Les Français et l’industrie
Une conjoncture porteuse...
Il faut dire que l’industrie va mieux ! À la faveur du rebond de croissance et du retour de la confiance, les études de l’Insee, de la Banque de France et de Bpifrance convergent. “Les marges dans l’industrie sont revenues en 2017 à un niveau supérieur à celui d’avant crise. Le problème récurrent de la compétitivité de l’industrie française est aussi à relativiser, puisque, grâce au CICE, le coût unitaire d’un salarié français est redevenu en 2017 légèrement inférieur à celui d’un salarié allemand”, confirme Fanny Letier, directrice exécutive de Bpifrance, à la tête de la direction des fonds propres PME et de la coordination de l’accompagnement de la banque publique d’investissement. “Nos enquêtes de conjoncture réalisées auprès des PME et ETI font également état d’anticipations d’embauche et de prévisions d’investissement au plus haut depuis 15 ans !”
Des performances exceptionnelles
Sur le terrain, les industriels confirment ce “retour à meilleure fortune”. Certaines entreprises ressortent même comme des champions de la croissance, avec des taux de progression dignes de start-up. C’est le cas en région grenobloise du fabricant de fours industriels ECM Technologies, passé de 120 à 335 salariés en quatre ans (CA 2016 : +62 %), de McPhy, spécialiste de solutions de production et stockage d’hydrogène (CA 2017 : +34 %) qui a franchi le cap de 10 M€ de chiffre d’affaires, d’Ulis, producteur de capteurs thermiques innovants à Veurey-Voroize (200 personnes), qui célébrait, en 2017, 15 années de croissance annuelle à 20 % ! Soitec (900 collaborateurs), renoue aussi avec la performance, en ciblant les marchés des smartphones, de l’automobile, de l’internet des objets, de l’imagerie et de la détection 3D. Son chiffre d’affaires et ses résultats ont connu une hausse de plus de 25 % en 2017. Toujours dans l’industrie des semi-conducteurs, l’activité du groupe STMicroelectronics a bondi de +19,7 % en 2017, avec un résultat net de 802 M€, plus de quatre fois supérieur à celui de 2016.
L’enjeu : accéder au rang de fournisseur stratégique
Philippe Poncin, président de Minitubes, présent depuis 38 ans dans l’entreprise familiale, confirme avoir vécu “les trois années de croissance les plus fortes de notre histoire”. L’ETI grenobloise fabrique des tubes et pièces tubulaires métalliques de précision, à Grenoble. Entre 2014 et 2017, son chiffre d’affaires s’est accru de 67 % ! L’activité est réalisée à plus 80 % à l’export, dont plus de 50 % en direction des États-Unis, où Minitubes a accédé au rang de fournisseur stratégique chez les fabricants d’implants chirurgicaux ou d’automates de diagnostic in vitro. “Si l’on m’avait dit il y a trois ans que nous allions connaître une telle progression, j’aurais été presque inquiet, plaisante-til. Mais grâce à une bonne organisation, des équipes mobilisées et un projet Lean qui nous a mobilisés sur trois ans, nous avons su relever ce défi et atteindre une excellente efficacité opérationnelle.” La société de 310 salariés est maintenant prête à faire face à une croissance pérenne d’au moins 10 % chaque année, pour répondre au dynamisme des marchés de la santé. Tout en nourrissant de nouveaux projets dans l’aéronautique et l’automobile.
Accéder au rang de fournisseur référent de l’industrie automobile est aussi l’étape franchie par la PME G.E.M. La visibilité conférée par ce statut en termes de carnet de commandes permet à ses dirigeants d’engager un plan d’investissement sans précédent dans l’industrie 4.0.
