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Comment Grenoble prépare l’emploi de demain

Si le bassin grenoblois a subi comme ailleurs la crise sanitaire, il a aussi montré ses capacités de résilience. Le territoire tient bon et envoie même des signaux positifs. Porté par des secteurs dynamiques, il s’appuie sur des filières d’avenir génératrices de nouveaux métiers. Et sur des gisements d’emplois futurs !

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Un an que la crise de la Covid-19 bouscule l’économie mondiale et entraîne dans son sillage des coups d’arrêt. Elle oblige des entreprises à faire évoluer leur modèle et leur fonctionnement, transforme des métiers, et impacte la manière de penser le travail (digitalisation). Une année difficile pour les dirigeants comme pour les salariés, générant pour chacun inquiétude, remise en question, transformation et malheureusement, parfois, la disparition pure et simple d’une activité ou d’un emploi. Une crise qui a conduit à la destruction de plus de 800 000 emplois en 2020 en France. « Du jamais vu », note Bruno Ducoudré, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

FREINAGE BRUTAL SUR LE RECRUTEMENT

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Parmi les premiers touchés par la pandémie : les travailleurs intérimaires. « Ils sont la variable d’ajustement des entreprises durant une période difficile, lance Philippe Giraud, président de Prism’emploi Auvergne- Rhône-Alpes, délégation régionale du syndicat des professionnels du recrutement et de l’intérim. L’année 2020 a été catastrophique, avec un recul du travail temporaire de 23,6 % en France. » Soit la disparition de près de 185 000 emplois intérimaires en équivalent temps plein. Des postes bien souvent occupés par des jeunes, diplômés ou non. Les intentions d’embauche des cadres se sont aussi stoppées net au 17 mars 2020, observe Patricia Ozil, responsable de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) à Grenoble. « Nous étions sur une très bonne dynamique, puis est arrivé le confinement. Il a signé un arrêt brutal d’activité, avec au plus fort de la crise, une baisse de 60 % des offres d’emploi des cadres. » Autre marqueur de la crise : 103 400 ruptures de contrats de travail ont été envisagées dans le cadre de PSE depuis le 1er mars 2020, selon les données de la Dares (service des statistiques du ministère du Travail) publiées en février 2021, « soit près de trois fois plus que sur la même période l’année précédente ».

UN EXERCICE 2021 À HAUT RISQUE ?

Si l’emploi et les embauches ont subi en partie les conséquences de la crise sanitaire, les aides d’urgence débloquées par l’État (PGE, chômage partiel…) ont pu amortir le choc. Le nombre de défaillances d’entreprises a par exemple reculé de 39,5 % par rapport à 2019 (donnée de la Banque de France). « Sans ses aides, nous aurions connu une situation comparable à 2008, avec une vague beaucoup plus importante d’inscriptions à Pôle emploi. Là, le taux de chômage au 4e trimestre 2020 est revenu à 8 %, soit un taux d’avant mars », analyse Mathieu Bouttaz, directeur adjoint de l’agence Pôle emploi de Fontaine et responsable de la communication pour le département de l’Isère. Ce que les acteurs du monde économique reconnaissent bien volontiers. Cependant, tous les analystes s’inquiètent pour l’après. L’Insee considère que la baisse du nombre de demandeurs d’emploi est en « trompe-l’œil » en raison, entre autres, du second confinement et du fait que des personnes n’ont pas recherché activement un emploi durant cette période. Mais « qu’en sera-t-il des entreprises aujourd’hui sous perfusion, lorsqu’on leur enlèvera les aides ? », questionne Patricia Ozil. « Si la vaccination se déroule jusqu’à la fin de l’année sans difficulté, une grande partie des mesures sanitaires et des aides devraient inévitablement disparaître. Des filets de sécurité seront à ce moment nécessaires pour éviter une casse sociale », estime Bruno Ducoudré. Les analystes considèrent 2021 comme étant à haut risque pour l’emploi.

