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Industrie — Le 14 octobre 2016

Bâtiment : des changements tout terrain !

Nouveaux matériaux, nouveaux équipements, nouvelles méthodes de conception : soutenue par les réglementations et les changements sociologiques, l’innovation gagne le secteur du bâtiment. Une filière qui évolue aussi vers une meilleure coopération entre les différents acteurs, pour davantage d’efficacité.

© Fotolia

En 2017, le ciment artificiel fêtera le 200e anniversaire de sa découverte. Une invention due à Louis Vicat, né à Grenoble. L’entreprise locale qui porte son nom développe aujourd’hui son activité de construction dans plus d’une dizaine de pays dans le monde. Dans le bâtiment aussi, la région grenobloise a donc commencé tôt à se démarquer. C’est toujours vrai au XXIe siècle, à l’heure de la transition énergétique. “L’innovation dans nos entreprises du bâtiment est d’abord tirée par les réglementations thermiques et les normes. Peut-être plus qu’ailleurs en raison d’un environnement porteur”, observe Emmanuel Roy, chargé de mission à la Fédération du bâtiment et des travaux publics de l’Isère. Les collectivités locales se sont emparées tôt de ces enjeux. Dans le cadre du Plan air-énergie-climat, l’un des tout premiers à avoir vu le jour en France, la Métropole de Grenoble a ainsi mis en place Mur/Mur, un vaste dispositif de soutien à la réhabilitation thermique des copropriétés anciennes. Un défi stimulant pour les entreprises du bâtiment, qui ont investi massivement et se sont formées aux nouvelles techniques.

Le grand bond en avant de l’isolation thermique

Il faut dire aussi que le contexte national est plus qu’incitatif. La généralisation de la RT2012 à tous les bâtiments neufs en France a considérablement animé le secteur. Le bâtiment constituant le premier poste de consommation d’énergie en France (43 %), l’enjeu majeur est d’augmenter sa performance, en insistant sur le chauffage. “Près de 60 % de la consommation énergétique des bâtiments provient du chauffage. Et surtout les déperditions à travers l’enveloppe du bâtiment sont responsables de 82 % des consommations du chauffage”, confirme Daniel Quenard, chef de la division matériaux du Centre scientifique et technique du bâtiment, à Saint-Martin-d’Hères. L’étanchéité à l’air est le premier défi imposé par la nouvelle réglementation. Plusieurs techniques se sont développées pour prévenir ou traiter les ponts thermiques et les infiltrations d’air. “En particulier, l’isolation par l’extérieur (ITE), qui s’applique pour le neuf comme en rénovation, a fait un grand bond en avant”, observe Emmanuel Roy. Un constat partagé par Christophe Gay, directeur général de Streiff (CA 2015 : 19 M€, 90 personnes, Saint-Martin-Le-Vinoux), spécialiste du génie climatique : “C’est dans le domaine de l’enveloppe du bâtiment que nous avons modifié le plus nos pratiques. C’est allé très vite, à tel point que nous arrivons à des performances énergétiques quasi maximales.” L’autre grand changement concerne la ventilation double flux, largement appliquée aujourd’hui. “Elle permet maintenant de réduire jusqu’à 92 % les pertes de chaleur liées au renouvellement de l’air dans les pièces”, confirme Christophe Gay.

Chassez le matériau naturel…

Le domaine des matériaux subit lui aussi de profonds changements. “Les contraintes thermiques ont imposé le polystyrène, associé aux bandes de laine minérale”, relève Benoît Charpentier, président de 2R Dauphiné, à Saint-Martin-d’Hères (CA 2015 : 10 M€, 97 salariés). L’entreprise de rénovation a récemment appliqué ces matériaux dans la réfection de plusieurs copropriétés à Grenoble : le Gymnase, le Majestic, les Dauphines… Mais elle a également utilisé le béton cellulaire pour la copropriété du Poincaré. Dans la construction neuve, le béton cellulaire, la brique de terre cuite alvéolaire, les matériaux nanoporeux (développés par une entreprise telle qu’Enersens, dans le Nord-Isère) apparaissent comme autant de pistes à suivre.

