, où 1 500 personnes travaillent sur l’intelligence artificielle, réparties entre grands groupes informatiques et dans une myriade de start-up. Une révolution annoncée qui pourrait être un levier pour toutes les entreprises, à condition de ne pas négliger l’enjeu des données personnelles.

© AdobeStock

Avec plus de 1 500 chercheurs impliqués dans l’intelligence artificielle (IA), Grenoble est au cœur de la “révolution des données”. Un mouvement qui ne fait que commencer pour cette “informatique avancée”, se nourrissant de data et fonctionnant sous forme d’algorithmes, ouvrant eux-mêmes la voie au développement d’applications. Nombre de PME en utilisent déjà gratuitement sans le savoir (Google Map, pour citer la plus célèbre). Une récente analyse de Capterra (groupe Gartner) montre que les PME, faute de recruter des compétences spécialisées, pourraient se rabattre sur l’achat de logiciels d’informatique décisionnelle conçus par ces mêmes data analysts. En interne ou via des prestataires, le “business prédictif” a de beaux jours devant lui. Et d’après McKinsey Global Institute, l’IA pourrait générer une croissance supplémentaire du PIB mondial de 1,2 % jusqu’en 2030. Accenture prévoit même une hausse de 38 % de la rentabilité des entreprises grâce à l’IA d’ici 2035. La France a le potentiel pour être leader en Europe dans ce domaine, comme en témoignent la feuille de route sur l’IA remise par Cédric Villani au gouvernement l’an dernier, et l’annonce par Emmanuel Macron d’un investissement de 1,5 milliard d’euros d’ici 2022. Autant de signaux qui devraient profiter aux acteurs du big data grenoblois.

L’IA à la source d’une nouvelle révolution industrielle

“Toutes les entreprises vont être concernées par l’IA d’ici trois à cinq ans”, prévient Vincent Le Cerf, docteur en IA, référent dans la région de l’association France IA Hub, fédérant chercheurs et entreprises. “Les algorithmes vont aider les sociétés à personnaliser les produits, à mieux prendre des décisions et à analyser les points forts, dans tous les secteurs.” Parmi la centaine d’entreprises grenobloises présentes dans l’IA, on trouve bien sûr les grands fabricants d’infrastructures ; mais aussi une myriade de start-up développant des algorithmes sur des cas d’usage. Tous ces acteurs ont en commun une dépendance (ou des partenariats) aux “services managés” d’IA des Gafa : les équipes et supercalculateurs de Microsoft Azure, d’Amazon Web Services (AWS) ou de Google TensorFlow leur fournissent en effet des solutions prêtes à être modelées pour des applications pratiques. Une préoccupation que l’on retrouve chez tous les grands noms de l’informatique grenoblois. Le leader européen des big data, Atos, avance sur le marché, notamment avec la suite logicielle Atos Codex AI, sortie il y a un an, permettant aux entreprises de déployer et de gérer des applications d’IA. Une façon de s’ouvrir de nouvelles opportunités commerciales, parallèlement à la fourniture cet hiver du supercalculateur BullSequana au CEA.

Les géants se positionnent…

Une double approche aussi adoptée par Hewlett-Packard Enterprise (HPE), où une cinquantaine de chercheurs planchent sur l’IA, à Grenoble, un des trois centres mondiaux dédiés au sujet. “Plus de la moitié des budgets informatiques des entreprises sont désormais dépensés en dehors de la direction informatique, explique Pierre Hoffer, directeur Presales HPC & AI EMEA, d’où l’importance d’être présents sur les applications métiers !” Travaillant sur des bases d’algorithmes ayant fait leurs preuves chez Shell ou Total, HPE s’investit dans l’edge computing avec de l’IA appliquée à de nombreux domaines, des chaînes de production à la vente au détail, en passant par l’automobile (un partenariat a été signé avec Mercedes-Benz pour la Formule 1) ou la sécurité (des solutions de reconnaissance faciale ultrarapides pour Nvidia, dont HPE est le centre d’excellence). Pour renforcer ses liens avec les acteurs du secteur, HPE a lancé en octobre dernier sa Marketplace IA, une plateforme collaborative visant à regrouper les acteurs de l’IA dans la région : start-up, éditeurs de logiciels, fournisseurs de services…