ACCÉLÉRATEUR DU CHANGEMENT

Si l’avenir reste encore bien incertain, cette crise aura mis en lumière plusieurs caractéristiques salutaires : d’abord « la capacité des entreprises à s’adapter, à innover, à investir, à pivoter pour poursuivre leur activité et maintenir l’emploi », avance l’économiste. Elle a apporté par ailleurs son lot de changement et d’évolution. « La généralisation du télétravail a fait gagner 10 ans en l’espace de 6 mois à la transformation digitale des organisations », relève Emmanuelle Rivière, directrice générale de la CCI de Grenoble. Autre phénomène constaté : les secteurs dynamiques se relèvent plus vite et recrutent à nouveau. « Dès que des certitudes reviennent, les embauches repartent », assure Philippe Giraud de Prism’emploi AURA. La crise a aussi suscité une forte mobilisation, impulsée par l’État, de tous les acteurs de l’emploi, de la formation et du monde économique, pour mettre en œuvre des solutions concrètes et rapides en faveur du retour à l’emploi et à la formation des jeunes. « La plupart des mesures étaient rangées dans les tiroirs du ministère du Travail. L’urgence de la situation a fait qu’elles ont été ressorties et appliquées », ajoute Bruno Ducoudré. Enfin, la crise économique a mis en avant la résilience de certains territoires portés par leurs filières d’avenir. Les entreprises engagées dans la transition écologique, la santé, la cybersécurité ou les technologiques numériques sont celles qui rebondissent le mieux et plus vite. D’autant qu’elles sont soutenues et mises en avant par le Plan de relance de l’État, doté d’une enveloppe de 100 Md€. Créatrices de métiers émergents dans l’énergie, dans le numérique, ces entreprises pourraient demain être génératrices de centaines de milliers d’emplois (voir encadré). Ces perspectives sont-elles de nature à susciter un regain d’optimisme ? « La capacité de rebond de l’économie française a été inattendue et plutôt bonne sur la seconde partie de l’année. Quant à l’ajustement du marché du travail, il a aussi été inédit. La machine est donc encore bien en marche », mentionne Bruno Ducoudré.

L’ÉCONOMIE RÉGIONALE TIENT BON

C’est particulièrement vrai du territoire régional. Comme partout, nombre de secteurs de la seconde région de France sont en berne (restauration, culture, tourisme, domaines skiables…). La collectivité a toutefois adopté en juillet dernier un plan de relance économique s’élevant à 1 Md€ sur trois ans (avec un effet levier de 3 Md€.) dans le but d’accompagner les collectivités, l’économie régionale, l’emploi, la formation, le développement durable et le numérique. Par ailleurs, si les entreprises en Auvergne- Rhône-Alpes ont enregistré une baisse globale de 10,4 % de leur activité, couplée à un recul de 21,1 % du travail intérimaire en 2020, l’écosystème tient bon. La Banque de France, qui a interrogé 4 200 dirigeants en région, prévoit un rebond de +6,3 % cette année (ce qui ne compensera tout de même pas les pertes de 2020). Une reprise qui bénéficierait légèrement à l’emploi (en baisse de 1,6 % en 2020, il devrait repartir à +0,3 % en 2021). Et à l’intérim ? Pas avant le second semestre 2022, répond la Banque de France. Dans le bassin grenoblois, une destruction nette de 7 200 emplois au 1er semestre 2020 a touché particulièrement l’emploi intérimaire et le non-renouvellement des CDD dans l’industrie ou l’hôtellerie-restauration.

GRENOBLE EN MOUVEMENT

Mais deux données permettent de mieux évaluer la situation : sur le 3e trimestre 2020, le chômage en Isère s’élevait à 7,4 %, contre 6,9 % sur la même période en 2019, soit une moindre dégradation par rapport aux niveaux régional et national. Pour le travail temporaire, la baisse était de l’ordre de - 4 % en décembre 2020, contre - 21 % dans le Rhône ou encore - 24 % en Savoie. Les signaux d’une certaine reprise sont présents en Isère, lance Philippe Giraud qui l’analyse ainsi : « Les carnets de commandes des professionnels de la logistique sont repartis à la hausse et les filières électroniques continuent activement leur développement. Les tendances de recrutements d’intérimaires empruntent la même trajectoire que celle du début de l’année 2020. » Composé d’un tissu industriel en pleine croissance (Soitec, STMicroelectronics, Lynred…), de l’un des premiers écosystèmes de recherche de France (CEA, Minatec…) et de formations de haut niveau (Université Grenoble Alpes, GEM, Grenoble INP…), le bassin grenoblois s’affiche comme l’une des locomotives régionales. « Notre territoire s’en sort finalement bien », confirme Emmanuelle Rivière. Pourquoi ? « Le territoire a la chance de posséder un vivier d’entreprises de secteurs traditionnels, de secteurs porteurs, mais aussi d’occuper depuis des années les filières de demain, créatrices de métiers nouveaux qui vont compter ». Ce que confirme Bruno Perinel, coprésident de la Commission numérique au sein de la Fédération de la formation professionnelle et membre de la délégation Syntec Auvergne-Rhône-Alpes : « Certes, Grenoble a connu un ralentissement. Mais avec un savoir-faire technique et pointu, il redémarre, notamment en ce qui nous concerne, dans les domaines de la cybersécurité et des domaines applicatifs. » Concrètement, si les entreprises de la restauration ou de la montagne n’ont pu embaucher, si d’autres secteurs ont péniblement tenté de le faire sur les métiers en tension, une troisième catégorie poursuit son développement sur des marchés à fort potentiel, en anticipant les formations et recrutant. Le phénomène de transition se trouve accéléré par la crise. Et par le Plan de relance qui, selon le gouvernement, a pour vocation de « redresser rapidement et durablement l’économie française », grâce à un soutien à la transition énergétique (30 Md€ mobilisés) et à la compétitivité des entreprises (35 Md€).

