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Industrie - Innovation - Accueil — Le 25 mars 2019

Ces entreprises de technologies qui inventent l’avenir de l’industrie

La région grenobloise se distingue par des entreprises de haute technologie à forte croissance. Quelles applications de rupture proposent-elles ? Comment préparent-elles l’industrie de demain ? Pleins feux sur une épopée enthousiasmante, racontée par ceux qui en sont les auteurs !

© Soitec

Elles sont trois, à elles seules, à résumer le potentiel de transformation de l’industrie à Grenoble. Toutes trois ont la capacité à atteindre au moins 100 M€ de chiffre d’affaires dans les années 2020. Elles sont les futurs Soitec, Ulis-Sofradir qui, dans les années quatre-vingt-dix, ont valorisé des technologies issues du CEA-Leti, pour se projeter dans le monde très compétitif de la high-tech et acquérir un positionnement de leader international. Ces trois sociétés sont Isorg, Kalray et Aledia.

Des technologies nécessitant des dizaines de millions d’euros d’investissement

Ces trois entreprises ont en commun une “deep tech” : l’électronique imprimée pour Isorg, les processeurs intelligents et de haute puissance pour Kalray, les leds 3D pour Aledia. Créées à la fin des années 2000 ou début des années 2010, elles ont déjà levé des dizaines de millions d’euros. Elles s’apprêtent à répondre, avec des solutions de rupture, aux défis présentés par les véhicules autonomes, l’intelligence artificielle embarquée, la réalité augmentée, les nouvelles générations d’objets communicants et smartphones générés par l’arrivée de la 5G. Avant cela, elles ont dû traverser la fameuse “vallée de la mort”, l’étape de tous les périls, “lorsque le développement devient trop intensif en capital et trop spécifique pour continuer à être porté par les acteurs académiques, et encore trop risqué pour que les industriels engagent les investissements nécessaires”, décrit le CEA. Face à des marchés encore immatures pour des technologies aussi avancées, elles ont plusieurs fois revu leur feuille de route, leurs premières applications cibles, sans jamais perdre de vue l’horizon du développement industriel.

Une vision de “capitaines d’industrie”

Ces trois entreprises s’apprêtent à passer au stade de la production, selon un modèle fabless pour Kalray, et une fabrication partiellement intégrée pour Isorg et Aledia. “Avec un investissement industriel de 20 M€ à Limoges, nous sommes en mesure de générer 200 M€ de chiffre d’affaires. D’ici cinq ans, nous allons devoir envisager une autre implantation en France ou à l’étranger. En parallèle, nous négocions des accords avec des partenaires industriels en Asie pour être en mesure de servir toute la demande”, annonce Jean-Yves Gomez, CEO d’Isorg. Qui confie, dans un enthousiasme communicant : “J’ai la passion de l’industrie !Quand on part d’une feuille blanche comme nous l’avons fait en 2010, on passe par beaucoup de joies, de montées d’adrénaline et de frustrations. Mais rien n’est plus satisfaisant que de vivre cette aventure de pionnier avec les jeunes qui nous entourent !”

Des entreprises en phase d’accélération

Cette période d’exaltation est partagée par Giorgio Anania. Le PDG et cofondateur d’Aledia, avec Xavier Hugon et Philippe Gilet, a déjà mené une start-up au deuxième rang mondial des composants optiques pour les réseaux des télécommunications, entre 1998 et 2007. Depuis 2011, il préside aux destinées d’Aledia. Sa technologie des leds 3D améliore d’un facteur 10 000 la brillance des écrans et augmente leur efficacité énergétique. Elle s’apprête à irriguer le marché des écrans pour ordinateurs et smartphones. Entre cinq et dix ans, c’est le marché de la réalité augmentée qu’il faudra conquérir. “D’ici là, il faudra lever 150 M€ pour financer la R&D. Un tel montant est difficile à mobiliser à Europe, surtout quand il subsiste encore un risque technologique. Mais on le trouvera d’une façon ou d’une autre !”, sourit le dirigeant italo-américain. Avant d’affirmer, plus grave : “Il faut absolument rapatrier des macromarchés industriels en Europe ! Celui que nous visons est déjà évalué à 40Md$ au niveau mondial, et 130 Md$ d’ici quelques années. Bien sûr, nous ne sommes pas seuls, et des acteurs des leds 2D essaient aussi de se tailler une place. Certains ont déjà réuni 200 M€ de capital pour créer des usines en concurrence indirecte avec nous. Mais notre technologie présente de vrais avantages ! Si nous allons vite, nous avons des chances raisonnables de prendre des positions fortes.” À deux ans, voire deux années et demie de l’exploitation, Aledia vise plusieurs centaines de millions de chiffre d’affaires.

