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Industrie - Innovation - Accueil — Le 25 mars 2019

Nano 2022 : la “reconquête industrielle”

Le 15 mars, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, a lancé le Plan Nano 2022 à Crolles. Un programme ambitieux marquant une volonté de reconquête industrielle, à l’échelle européenne. Les géants de la filière à Grenoble – STMicroelectronics, Soitec, Ulis-Sofradir, le CEA-Leti – s’en emparent pour investir massivement. Décryptage et enjeux.

Autour de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, venu lancé le plan Nano 2022 (et de gauche à droite) : Jean-Marc Chéry, président du directoire et directeur général de STMicroelectronics, Emmanuel Sabonnadière, directeur du CEA-Leti, Christophe Maleville, directeur de la BU digital electronics de Soitec, Jean-François Delepeau, président du groupe Sofradir et Ulis, Cyril Menon, directeur des opérations industrielles de Soitec et Thierry Tingaud, président du comité stratégique de filière « Industrie électronique » © Ministère de l’Économie et des Finances

Répondre aux besoins des marchés de l’automobile, des communications 5G, des objets connectés et de l’intelligence artificielle, avec des solutions françaises et européennes… tel est l’enjeu de Nano 2022, le volet français du projet européen de soutien à la filière microélectronique, lancé ce 15 mars à Crolles par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances. Car la 4e révolution industrielle est en marche ; elle connaît même une vive accélération : en 2017, le marché mondial des composants électroniques a atteint 412 Md$, soit une progression de +22 % en un an ! Apporter des solutions européennes devient un enjeu majeur de souveraineté, comme l’a récemment illustré le conflit entre USA et Chine à propos de la 5G. “Il n’y a plus de souveraineté politique sans souveraineté technologique”, a soutenu Bruno Le Maire devant les industriels, les chercheurs et les élus du territoire.

Une première à l’échelle européenne

C’est pour relever ce défi qu’en 2018, l’Allemagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni ont défendu auprès de la Commission européenne un projet de soutien public (PIIEC, Projet important d’intérêt européen commun) à hauteur de 1,75 Md€, pour financer la recherche et l’innovation dans le domaine de la microélectronique. Il vient abonder près de 6 Md€ d’investissements, à l’initiative de 29 acteurs industriels et deux grands centres de recherche en Europe. Ce plan a été autorisé par la Commission le 18 décembre dernier. “Il marque une rupture dans l’approche européenne. Jusqu’à présent, les grands plans supportaient essentiellement la recherche. Or il intègre ici les investissements jusqu’aux phases de développement et de pré-industrialisation”, relève José Beriot, vice-président des opérations spéciales de Soitec. L’Europe tient compte des montants considérables, toujours plus élevés, requis par la mise en production des technologies de rupture. Elle tire aussi enseignement d’un phénomène trop souvent constaté depuis les années quatre-vingt-dix : l’implantation d’usines sur d’autres continents offrant des conditions plus favorables, afin de minimiser la prise de risque industrielle. Il s’agit d’un véritable renversement de doctrine, visant à favoriser le maintien d’usines et la création d’emplois industriels en Europe.

La 4e révolution industrielle en ligne de mire

Le feu vert de Bruxelles a été obtenu pour un dispositif ambitieux. Après Nano 2012, Nano 2017, Nano 2022 a donc été présenté par l’État français ce 15 mars. Le ministre Bruno Le Maire en a donné la portée : “J’estime que ce Plan Nano 2022 est une étape historique dans la reconquête industrielle de la nation française.” L’enveloppe de financement public dépasse 1 Md€, venant en appui aux 5 Md€ d’investissement engagés par les industriels et le CEA-Leti. Avec une place prépondérante pour les acteurs grenoblois, situés aux avant-postes de cette 4e révolution industrielle. Jean-Marc Chéry, président du directoire et directeur général de STMicroelectronics, dont le site de Crolles accueillait la cérémonie, en a témoigné : “Chaque année, nous consacrons 16 % de notre chiffre d’affaires en R&D, propriété intellectuelle et conception de produits. Depuis trois ans, STMicroelectronics réinvestit, en moyenne et par an, 75 % du cash généré par ses activités. Nous allons continuer ! En 2019, c’est entre 1,2 et 1,3 Md$ qui seront investis pour améliorer notre outil industriel, augmenter nos capacités. Nous initions trois grands programmes stratégiques [...] dont un, ici à Crolles, dédié aux capteurs d’images spécialisés.” Les salariés de ST France seront fortement mobilisés par les programmes de Nano 2022, “soit l’équivalent, par an, de plus de 1 100 personnes hautement qualifiées travaillant sur les différents projets de R&D et de pré-industrialisation”.