Des datacenters aux solutions métiers

Même préoccupation du côté de Schneider IT, à Montbonnot-Saint-Martin. En plus de sa division Schneider Digital, le groupe a pris la mesure de la révolution des données en l’intégrant à toutes ses entités. Produisant les infrastructures de datacenters, Schneider IT (15 000 salariés dans le monde) propose une offre de maintenance prédictive à ses clients, via l’EcoStruxure. “Dès que l’on parle de digitalisation des données, on pense au cloud. Mais n’oublions pas qu’il y a toujours un serveur dans une salle informatique”, remarque Damien Giroud, directeur de Schneider IT Division, qui conçoit l’“urbanisation” de data centers pour le CEA, l’ESRF, les hôpitaux, mais aussi des onduleurs intelligents. “L’analyse fine de données à base d’IA pour les infrastructures de nos clients nous permet d’être bien implantés sur les cas d’usage et d’élargir ainsi notre spectre de prospection commerciale”, note-t-il. De même, Capgemini constate une forte attente des entreprises pour des solutions métiers, avec une approche transversale et des solutions prépackagées élaborées avec des start-up partenaires, dont il se veut l’accélérateur. Le groupe entend très prochainement proposer à ses clients une galerie d’applications métiers, pour répondre à une forte attente.

Des start-up à fort potentiel

Surfant sur l’émergence de l’IA dans tous les secteurs, avec l’analyse prédictive et les solutions d’optimisation, des sociétés grenobloises ont su tirer leur épingle du jeu. À l’instar de Skopai ou de Neovision, partenaire de STMicroelectronics (voir encadré) ou de Probayes, qui font chacun tourner leurs algorithmes pour une palette d’activités, des biotechnologies à l’e-commerce ou à la banque. D’autres pépites se sont spécialisées sur des niches. Pollen Metrology, à Moirans, a développé par exemple PlatypusTM, le premier logiciel intelligent de contrôle de procédés visant à accélérer la production de matériaux à haute performance, avec comme marché les industries du semi-conducteur, de l’énergie, de la métallurgie des poudres et de la pharmacie. De son côté, MagIA Diagnostics (10 salariés à Grenoble), qui vient de lever 1 million d’euros, s’intéresse au dépistage ultrarapide de maladies infectieuses à partir d’une simple goutte de sang. Une prouesse d’IA qui devrait lui permettre de proposer une solution complète couvrant les principaux virus sexuellement transmissibles, fruits de brevets issus de la recherche à Grenoble. Autant d’applications montrant le potentiel de l’IA, mais qui pâtit encore de tarifs élevés pour les PME et de la pénurie de data scientists, malgré les diplômés des cursus spécialisés des masters de l’Ensimag et de GEM, références du secteur. “Les chefs d’entreprise doivent dès maintenant les chercher pour ne pas rater la prochaine démocratisation de l’IA !”, conseille Vincent Le Cerf.