Des ambitions mondiales

Derrière ces trois entreprises emblématiques, bien d’autres start-up quittent le statut de sociétés prometteuses, pour acquérir une taille significative et une vraie crédibilité sur leur marché. Greenwaves Technologies (Villard-Bonnot ; 22 personnes), développe des processeurs ultra-basse consommation dédiés aux applications d’intelligence artificielle de l’Internet des objets. Son premier produit, GAP8, améliore l’efficacité énergétique d’un facteur 20. “Nos processeurs permettent par exemple d’analyser des images fournies par un capteur ou un radar alimenté par une pile, avec des années d’autonomie, pour reconnaître des visages ou des gestes. Nous nous appuyons sur un projet open source issu de l’ETH Zurich et de l’université de Bologne. Nos premiers clients prévoient de partir en production dès la phase de qualification de GAP8, fixée en juillet prochain, et beaucoup de prospects sont dans les startingblocks. Nous envisageons de produire rapidement plusieurs millions d’unités chez le fondeur taïwanais TSMC”, dévoile Loïc Lietar, CEO de l’entreprise. En février dernier, la société a annoncé une levée de fonds de 7 M€ réalisée auprès de Huami, numéro un mondial des wearables (montres et bracelets connectés), de Soitec et d’un troisième investisseur. Elle permettra de finaliser l’étape d’industrialisation de GAP8 et de développer la prochaine génération de produits.

Miser sur les nouveaux matériaux

À son tour, la société Exagan ne manquera pas de faire parler d’elle. L’entreprise a été fondée en 2014 par deux anciens collaborateurs de Soitec, Frédéric Dupont et Fabrice Letertre. Sa création résulte de 15 années de recherche sur un nouveau matériau : le nitrure de gallium, intrinsèquement dix fois plus performant que le silicium pour certaines applications. “Ce matériau présente des caractéristiques clés pour l’électronique de puissance. Demain, grâce à notre technologie, il sera possible d’alimenter des PC, des téléphones, avec des chargeurs ‘intelligents’. Trois fois plus puissants et plus petits, ils seront capables, via une prise USB type C, de reconnaître le type d’appareil raccordé et de fournir exactement l’énergie nécessaire, pour une charge plus rapide et plus efficace sur le plan énergétique. Tout cela au moyen d’un seul câble, quel que soit le périphérique utilisé !”, décrit Frédéric Dupont.

Le choix d’un modèle industriel

La société vient de s’implanter à Taïwan pour ouvrir un centre d’application et de ventes, visant à déployer ses solutions sur les marchés mondiaux. En potentiel s’ouvre l’accès à un marché de cinq milliards de périphériques dotés d’une prise USB type C en 2021, selon les prévisions de l’analyste IHS Markit… “Exagan n’a pas vocation à rester une start-up, mais à grimper dans le top 3 mondial des composants GaN à haute performance, offrant des solutions facilement intégrables à l’électronique solaire, l’industrie,l’automobile, l’informatique”, précise Frédéric Dupont. La société prépare actuellement une levée de fonds pour créer une usine en région grenobloise dédiée à la fabrication du matériau GaN. Un partenariat avec l’Allemand X-Fab (Dresde ; 3 800 collaborateurs) a été conclu en vue de produire les plaquettes GaN sur silicium. L’assemblage et le packaging sont, eux, réalisés en Asie. “Notre site industriel français a vocation à se concentrer sur l’essentiel de la valeur ajoutée. Il contribuera à créer des emplois directs et indirects à Grenoble, avec une activité réalisée à 95 % à l’export.”