Changements stratégiques
D’autres sociétés accomplissent de véritables mues et transformations stratégiques, comme le groupe Poma (1 026 collaborateurs ; CA 2016 : 343,15 M€). Le leader du transport par câble s’est associé avec une autre filiale du groupe HTI, Leitwind, pour se lancer dans la production, l’installation, la mise en service d’éoliennes sur le marché français. Il vient de consacrer 20 M€ d’investissement dans le nouveau site industriel à Gilly-sur-Isère. Ou encore Rossignol, qui a pris un virage marqué vers le trail, la randonnée, le textile, et le vélo grâce au rachat en 2016 de Time sport international.
Une diversification menée à rythme soutenu pour échapper à la dépendance des seuls sports d’hiver. À ces tournants stratégiques correspondent aussi des transformations internes, multiformes – innovation, internationalisation, robotisation, digitalisation, montée en compétences… d’autant plus complexes à mener qu’elles concernent toutes les strates organisationnelles de l’entreprise.
Atteindre une performance globale
Cette capacité à mener tous les chantiers de front est caractéristique des entreprises industrielles les plus performantes. À Tullins, la PME Sori a accompli un parcours impressionnant. Son dirigeant, Hervé Valliet, a repris en 1986 le passif de l’entreprise familiale de tôlerie, alors en redressement judiciaire. Il l’a peu à peu menée vers une activité de niche, la réalisation de coffrets métalliques pour le rangement d’outillage, à destination des professionnels du BTP et des distributeurs spécialisés. “J’ai immédiatement prôné la flexibilité et le service client pour nous en sortir. Au début des années 2000, nous avons été précurseurs en suivant un programme sur l’agilité à Grenoble École de Management. Nous le sommes encore aujourd’hui : la société n’a pas de chef d’atelier ; les opérateurs sont autonomes, et notre organisation répond aux principes de l’entreprise libérée. Nous avons progressivement enrichi les gammes de notre catalogue. Aujourd’hui, comme un cuisiniste, nous sommes capables, à partir de 250 éléments standards, de fournir des rangements sur mesure pour équiper un véhicule ou un atelier.” Entre 2015 et 2017, l’entreprise a réalisé plus de 50 % de croissance, grâce à sa réactivité et à la maîtrise de ses prix de revient.
Prendre une longueur d’avance dans l’industrie 4.0
Pour ces entreprises, l’industrie 4.0 n’a plus de secret. “Il y a eu de nombreux congrès et conférences auxquels j’ai pu assister sur le sujet, déclare Emmanuel Saint-Supéry, président de SMOC Industries. Il fallait passer le cap de la découverte. Nous entrons dans l’action sur le terrain maintenant.” Signe de l’ambition de Minitubes, le programme d’investissement sur trois ans portant sur l’industrie du futur est appelé “Projet 5.0”… Pour Hervé Valliet, le président de Sori, l’anticipation est encore plus nette : “Je vends actuellement 5 à 20 % moins cher qu’en 2012.
Le secret ? Un programme complet de robotisation, initié dès 2015.
Face aux gains obtenus, le premier robot en a appelé un autre. Je n’ai pas hésité à envoyer les salariés en formation chez nos fournisseurs, des fabricants d’équipements en Italie, en Belgique ou en France. Tous ont évolué et progressé dans leur travail, et nous avons considérablement réduit les tâches répétitives, génératrices de TMS (troubles musculo-squelettiques)”. Grâce à toutes ces actions, la société Sori, concurrencée par une trentaine de confrères dans les années quatre-vingt, reste l’unique entreprise française proposant des solutions de rangement industriel. Elle gagne constamment des parts de marché par rapport aux acteurs issus des pays low cost.
Ne pas répéter les erreurs du passé
Pour leurs investissements, les entreprises ont pu compter sur un environnement porteur. L’instauration du CICE a permis de dégager quelques marges de manœuvre en allégeant le coût du travail sur les bas salaires. Puis la mesure du sur-amortissement, applicable entre 2015 et 2017, a directement soutenu les investissements productifs. Tout comme les aides de la Région, destinées depuis 2017 à accompagner les projets relatifs à l’industrie du futur. Mais il était temps ! Beaucoup d’industriels se déclarent comme des “survivants” de leur secteur d’activité.