La recherche au cœur du succès de l’IA grenobloise

En novembre dernier, la capitale des Alpes a été choisie comme l’une des quatre places fortes de l’IA en France, aux côtés de Paris, Toulouse et Nice. Elle accueillera ainsi l’un des quatre instituts interdisciplinaires en intelligence artificielle (3IA) de France. Doté de 25 millions d’euros de budget sur quatre ans, il doit structurer un réseau de classe mondiale de recherche en IA à destination des chercheurs, des entreprises et des étudiants. Composé de nombreux membres de l’institut national de la recherche en informatique et automatique (Inria), il se voit confier des compétences à la fois techniques et juridiques, dans deux grands domaines : la santé et l’environnement (vu sous l’angle énergétique). Car Grenoble bénéficie d’une expertise complète reconnue : l’Inria, le Laboratoire d’informatique de Grenoble (LIG) et la première université française en informatique (et 31e au niveau mondial, d’après le classement de Shanghai) sont au cœur de l’écosystème de l’IA. L’an dernier, l’UGA a créé un Data Institute et un Cybersecurity Institute. Visant à développer des projets interdisciplinaires, le Data Institute s’intéresse par exemple à la protection de données dans la santé. “Nous faisons du machine learning des hôpitaux de façon décentralisée, pour que ces établissements traitent leurs données selon les mêmes paramètres”, explique Claude Castelluccia, directeur de recherche à l’Inria.

Les données personnelles, à la fois carburant et contrainte

L’effervescence autour de l’IA à Grenoble met en relief l’enjeu des données personnelles, la matière première de l’exploitation des data. Depuis l’entrée en vigueur du RGPD en mai 2018, les entreprises ont besoin de conseils avisés pour optimiser leur stratégie data. Des experts de l’Inria apportent des réponses aux entreprises sur les questions des données personnelles, notamment sur l’analyse de risque utilisateurs, ainsi que l’exige la nouvelle réglementation européenne. “Il y a souvent un conflit d’intérêts entre celle-ci et l’analyse de risque de sécurité, regrette Claude Castelluccia, surtout pour les entreprises dont le business model est basé sur les données.” Les DPO et les directeurs de l’information sont complémentaires. Cela permet que la valorisation des données ne se fasse pas au détriment de leur sécurité. Avec le RGPD, les entreprises n’ont pas intérêt à négliger la protection des données utilisateurs. En cas de contrôle, les amendes peuvent désormais se monter à 4 % du chiffre d’affaires. Autant donc ne pas négliger l’aspect juridique et le côté technique, avec notamment – la boucle est bouclée – de plus en plus de solutions de cybersécurité utilisant de l’IA pour détecter les virus et prévenir les attaques ! Si le RGPD a permis une prise de conscience individuelle et collective de l’utilisation des données, Yannick Châtelain, professeur à GEM, spécialiste des big data, appelle les citoyens et les entreprises à “rester vigilants. Pour les libertés publiques d’abord : avec l’intelligence artificielle, une simple modification des algorithmes des réseaux sociaux pourrait empêcher des mouvements comme les Gilets jaunes d’émerger. Pour les entreprises ensuite : celles qui collectent des données et ne respectent pas le RGPD vont être en complet déphasage avec l’opinion, et donc leurs clients. Cela risque de se retourner contre elles !”
F. Baert

 

Les chiffres clés de l’IA
• 4 Md$ : marché de l’intelligence artificielle en 2018.
• 18,2 Md$ : marché mondial des logiciels de cybersécurité utilisant l’IA en 2023.
• 47 % des chefs d’entreprise considèrent le big data comme porteur d’avenir (39 % pour les technologies de cybersécurité et 29 % pour l’intelligence artificielle).
• 1 600 articles scientifiques publiés par les chercheurs grenoblois sur l’intelligence artificielle.
• 6 000 plaintes déposées à la Cnil depuis le 25 mai 2018, date d’entrée en vigueur du RGPD.
• 45 % des décideurs au sein des PME reconnaissent que leur société n’a pas renforcé ses mesures de sécurité, 20 % ne savent pas si leur entreprise traite des données personnelles.

Source : Kapersky Lab, P&S Market Reseach.

Commentaires

Ajouter un commentaire

Langue
La langue du commentaire.
Votre commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang class title aria-label> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id> <span class> <div class>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
Email
Merci de saisir votre adresse email
Nom
Merci de saisir votre nom
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.
Leave this field blank

Suivez-nous

Abonnez-vous

Abonnez-vous à nos newsletters S'abonner