Un “pipe” de start-up très fourni

Autres sociétés toujours très suivies : ISKN, incubée depuis 2010 au CEA, créée en février 2014, et dont la Slate, “l’ardoise magique” aux 22 brevets, associe la puissance d’une tablette numérique au confort de l’écriture sur papier. Ou encore Primo 1D (encapsulation de microsystèmes électroniques dans les textiles et matériaux fibreux), dont la dernière levée de fonds de 6 M€ s’accompagne de l’entrée au capital de Michelin Ventures. Du côté de la santé, la région grenobloise frappe fort également. Avec, là encore, des sociétés essaimées du CEA à très fort potentiel, comme Diabeloop (système personnalisé de gestion automatisée du diabète de type 1 adapté aux enfants), Avalun (dispositif portable de diagnostic in vitro), Fluoptics (imagerie de fluorescence)…

Le rôle d’intégrateur du CEA

Mais quel est donc le secret de la région grenobloise ? Jean-Yves Gomez, CEO d’Isorg, est catégorique : “Dans l’écosystème, notre atout clé est la présence du CEA. Sans cet acteur structurant, il n’y aurait pas autant de deep tech à Grenoble.” Il est vrai qu’en 20 ans, le CEA, grâce à une stratégie de valorisation des technologies, a participé à la création de 204 start-up, dont 75 % relèvent des technologies de rupture. Celles-ci sont déjà à l’origine de milliers d’emplois et de véritables filières industrielles, comme la technologie SOI (silicium sur isolant) développée par Soitec. “Parmi elles, 76 sociétés ont levé des fonds, pour un montant total proche d’un milliard d’euros au fil des années. 2018 s’est révélée particulièrement fructueuse, avec 150 M€ levés au total, dont 125 M€ par cinq sociétés (Kalray, Aledia, Isorg, Diabeloop, ISKN), précise Emmanuel Sabonnadière, directeur du CEA-Leti. Et les niveaux d’investissement des fonds reliés aux CEA représentent environ 10 % des montants globaux, ce qui démontre l’effet de levier de nos outils stratégiques d’accompagnement.”

Le rôle de l’écosystème d’innovation

Le CEA propose d’autres atouts spécifiques, comme l’intervention sur toute la chaîne de la valorisation : détection des technologies de rupture prometteuses, propriété intellectuelle, incubation (incluant la prise en charge du salaire du fondateur pendant une durée maximum de 18 mois et l’attribution d’un prêt d’honneur), investissement en phase d’amorçage, accès aux plates-formes des laboratoires, hébergement… jusqu’aux contacts avec un réseau d’industriels partenaires. Soit une somme de compétences, de savoir-faire, de moyens disponibles inouïe, dans des secteurs hautement sensibles pour organiser la relève dans l’industrie. La région grenobloise peut encore compter sur toutes les ressources offertes par les pôles de compétitivité Minalogic, Tenerrdis, Lyonbiopôle, par le réseau French Tech in the Alps et, demain, le futur institut d’interdisciplinaire d’intelligence artificielle.

