Vers la santé du futur
À la croisée de plusieurs disciplines scientifiques, le secteur grenoblois des biotechnologies et des technologies médicales se distingue par la capacité de ses acteurs à coopérer pour innover sur des marchés d’emblée mondiaux. Tour d’horizon de cette filière d’excellence au travers des portraits de "techchampions" de demain.
À Grenoble, la santé du futur s’élabore dans des start-up et TPE “biotechs” qui travaillent sur le vivant, et dans les “MedTechs” qui développent des dispositifs médicaux (appareils, équipements, logiciels et e-santé). Pour la plupart essaimées de laboratoires de recherche de l’Université Grenoble Alpes, de l’Inserm, du CEA Tech et du CHU, elles lèvent des impasses thérapeutiques, se consacrent à une médecine personnalisée, renforcent l’autonomie des patients et leur maintien à domicile, accompagnent le parcours de soins post-hospitaliers, optimisent la délivrance de médicaments et l’observance des traitements, diminuent les temps d’hospitalisation. Autant d’enjeux majeurs dans un contexte de modernisation, de maîtrise des coûts de santé et de vieillissement de la population. “Le terreau grenoblois est particulièrement fertile”, note Yannick Neuder, vice-président de la Région Auvergne Rhône-Alpes, délégué à l’enseignement supérieur, à la recherche et à l’innovation, chef du pôle Thorax et Vaisseaux au CHU de Grenoble. “Riche d’un passé de coopération entre universités, laboratoires de recherche et industrie, Grenoble a la chance de disposer d’un CHU important, de centres de recherche de renom impliqués dans des partenariats efficaces avec le monde industriel. Il faut aussi souligner l’excellence de l’outil Clinatec, la présence du pôle Minalogic et de formations décloisonnées et multidisciplinaires proposées à Grenoble autour de la santé.”
Un environnement porteur
Sept ans séparent en moyenne l’identification d’un besoin médical et les essais cliniques. L’accompagnement des jeunes pousses de la santé est donc indispensable. L’étape du transfert de technologies est le domaine de la SATT Linksium, de Floralis et de l’incubateur Gate1. Incontournable, le cluster isérois Medic@lps présidé par Vincent Tempelaere, CEO d’Eveon, assure la valorisation de la filière. “Il compte près d’une centaine de membres, majoritairement des TPE”, précise son directeur Grégory Vernier. Au plan régional, le cluster I-care et le Cancéropôle Lyon Auvergne-Rhône-Alpes (CLARA) sont deux structures de référence. Les pôles de compétitivité Lyon Biopôle et Minalogic constituent les portes d’entrée pour le financement de l’innovation. S’y ajoute au niveau européen l’EIT Health, programme d’accélération qui a distingué Grenoble en 2016 en primant A3 Surgical, Cartimage, Imactis, Surgivisio, Uromems, Medimprint, Endodiag et Irlynx dans le cadre de son Business Plan Competition. Les start-up sont pour l’essentiel installées près de leurs partenaires, notamment à Minatec et à Biopolis. La livraison en 2018 du BHT2 de Minatec Entreprises prendra le relais de ces structures aux capacités bientôt saturées. L’accès au marché est conditionné par le marquage CE pour l’Europe, et l’exigeante Food and Drug Administration aux USA. Les critères de remboursement par les systèmes d’assurance maladie sont encore plus stricts et non harmonisés entre pays. “Le développement international peut être accompagné par l’AEPI et par le programme Softlanding USA de Medic@lps, deux structures qui coopèrent dans de nombreux domaines”, précise Gregory Vernier.
Des parcours d’emblée internationaux
Le parcours d’Endocontrol illustre cet environnement porteur. “La société, explique son président Clément Vidal, est née d’un laboratoire de l’Université Grenoble Alpes qui travaillait avec le CHU de Grenoble, ce qui a permis un transfert de savoir-faire échelonné sur plusieurs mois. Nous avons ensuite bénéficié d’une implantation clés en main à Biopolis. Nous avons collaboré avec le CLARA dans le cadre d’un programme Preuve de concept. Le pôle Minalogic nous donne un accès facilité aux Fonds uniques interministériels. Medic@lps nous a aidés en 2015 à mutualiser un recrutement aux États-Unis avec la société Koelis, spécialisée dans l’aide au diagnostic du cancer de la prostate, dont les clients urologues sont aussi potentiellement nos clients. Une première vente au Mass General Hospital de Boston constitue une belle vitrine à l’international. ”
Grenoble compte également des industriels de premier plan (Roche Diagnostics, Biomérieux, Fresenius Vial, Becton Dickinson, Trixell, Tornier…) avec lesquels l’écosystème de santé collabore et innove. ARaymondlife et le CEA-Leti ont ainsi annoncé le développement de nouveaux systèmes d’analyse d’échantillons biologiques “au chevet du patient”, tandis que STMicroelectronics fournira les composants électroniques de la plate-forme créée par Eveon pour préparer et administrer des médicaments biologiques.