Emmanuel Sabonnadière (CEA-Leti), Paul Boudre (Soitec), Jean-Marc Chéry (STMicroelectronics), trois acteurs à l'origine d'une technologie devenue standard mondial.
Emmanuel Sabonnadière (CEA-Leti), Paul Boudre (Soitec), Jean-Marc Chéry (STMicroelectronics)

Des impacts considérables pour la filière grenobloise

Pour Jean Vaylet, président de la CCI de Grenoble, cela ne fait aucun doute, “les opportunités sont réelles pour Grenoble. La filière mondiale connaît des cycles, mais il est toujours nécessaire d’investir des montants très importants pour conserver un leadership international”. Ulis-Sofradir (1 000 collaborateurs ; siège à Veurey) a confirmé un projet d’investissement de 150 M€ sur cinq ans, dans le cadre du plan Nano 2022, pour développer des détecteurs infrarouges de nouvelle génération. “Ces investissements permettent de créer 300 emplois directs à l’horizon 2030, auxquels vont s’ajouter environ 500 emplois indirects”, a déclaré Jean-François Delepeau, président du groupe. Soitec (CA : 310 M€, 1 100 personnes), après l’augmentation des capacités de production à Bernin 1, Bernin 2 et Singapour, anticipe déjà une extension Bernin 3, directement reliée à Nano 2022.

Le leader mondial des matériaux semi-conducteurs est sur une vague de plus de 200 recrutements menés en deux ans, tirant parti des technologies issues des précédents plans Nano 2012 et Nano 2017. Nano 2022 représentera “la mobilisation de 400 emplois en France sur des travaux de R&D et de première industrialisation, et la construction de nouvelles lignes de fabrication, à Bernin, avec des investissements de plusieurs centaines de millions sur cinq ans”. Par ailleurs, l’acquisition récente réalisée par Soitec et MBDA, Dolphin Integration (160 collaborateurs à Meylan), opérant dans le design des puces, formalise actuellement sa feuille de route Nano 2022. La société, dirigée depuis janvier par Philippe Berger, a le potentiel de multiplier par trois son chiffre d’affaires, en croissance organique, d’ici quatre ans.

Les quatre programmes structurants du CEA-Leti

Autre acteur clé concerné : le CEA-Leti (1 900 chercheurs, budget : 330 M€ ; 3 000 brevets, 700 publications par an ; 65 start-up créées). Créé il y a 50 ans, il s’impose aujourd’hui comme le partenaire R&D de tous les industriels chefs de file de Nano 2022. Selon François Jacq, administrateur général du CEA, “il continuera, grâce à Nano 2022, d’investir à hauteur de 120 M€ pour délivrer une R&D au niveau requis par les industriels, et mobilisera chaque année plusieurs centaines de personnes dans ses équipes pour répondre à leurs besoins de R&D ”. Emmanuel Sabonnadière, directeur du CEA-Leti, mesure les avancées et retombées des grands plans nationaux : “Au moment de Nano 2017, la microélectronique se cherchait, la loi de Moore trouvait ses limites et la course à la miniaturisation butait sur le nœud 28 nanomètres. Le CEA-Leti a alors joué un rôle crucial, en faisant aboutir, avec Soitec, la technologie FD-SOI et avec STMicroelectronics, les applications ‘More than Moore’. Cela a ensuite permis de bâtir un environnement techno-industriel nécessaire à la commercialisation de ces deux domaines, avec succès. De plus, une nouvelle architecture de transistors a marqué un cap décisif dans l’efficacité énergétique et la miniaturisation des composants.” Les prochaines étapes ? “Pour répondre aux enjeux de Nano 2022, nous lançons cette année quatre grands programmes structurants et transversaux, avec le calcul quantique, l’intelligence artificielle embarquée, les systèmes cyberphysiques pour le Lidar intégré et la 5G digitale.” Dans le domaine de l’intelligence artificielle embarquée, une nouvelle collaboration s’ouvre en Europe entre le CEA-Leti, les instituts Fraunhofer en Allemagne, et l’Imec en Belgique. “Nos domaines d’excellence respectifs présentent le meilleur de la technologie mondiale. Ils permettent de couvrir tous les grands domaines d’applications stratégiques pour l’Europe : smartphones, automobile, datacenters, santé, industrie 4.0… Ensemble, nous préparerons déjà Nano 2027.”