À La Mure, l’entreprise de construction de maisons individuelles Atticora (CA 2016 : 3 M€, 30 personnes)  applique le principe de la captation de l’air dans un matériau naturel fibreux : le chanvre, qui vise à supprimer les ponts thermiques, est à la base des briques Chanvribloc qu’elle a mises au point. La société a également conçu un système poteau-poutre en bois à enveloppe hygrothermique, pour renforcer à la fois l’isolation et l’esthétique de la maison. “D’une façon globale, les constructeurs ont intégré la formule selon laquelle ce qui dure très longtemps n’est pas forcément durable”, sourit Daniel Quenard. Ils y parviennent en allégeant le béton par insertion d’air, par exemple, et en se tournant vers le bois. Étanche à l’air, le matériau ligneux offre en effet une excellente isolation thermique et nécessite peu d’entretien. Il contribue à alléger le poids de la construction, une donnée clé sur des terrains accidentés comme ceux de notre région, ou en cas d’extension sur des capacités portantes limitées. Mais l’avenir est peut-être dans le panachage, où le high-tech se mêle à la nature, où les matériaux tiennent compte aussi des ressources et du climat locaux. “Il s’agit de plus en plus d’utiliser le bon matériau au bon endroit, en cherchant l’équilibre optimum entre techno-logie, béton et matériaux traditionnels”, résume Daniel Quenard.

Le BIM, source de progrès

Si l’innovation la plus critique se concentre dans l’isolation thermique, le secteur de la construction subit d’autres transformations profondes. Et dès la conception des bâtiments, à travers la maquette numérique. “La modélisation 3D du bâtiment, ou BIM dans notre jargon, est en train de révolutionner le métier”, assure Emmanuel Roy. La maquette numérique contient l’ensemble des données techniques du bâtiment : caractéristiques physiques des objets, composition des matériaux, mais aussi données techniques et fonctionnelles, localisation des équipements, etc. Un processus de travail collaboratif poussé s’organise autour de la maquette 3D, au sein même des entreprises, puis entre les différents intervenants du chantier, depuis les architectes et les maîtres d’ouvrage jusqu’aux exploitants du bâtiment. Son avantage : offrir aux professionnels une très grande précision sur leur champ d’intervention, et ainsi éviter les erreurs. “Le numérique s’impose dans un double souci d’optimisation économique et écologique, tout en offrant des gains de productivité et de qualité”, assure Stéphane Marteau, associé au sein de l’agence d’architecture Espace Gaïa à Grenoble.

Du BIM découle la préfabrication 3D des équipements sensibles du bâtiment basse consommation : une ventilation à double flux ou un ballon d’eau chaude dynamique s’intégreront plus facilement dans la construction. Le BIM trouve aussi son intérêt dans l’organisation même du chantier. À l’heure où les besoins de volumes et de mobilité atteignent des niveaux très élevés compte tenu de la complexité croissante des travaux, la maquette numérique fluidifie les interventions. Reste que si beaucoup parient sur la généralisation du numérique à moyen terme, certains s’interrogent : “Le BIM propose de nouvelles méthodes de travail intéressantes, mais il n’est pas certain que la culture française du bâtiment l’intègre très vite, d’autant qu’il constitue un investissement très lourd”, souligne Christophe Gay.