"Fabrice Letertre et Frédéric Dupont, fondateurs d'Exagan, préparent une levée de fonds pour créer un site industriel à Grenoble." © P. Jayet
Fabrice Letertre et Frédéric Dupont, fondateurs d'Exagan, préparent une levée de fonds pour créer un site industriel à Grenoble

Des financements disponibles

L’alignement des financements, avec des interventions possibles tout au long de cette longue chaîne, constitue un autre facteur favorable, inédit en France. Des acteurs comme Bpifrance, les banques, les sociétés de capital-risque, les business angels, ou même les collectivités structurent leurs actions dans ce domaine. Bpifrance a ainsi annoncé vouloir investir 1,3 Md€ entre 2019 et 2023 dans des start-up deep tech (dont 1 Md€ issu du Programme des investissements d’avenir).“Au début des années 2000, il y avait encore un gap énorme entre la France et les États-Unis. Nous avons tout, désormais, pour faire le show en France !”, interpelle Hervé Ribot, directeur technique micro/nano/électronique du pôle Minalogic. “Les moyens d’amorçage ont quadruplé en l’espace de quatre ans, passant de 1 Md€ à 4 Md€ en 2018. Le taux de progression est considérable”, confirme Gilles Talbotier, président de la Satt Linksium.

Réindustrialiser à partir des technologies présentes dans les labos

La Satt Linksium, créée en 2014 à Grenoble, opère aussi du côté de la valorisation de la recherche. C’est même la raison d’être des 14 Sociétés d’accélération du transfert de technologies créées en France, qui fédèrent les équipes de 160 établissements de recherche publique. Pour réaliser leur mission, elles bénéficient d’un fonds de 856 M€ parmi les 30 milliards du Grand emprunt. “À Grenoble, huit projets sur dix maturés et incubés chez nous débouchent sur une création d’entreprise, quand la proportion est plus proche de 50/50 au niveau national. De plus, 70 % des projets concernent l’industrie, avec une création tangible d’un site industriel, détaille Gilles Talbotier. En ce sens, nous sommes en phase avec nos deux piliers : réindustrialisation et promotion de nouveaux modèles de croissance respectueux de l’être humain.”

Imprimante 3 D pour micro-pièces…

Microlight 3D, notamment, a suivi ce parcours d’incubation. La société spécialisée dans les machines de micro-impression 3D haute résolution, a été fondée en 2016 après 15 années de recherche à l’Université Grenoble Alpes. En mars dernier, elle a lancé une imprimante 3D compacte, destinée à produire des micro-pièces complexes avec une résolution inférieure au micron ! “Les applications sont cruciales dans le monde de la pharmacie et des laboratoires. Notre imprimante AltrapinTM permettra d’étudier des développements de cellules, de tester l’efficacité de traitements sur une tumeur, de produire des patchs de peau pour réaliser des autogreffes, pour ne citer que quelques exemples dans le domaine de la santé”, témoigne son dirigeant, Denis Barbier. L’entreprise (siège à La Tronche ; 5 personnes) aura la capacité de produire des centaines de machines dans les prochaines années, exportées dans le monde entier. “Nous évoluons pour l’instant encore sur un marché de niche. Notre chiffre d’affaires – 500 k€ en 2018 – résulte de contacts pris en 2017. Or ceux-ci ont doublé en 2018 et pourraient décupler en 2019. Notre société est maintenant sur la rampe de lancement !” Microlight 3D a également bénéficié du soutien de Bpifrance et de Grenoble-Alpes Métropole dans le cadre d’un projet FUI.

Tous les acteurs grenoblois se déclarent confiants dans la capacité de la France à renouer avec son Adn industriel, autour des nouvelles technologies. “Nous devons avoir à l’esprit de ne pas créer les jobs d’hier, mais ceux du futur”, affirme Giorgio Anania. “Je ne connais rien d’aussi passionnant”, ajoute Jean-Yves Gomez. Mais pour réussir ce défi, les dirigeants aspirent à ce qu’une “envie d’industrie” renaisse chez les jeunes générations.
É. Ballery

Infos clés

“Il faut absolument rapatrier des macro-marchés industriels en Europe”

Exagan vise le top 3 mondial des composants GaN à haute performance

Près de 3 Md€ ont été levés par les start-up françaises en 2017, avec un nombre d’opérations en hausse de 45 % (Bpifrance)

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