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Industrie — Le 29 mars 2018

Vers l’usine “intelligente” et l’individualisation de la production

Et c’est tout l’avantage du concept : il présente la particularité de fédérer sous une même bannière plusieurs évolutions technologiques, parfois reliées entre elles, mais pas toujours, qui se déroulent en simultané : capteurs et objets connectés, impression additive, réalité augmentée, Big data, robot ou cobot…

© Fotolia

Or toutes ces briques assemblées ont également une spécificité : elles permettent d’envisager une flexibilité totale de la production, et donc de passer d’une ère de production de masse à celle de l’individualisation des produits et services, sans surcoûts majeurs. Mieux, l’émergence de l’usine “intelligente” nous propulserait dans le modèle le plus abouti de l’ “économie de la fonctionnalité” – promouvant l’usage du produit et non
sa propriété – avec toutes les ruptures que cela suppose en termes de business model et de transformation des chaînes de valeur ajoutée.

Une transformation pas à pas

Alors, l’industrie du futur, mythe ou réalité ? Révolution ou évolution ? Schneider Electric est l’un des groupes pilotes en termes d’offre pour l’industrie du futur. Selon Benoît Jacquemin, vice-président exploration de la Business Unit Industrie, “les attentes en termes d’amélioration de l’efficacité industrielle sont très fortes ; des initiatives ‘Industrie du futur’ sont engagées dans tous les continents, en Europe comme en Chine et aux États-Unis. Plutôt que d’une rupture, il s’agit d’une transformation pour faire migrer les infrastructures industrielles existantes vers des
fonctions ‘augmentées’, donc plus performantes.

On parle par exemple de machines ou d’équipement ‘augmentés’ par rajout de capteurs et de logiciels d’analyse de données pour prédire les pannes, optimiser la maintenance et améliorer la disponibilité opérationnelle ; de même, on parle d’opérateurs ‘augmentés’ qui seront guidés par des outils de réalité virtuelle et assistés par des robots collaboratifs. Une autre source de progrès est une plus grande intégration entre les systèmes d’information de l’entreprise et les systèmes d’automatisation de procédés : une usine plus transparente, plus ‘temps réel’ donc plus réactive aux sollicitations des clients et aux aléas. En France, les filières aéronautiques et automobiles sont engagées dans cette transformation. Schneider Electric y participe par le développement d’une offre pour l’industrie du futur, mais également par ses usines de production. Dans notre site de Carros, nous avons un projet d’atelier flexible, c’est-à-dire des zones dans l’usine où une variété de produits peut être assemblée au même poste de travail par des opérateurs guidés par de la réalité augmentée”.

L’impression 3D fait apparaître une nouvelle industrie

De façon plus prosaïque, une brique technologique comme l’impression additive peut permettre à des acteurs – concepteurs, designers, ou simples amateurs et particuliers – de lancer sur le marché de petites séries d’objets sans forte prise de risque, pour des tests grandeur nature. “Les imprimantes 3D peuvent être assimilées à de petites usines de production dématérialisées. Prenons l’exemple d’Eram, collaborant avec l’agence de designer Unistudio et NeuronalMotion pour fabriquer des talons sur mesure permettant de customiser ou personnaliser sa paire de chaussures. Les possibilités sont aujourd’hui infinies !”, relatent Romain Cloitre et Rémy Oliel, les deux fondateurs de Clotoo, à Seyssins.

La société est spécialisée dans la fabrication et la distribution de machines d’impression 3D. “En se transformant en producteurs grâce à l’impression 3D, les concepteurs ont sur certaines niches la capacité de bouleverser les chaînes de valeur”, pronostiquent-ils. Avant même cette étape, la fabrication additive a déjà profondément changé et simplifié les conditions de réalisation des prototypes dans l’industrie.

Les conditions de survie de l’industrie de demain

Les enjeux économiques de ces mutations sont considérables. Selon une estimation de PwC, l’industrie européenne investirait 140 Md€ par an d’ici 2020 dans des solutions de l’industrie du futur, soit la moitié de son effort d’investissement. Au niveau mondial, les répercussions s’élèveraient à 900 Md$ chaque année ! Si de nombreux États se sont emparés de cette question stratégique, c’est au vu de ces projections, mais aussi parce que cette “4e révolution” représente un défi majeur de modernisation et de pérennisation de l’outil industriel.

Les pays où l’industrie est en pole position dans l’économie, comme l’Allemagne, la Chine, la Corée du Sud, l’ont bien compris. En avril 2015, la France a aussi lancé le programme Industrie du futur, impliquant les industriels via leurs syndicats professionnels, l’État, les Régions, les pôles de compétitivité, les laboratoires, centres de recherche et établissements de formation. L’Alliance Industrie du futur a été créée pour animer le programme. Elle est actuellement présidée par Philippe Darmayan, président d’ArcelorMittal France et du Groupe des fédérations industrielles (GFI).