De la cellule à la gestion des biobanques
L’un des champs des biotechs est le stade préclinique de candidats médicaments. C’est le domaine de Cytoo pour les maladies des muscles, de Synapcell pour l’épilepsie et les pathologies du cerveau, ou de Genel en cancérologie et vieillissement de la peau. PX’Therapeutics produit des protéines pour des applications cliniques en infectiologie, allergie, maladies auto-immunes… Les biobanques jouent un rôle essentiel pour la recherche et le diagnostic clinique, notamment en médecine personnalisée. Avec des filiales sur trois continents, Technidata, éditeur de logiciels dont le siège est basé à Montbonnot, est un acteur de référence pour la gestion des laboratoires d’analyses médicales, mais aussi le spécialiste mondial des logiciels de gestion des biobanques. Doté d’une expertise reconnue dans le domaine, Technidata innove constamment pour conserver son avance. “L’Institute of Medical Biology, le prestigieux centre de recherche de Singapour, a choisi la solution TDBioBank de Technidata pour informatiser ses trois laboratoires de recherche spécialisés dans la génétique, les cellules de la peau et les cellules souches”, explique Christophe Guitart-Arnau, responsable produit.
La technique du vide sauve des vies
Des ruptures technologiques remarquables voient le jour à Grenoble. Rhéonova utilise ainsi pour étudier les sécrétions bronchiques la rhéologie, science de la matière en écoulement, et développe avec le CHU de Lyon un dispositif médical pour le diagnostic et le traitement de maladies respiratoires. Le dispositif médical d’Hemosquid, inventé au CHU de Grenoble par le professeur Dominique Blin, peut arrêter en quelques secondes une hémorragie chirurgicale. Son application à l’hémorragie du post-partum, première cause de mortalité maternelle, devrait sauver des milliers de vies. Cette société incubée à Gate 1, implantée à Inovallée et lauréate du réseau Isère Entreprendre, est un “pur produit grenoblois”, commente le président d’Hemosquid, François Urvoy. Tout aussi étonnantes, certaines innovations reproduisent les fonctionnalités humaines, tel le capteur de pression textile de Texisense qui prévient les escarres en jouant le rôle d’une seconde peau sensitive, ou encore Neose, le nez électronique équipé de nanocapteurs d’Aryballe Technologies.
L’Internet des objets gagne la santé
Réunies sous le terme e-santé, les technologies digitales appliquées à la santé apportent de nombreux bénéfices. Ainsi, Stiplastics élabore avec l’éditeur de logiciels e-santé La Valériane et l’Institut avignonnais Sainte-Catherine une solution connectée sans équivalent en Europe qui pilotera à distance la prise d’anticancéreux par voie orale d’ici 2020. Autre projet remarquable, le pancréas artificiel de Diabeloop, mis sur le marché fin 2017. Il reproduit les fonctions du pancréas grâce à un capteur de glycémie qui envoie les données à un terminal, la dose d’insuline à envoyer à la pompe connectée et déterminée par un algorithme, et l’analyse des données permet d’affiner le traitement. Le diagnostic in vitro devient lui aussi connecté avec le LabPad® d’Avalun, laboratoire portable d’analyses biologiques. Certaines innovations sont à la frontière de l’internet des objets. Apitrak, par exemple, qui géolocalise le matériel circulant dans les hôpitaux (brancards, chariots, fauteuils…) via des balises “plug and play” et un site web, pourrait à l’avenir étendre sa technologie aux dispositifs médicaux, confie le fondateur et CEO Vincent Lê. “Les applications e-santé grand public se multiplient et posent la question de la sécurisation des données”, alerte Nathalie Devillier, docteur en droit, professeur associé à GEM. Elle souligne que les seniors représentent un marché considérable, notamment pour les applications sur mobiles, mais constituent un public vulnérable, distinguant toutefois les seniors actifs de ceux qui s’équipent en raison d’une perte d’autonomie ou qui, atteints de maladies dégénératives, sont équipés par des tiers. La chercheuse grenobloise pointe aussi des avancées : l’adoption par le Parlement européen le 14 avril 2016 d’un règlement sur la protection des données, applicable d’ici 2018, et la récente mais forte prise en compte de cette problématique dans les appels à projets européens.