Renouer avec “une grande ambition industrielle”

Le rôle du CEA, du pôle de compétitivité Minalogic (586 projets financés à hauteur de 881 M€, pour une enveloppe globale d’investissement de 2,2 Md€), le soutien de l’État, des collectivités, et de l’ensemble des acteurs du financement ont été cruciaux pour faire émerger, ici à Grenoble, un écosystème de rang mondial. En dix ans, des acteurs comme STMicroelectronics, Soitec, Ulis-Sofradir, ont considérablement renforcé leur leadership et leur croissance. Derrière ces leaders, un nombre important de start-up et d’entreprises technologiques s’apprêtent à prendre la relève. Il ne s’agit rien de moins que de fournir, demain, les composants que l’on retrouvera dans tous les objets du quotidien, les appareils grand public et les solutions de stockage de l’énergie. “Notre écosystème se différencie par deux facteurs : une habitude de collaboration réelle, reconnue dans le monde entier, et une capacité à sortir des technologies de rang mondial, analyse Isabelle Guillaume, déléguée générale du pôle de compétitivité. Et grâce à Silicon Europe, Minalogic a la capacité à connecter les acteurs au niveau européen pour leurs projets collaboratifs”, ajoute celle qui a été en 2017 présidente de l’alliance des 12 clusters du numérique et de l’électronique, sur le continent.

L’heure est historique, les défis immenses : entre 2000 et 2015, près d’un million d’emplois ont été perdus en France. L’hémorragie est stoppée depuis 2017, mais la nécessité d’une prise de conscience et de mesures volontaires demeure. Le 15 mars, le ministre de l’Économie annonçait ainsi deux nouveaux plans européens en préparation, l’un concernant la filière des batteries électriques (des matériaux sources au recyclage), le second l’intelligence artificielle. Deux autres secteurs qui intéressent pleinement le territoire et le CEA via, cette fois, le CEA-Liten, le CEA-Leti (Grenoble) et le CEA-List (Saclay).
É. Ballery

Infos clés

Nano 2022 lance “la première filière industrielle européenne de nouvelle génération”

Grenoble, avec plus de 30 000 emplois dans la filière, est directement concerné

Le défi est de savoir si les nations européennes accompliront cette 4e révolution industrielle !

Plan Nano 2022, en bref
• Plus de 5 Md€ de travaux et d’investissements portés par les industriels et le CEA
• 885 M€ apportés par l’État, 230 M€ par les collectivités territoriales et la Commission européenne
• Création de 4 000 emplois directs, 8 000 emplois indirects
• 7 chefs de file industriels : STMicroelectronics, Soitec, Ulis-Sofradir, Murata, UMS, X-Fab
• Un centre de recherche : le CEA-Leti
• Une centaine de partenaires en France
• Cinq domaines concernés : les composants numériques à basse consommation, les composants de puissance, les capteurs intelligents, les équipements de fabrication, les technologies composites
• Marchés visés : automobile, communications 5G, objets connectés, intelligence artificielle embarquée, aérospatial, sécurité.
Chiffres clés de l’industrie microélectronique
• En France :
- 1 100 entreprises avec une activité de production
- 100 000 salariés, et 150 000 emplois induits
- CA : 15 Md€, dont 80 % à l’export
- Plusieurs acteurs dans le top 50 mondial
- 8 000 chercheurs
- Un écosystème de recherche au meilleur niveau international

• En région grenobloise
- Un tiers des emplois français dans la fabrication de composants
- 13 Md€ investis depuis 2002
- Des leaders mondiaux : STMicroelectronics, Soitec, Ulis-Sofradir…
- La filière compte parmi les cinq pôles mondiaux du secteur, de la recherche aux secteurs applicatifs

Sources : DGE, FIEEC, Région

 

 

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