DES FORMATIONS ÉVOLUTIVES

Or, dans ces domaines, les acteurs du territoire grenoblois ont tout leur rôle à jouer. Ils sont déjà largement investis dans la transition vers le monde de demain en se spécialisant dans le big data, les réseaux, les cleantechs, l’intelligence artificielle, l’hydrogène vert ou encore la santé. Tout l’enjeu consiste à concevoir en corrélation une offre de formation adaptée et évolutive. « À travers nos organismes de formation, à nous de répondre présents sur ces évolutions, tant sur des métiers en mutation que sur des formations spécifiques qui correspondront aux attentes de demain », explique Emmanuelle Rivière. Ces formations peuvent même être copilotées par les entreprises, comme pour le BTS Maintenance des systèmes énergétiques et fluidiques, développé par l’Institut des métiers et des techniques (IMT) en partenariat avec Dalkia, ou encore avec SFR et son diplôme sur les métiers de la fibre optique. Le Plan de relance impulse aussi une nouvelle dynamique avec des moyens supplémentaires, dont une part dédiée à la formation et à la montée en compétences des salariés. Il constitue en outre une réponse pour les jeunes, désignée « grande cause » nationale, depuis le début de la crise. « Avec la plateforme 1Jeune1Solution, nous voulons garantir à tous une solution en les accompagnant vers un emploi ou une formation », détaille Mathieu Bouttaz. Salons en ligne, job dating, webinaires… les agences Pôle emploi, les missions locales et les associations d’insertion raccrochent les écosystèmes à la même ambition, et multiplient depuis l’été dernier les réunions d’information dans les territoires. L’ambition ? Orienter 200 000 jeunes vers ces nouveaux métiers en France. Partout, la mutation s’accélère donc. Mais avec son écosystème singulier fondé sur l’innovation, Grenoble affiche un sérieux temps d’avance. De quoi en faire un modèle de résilience et de transformation ?

R. Charbonnier

 

Des tiers lieux pour les télétravailleurs
« L’emploi est un axe que l’on souhaite développer et soutenir encore plus après ce que nous vivons », annonce Emmanuelle Rivière, directrice générale de la CCI de Grenoble. En particulier pour les salariés vivant en milieu rurbain et rural. Car pour répondre au développement croissant du télétravail tout en garantissant de bonnes conditions pour exercer les missions (accès aux réseaux haut débit, confort et ergonomie des postes de travail…), la Chambre de commerce s’engage à « copiloter avec des acteurs privés et des collectivités » la création de tiers lieux sur le territoire. La CCI devrait ainsi « rapidement » répondre aux appels à projets lancés par l’État dans le cadre du Plan de relance.

 

L’EMPLOI EN FRANCE À L’HORIZON 2030

330 000
emplois générés par la transition énergétique

1,5 million
de personnes dans la filière de la cybersécurité

50 000 à 100 000
emplois créés par l’hydrogène décarboné et la filière hydrogène.

1,75 million
de nouveaux emplois dans les technologies de l’information et la communication


LE CHÔMAGE PARTIEL

2,1
millions de salariés sont en activité partielle en janvier 2021, soit environ 11 % des salariés du privé (après 2,5 millions en décembre 2020)

1,6 Md€,
montant d’allocation activité partielle versé par l’État et l’Unédic en janvier 2021

Les activités ayant le plus fort taux de recours au chômage partiel :

  • hébergement restauration (59% des salariés du secteur)
  • services (32% des salariés)
  • transport et entreposage (17% des salariés)

Source : Dares, situation au 23 février 2021

 

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