La chirurgie de demain sera mini-invasive
Grenoble est mondialement connue pour les Gestes médicaux chirurgicaux assistés par ordinateur (GMCAO). “Nous devons ce leadership au rôle moteur du CHU de Grenoble et de ses praticiens”, explique Stéphane Lavallée. Spécialiste de ce domaine et serial créateur, il est président d’Orthotaxy (robotique), de MinMaxMedical (technologies innovantes) et de Surgivisio, qui vient de réaliser une levée de fonds de 3,29 millions d’euros en vue d’industrialiser son système de navigation 2D/3D. Il a co-fondé Hemosquid, A3 Surgical, qui propose des solutions de réalité augmentée pour l’arthroscopie de la hanche, Imactis, spécialiste de la radiologie interventionnelle assistée par ordinateur, et Uromems, qui met au point un sphincter artificiel visant à améliorer la vie de milliers de patients atteints d’incontinence urinaire sévère. Il a également créé Bizmedtech, un accélérateur qui fournit aux start-up un accompagnement sur mesure (qualité, réglementation, informatique, ressources humaines, rédaction de contrats internationaux…) dont les 11 sociétés membres totalisent déjà 80 emplois. Par ailleurs, les industriels nationaux de la GMCAO collaborent avec les chercheurs et les cliniciens dans le cadre du centre d’excellence ECCAMI, initié par l’UJF, le CHU de Grenoble et le CNRS. Parmi les entreprises florissantes, la société Fluoptics dirigée par Odile Allard, élue femme chef d’entreprise de l’année 2015 par Présences, annonce une croissance record de 80 % consolidée par une nouvelle levée de fonds de 530 000 euros. Son système d’Imagerie de fluorescence pour l’aide à la chirurgie est désormais utilisé dans 16 pays.
Des collectivités engagées
Grenoble Alpes Métropole et le Département de l’Isère soutiennent activement la filière. Un changement d’échelle est toutefois en cours avec la loi NOTRe qui renforce la compétence économique de la Région au 1er janvier 2017. “La Région, précise Yannick Neuder, invite les pôles de santé de Grenoble, Lyon-Saint-Étienne et Clermont-Ferrand, leurs quatre CHU et leurs chercheurs à jouer la complémentarité pour passer de l’innovation au laboratoire, puis au lit du patient. Sa stratégie s’inscrit dans les axes de travail des Quatre moteurs pour l’Europe et de la plate-forme européenne Esther (Emerging and Strategic Technology for Healthcare). Le vice-président souligne aussi l’intérêt du démonstrateur Autonom@dom dans une région qui compte 187 000 personnes en perte d’autonomie. Le Département de l’Isère et ses partenaires testent ce bouquet de services humains et technologiques sur quatre territoires isérois pilotes. Des projets structurants s’annoncent pour la filière. Développement 38 étudie la construction de la Cité des technologies médicales près du CHU. À plus long terme, le Centre de recherche en santé intégrative inscrit au contrat de plan État-Région 2015-2020 accueillera sur 10 000 m2 des équipes de recherche, des plates-formes technologiques et des espaces de formation. Autre projet mobilisateur, la première édition de MEDFIT, convention d’affaires dédiée aux partenariats d’innovation, se tiendra les 28 et 29 juin 2017 à Grenoble. Les organisateurs Medic@lps, Eurasanté et le pôle de compétitivité NSL attendent 600 acteurs internationaux.Enfin, la synergie déjà forte entre les acteurs de la santé et du numérique devrait encore se consolider. La nouvelle alliance French Tech in the Alps est en effet impliquée dans #Health Tech, l’un des neuf réseaux thématiques nationaux lancés le 25 juillet 2016. Ensemble, ces projets serviront la visibilité internationale et l’accélération des partenariats d’innovation de l’écosystème de santé grenoblois.
M.-C. Myard
A savoir
Monde : 172 milliards d'euros, + 10 % par an
Europe : 60 milliards d'euros, 575 000 emplois, 25 000 entreprises
France : 21 milliards d'euros, 1 100 entreprises, 65 000 emplois directs
Rhône-Alpes concentre avec l'Île-de-France 80 % des emplois
Isère : 33 biotechs, 140 medtechs
Sources : programme Esther, Medic@lps, AEPI
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