Intelligence et sécurité intérieures

Le bâtiment gagne en intelligence dès sa construction. Il en récupère aussi à travers ses équipements dédiés à la transition écologique. À l’aide de capteurs communicants, il est désormais capable de mesurer toutes sortes de flux, de l’énergie consommée dans chaque pièce à la qualité de l’air intérieur (QAI), par exemple. C’est le métier d’Ethera, à Crolles, qui a développé un kit de mesure QAI portable pour évaluer avec précision dans les ERP (établissements recevant du public) les concentrations en formaldéhyde et en CO2, et fournir des paramètres de confort tels que température, humidité et pression. D’une façon générale, la technologie offre des fonctionnalités croissantes pour un habitat plus sûr, à l’image des solutions domotiques de Delta Dore et de Somfy. Des visions systémiques englobant le confort et l’évolutivité des usages dans la maison enrichissent aussi les offres du secteur. “Il est possible aujourd’hui d’intégrer une éphéméride dans les capteurs pour modifier automatiquement l’ambiance lumineuse de chaque pièce selon le moment de la journée ou la luminosité des écrans télé en fonction de la position des volets. Sans tableau de bord compliqué à actionner : un seul bouton mode j’arrive/je pars agit sur les lumières souhaitées, la température et le ballon d’eau chaude”, dévoile Jean-Christophe Degiorgis. Le dirigeant fondateur de Home Sweet Ohm, à Échirolles, mise notamment sur une offre de système électrique domotique en kit pour les personnes souhaitant s’impliquer elles-mêmes dans la construction ou la rénovation de leur habitat. D’autres entreprises de l’équipement, enfin, installées de longue date, ont réussi à faire de la RT 2012 et des normes de sécurité une opportunité pour lancer de nouveaux produits à haute valeur ajoutée. C’est le cas de Portalp, à Fontaine, spécialisée depuis 60 ans dans les portes automatiques pour les ERP et autres magasins de proximité. “Nous avons récemment lancé une gamme de portes à rupture de ponts thermiques pour améliorer le coefficient U global, en intégrant des isolateurs et des jointements au niveau des profils”, détaille Thierry Deschênes, directeur marketing de Portalp (CA 2015 : 16,4 M€, 78 personnes). Au cœur de l’entreprise a été construit un bureau d’études de 13 personnes pour la R&D et l’amélioration de l’offre existante, que ce soit pour les portes d’hôpitaux (risques bactériologiques) ou les portes coupe-feu.

Se regrouper pour avancer

Le renforcement des réglementations thermiques et de sécurité a donc favorisé la création de start-up innovantes, déjà championnes sur leurs marchés. Ces contraintes ont aussi impulsé au sein des entreprises de la construction et de la rénovation des changements majeurs, générateurs potentiels de rentabilité supérieure. L’innovation technique se heurte toutefois à un contexte économique encore difficile. Elle représente un coût élevé que les PME n’arrivent pas toujours à répercuter. “Les PME locales ne font pas toujours le poids face à de grands groupes nationaux qui s’imposent avec des prix quasi coûtants”, observe Christophe Gay. Pour passer à l’offensive, elles adoptent un nouveau réflexe : réunir leurs compétences. “Nous avons décidé de ne plus regarder passer le train : nous préférons nous partager un marché plutôt que de le voir confié ailleurs”, résume Mathieu Rosset-Boulon, président d’EOS. Ce comportement, assez inédit dans la profession, présente d’autres avantages : “Même si les entreprises font le même métier, chacune défend ses spécificités techniques et des qualifications différentes, d’où l’importance de jouer la complémentarité”, précise Emmanuel Roy. Une solidarité locale, qui facilite l’acquisition de références et permet aux entreprises de trouver leur spécialisation.
R. Gonzalez

 

La fin du polystyrène ?

Parmi les projets innovants labellisés à Grenoble par le pôle de compétitivité Tenerrdis dans le secteur du bâtiment, Parex.IT associe les compétences d’une PME nord-iséroise, Enersens, et de cinq autres entreprises européennes, en partenariat avec le CEA. Le projet consiste à développer un enduit d’isolation thermique par l’extérieur, applicable facilement en machine standard et résistant au feu. Il est susceptible de remplacer le polystyrène expansé sur trois marchés : la réhabilitation thermique des bâtiments anciens, les constructions neuves en brique mono-mur et les constructions neuves ou récentes isolées par l’intérieur.

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