Les chiffres de l’Insee accréditent ce sentiment largement partagé : entre 2006 et 2015, l’industrie manufacturière a perdu 27 300 entreprises et 530 000 salariés… Une véritable saignée, que l’institut Coe-Rexecode analyse ainsi : “La hausse au cours des années 2000 des coûts supportés par l’industrie (coûts salariaux directs, mais aussi ceux des secteurs fournisseurs) a progressivement éliminé les entreprises les moins productives. Les autres ont réduit leurs marges pour maintenir leur compétitivité-prix,au détriment de leur capacité à investir et à monter en gamme.
Un cercle vicieux s’est installé : les pertes de parts de marché réduisent les débouchés et le recul relatif de la base industrielle réduit les capacités exportatrices et la variété de l’offre française.” Résultats : la part de la valeur ajoutée manufacturière française dans celle de la zone euro a reculé de 17,3 % en 2000 à 13,6 % en 2017. Et la position française ne cesse de se dégrader à l’export. Le manque à gagner cumulé des parts de marché perdues par les exportations françaises depuis 2000, évalué par Coe-Rexecode, atteindrait… 1 700 Md€ !
Faire grandir les PME et les ETI
La France paye ainsi au prix fort le désintérêt des pouvoirs publics, relayé par certains experts et même des managers, pour l’industrie. “C’est en France qu’a fleuri le slogan des ‘entreprises sans usine’, déplore Olivier Six, président de la commission industrie et services aux entreprises de la CCI. De même, l’entrepreneur questionne le terme d’accélération des mutations auxquelles serait aujourd’hui confrontée l’industrie. “Ce que nous prenons pour une accélération, n’est-ce pas plutôt le rythme normal de l’industrie ? Celui connu ces 15 dernières années par des pays comme l’Allemagne, l’Italie, la Chine, la Corée, mais que nous avons oublié en France, parce que notre industrie restait, elle, concentrée sur ses problèmes de survie.” Olivier Six se réjouit donc d’une nouvelle prise de conscience en France. Cette année, le dirigeant de la société de métallerie, chaudronnerie CIC Orio, lancera 10 M€ d’investissement dans la construction d’un nouveau bâtiment à Champ-sur-Drac et la modernisation complète des équipements de production. “Nous avions 15 à 20 ans de retard dans notre outil industriel par rapport à la concurrence internationale (allemande, tchèque, italienne, polonaise…). Avec cet investissement, nous voulons d’un seul coup sauter deux générations technologiques et reprendre cinq ans d’avance”, déclare-t-il. Même enthousiasme chez le président de SMOC Industries : “J’adhère pleinement à l’initiative de la French Fab, et j’arbore bien volontiers mon coq bleu. Le projet d’enfin chasser en meute pour l’industrie française est une belle idée.”
La non-acceptation du risque coûte très cher !
“Encore faut-il, pour ne pas être en décalage avec le reste du monde, accepter un minimum de risques, prévient Olivier Six. Une activité économique avec zéro impact environnemental, zéro transport, zéro bruit, tout comme une vie humaine sans aucun impact sur l’environnement, cela n’existe pas ! Refuser tout risque, cela revient à renoncer à vivre.” Il en sait quelque chose, puisque sur les 10 M€ d’investissements programmés chez CIC Orio, 1 M€ sera consacré au respect des normes imposées, par exemple surélever le sol de 50 cm pour protéger l’usine d’un risque inondation pouvant survenir dans les 100 prochaines années… “À l’image des autres pays européens vis-à-vis de leur industrie, sachons rester pragmatiques !”
E. Ballery
Le salon Global Industrie a rendu public le premier baromètre d’opinion* des Français sur l’industrie. Il livre les résultats suivants :
*Interrogées par GoudLink, 1 000 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française se sont exprimées.
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Le territoire mobilisé
Deux initiatives marquantes se sont déroulées en région grenobloise :
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