Promouvoir l’offre régionale

Au niveau régional, une initiative clé a également été adoptée par la CCI de région Auvergne-Rhône-Alpes, à partir du constat suivant : si la Région bénéficie d’un tissu industriel très dense, elle est aussi fortement spécialisée dans les machines et biens d’équipement industriels, pour lesquels elle se situe au premier rang français. Auvergne-Rhône-Alpes assure à elle seule 20 % de la richesse créée en France dans cette
branche. Elle représente en outre 36 % des exportations françaises du secteur, à hauteur de 7,4 Md€. Par ailleurs, la Région compte 5 200 entreprises et 90 000 emplois dans le secteur du numérique. “L’enjeu est donc ici double, tant du côté de la mutation réussie du tissu industriel vers ce nouveau modèle, que de la conquête des marchés, aux plans national, européen et mondial, pour les entreprises régionales offrant des solutions”, souligne Philippe Guérand, président de la CCI de région Auvergne-Rhône-Alpes. 

En 2016, la chambre consulaire a donc lancé, avec la Direccte, Business France, l’Udimeraa et la FIM, une démarche “Auvergne-Rhône-Alpes, région de solutions pour l’Industrie du futur”. Une première étape a consisté à qualifier les composantes de l’offre. Les résultats complets ont été présentés dans une publication de décembre 2016 et lors d'une soirée d’échanges réunissant 120 participants à Lyon en février dernier. “Avec 550 établissements recensés sur toutes les composantes de l’industrie du futur – plus de trois fois celui de l’Alsace – l’inventaire confirme la très grande richesse du tissu économique, composé de grands groupes, d’ETI, de PME et de nombreuses start-up.” Par rapport aux sept briques retenues au niveau national, la CCI de région en a ajouté une, les solutions pour le bâtiment de l’usine du futur, pour tenir compte de la présence d’acteurs très actifs sur ce segment.

Grenoble aux avant-postes

Dans cet ensemble, la région grenobloise se distingue, avec une centaine d’offreurs sur toutes les composantes de l’industrie du futur, et une représentation particulièrement forte dans les solutions de digitalisation et l’Internet des objets. Les start-up occupent une position avancée, aux côtés de géants comme Schneider Electric, STMicroelectronics, Cap Gemini, Sogeti, HP, Atos… Et parmi ces start-up, certaines sont riches de promesses, comme GreenWawes Technologies, seul lauréat français du programme européen H2020 PME 2016 Phase 2, dans la catégorie Open Disruptive Innovation. Elle s’attache à développer une technologie de rupture pour connecter les objets à haut débit, longue distance et très basse consommation. Une autre société, Neovision, est un bureau d’études spécialisé en intelligence artificielle. Il a été créé par Lucas Nacsa, Sabine Notheisen et Pierre Arquieren 2014. “En tant que diplômés de l’Ensimag et anciens ingénieurs R&D de l’Inria, nous faisons le pont entre la recherche et l’industrie. Nous sommes au fait des dernières avancées scientifiques en intelligence artificielle que nous savons appliquer en mode agile dans les usines.”

Par exemple, Neovision a développé avec succès des algorithmes de reconnaissance d’activité humaine, permettant à Schneider Electric d’adapter les flux énergétiques d’un bâtiment intelligent en fonction de la posture de ses occupants. La société de six personnes, en forte croissance, a également mis au point une nouvelle génération de capteurs optiques auto-apprenants sur les chaînes de production robotisées, pour déceler des défauts de surface d’implants chirurgicaux, indétectables par les systèmes optiques classiques.

Une nouvelle carte pour l’industrie française ?

Alors, faut-il proclamer avec Philippe Varin, président d’Areva, président du Cercle de l’Industrie : “L’industrie est morte, vive l’industrie” ? Les premiers exemples d’intégration – drones développés par Hardis pour inventorier les entrepôts logistiques, projet connect d’Air Liquide – ne militent pas forcément en ce sens. Il est revanche certain qu’à l’heure d’une redistribution mondiale et d’une tendance au raccourcissement des chaînes de valeur, le concept d’industrie du futur présente de nouvelles opportunités de relocalisation de la production. Et donc de nouvelles chances pour l’industrie française ? Peut-être, si un environnement plus favorable à l’industrie et les systèmes de formation des jeunes générations et des salariés en place suivent massivement…

Et si la mobilisation lancée par l’Alliance Industrie du futur rencontre un large écho ; pour l’instant, avec plus de 3 400 PME et ETI françaises concernées par un accompagnement personnalisé à fin 2016, cela semble être le cas. Mais, préviennent les syndicats professionnels de la mécanique, “ne cédons pas dans la vision française à une tentation d’opposer le monde numérique au monde physique. L’interpénétration des deux est indissociable pour faire gagner l’industrie !”
E. Ballery

 

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