La saga des Éditions Glénat
Après 50 années de créations et d’aventures éditoriales, l’épopée se poursuit. Aux côtés de Jacques Glénat, fondateur et inspirateur des collections, Marion Corveler Glénat, sa fille, assure la direction adjointe des Éditions. Une belle histoire entrepreneuriale et familiale, marquée dernièrement par l’ouverture au public du cabinet Rembrandt.
Pourquoi l’acquisition, par le Fonds Glénat, de gravures de Rembrandt ?
Jacques Glénat : Parce que l’art de la gravure précède la BD. Les 72 œuvres acquises par le Fonds constituent la plus belle collection des gravures de Rembrandt en France. Nous les exposons dans des conditions très strictes au parloir des nonnes. Elles nous racontent, comme la BD aujourd’hui, des histoires de vie quotidienne – morale, religion, famille… – en Hollande au XVIIe siècle. À l’époque, Rembrandt était plus connu pour ses gravures, diffusées dans toute l’Europe, que pour ses peintures.
Marion Corveler Glénat : La moitié de ces acquisitions ont été retenues pour une première exposition, ouverte depuis le 18 avril au public grenoblois et aux visiteurs extérieurs. On vient de loin, sur des créneaux horaires bien précis, pour les découvrir…
Si vous étiez un héros de bande dessinée, qui seriez-vous ?
MCG : Mafalda…
JG : Sans hésiter, Titeuf. Ce personnage, créé par Zep, a révolutionné la BD. Il s’est imposé comme un anti-héros, fils d’un papa au chômage disant plein de gros mots à la récré et éprouvant le monde tel qu’il est. D’ailleurs, hors Glénat, aucun éditeur n’en a voulu en 1993. C’est pourtant devenu l’un des plus grands succès de la BD, avec 21 millions d’albums vendus en Europe. Zep a inspiré une nouvelle vague d’auteurs et de héros pour la BD jeunesse, que nous avons rassemblés dans un magazine vendu en kiosques, Tchô en 1998, puis SuperTchô, en 2018. Parmi eux, je citerais Lou (Julien Neel), Mamette (Nob) ou encore Captain Biceps (Zep et Tebo)…
Depuis le succès de ce courant, quels autres événements retenir ?
JG : Au début des années 2000, nous avons inventé sans le savoir la BD ésotérique, devenue un genre à part entière. Puis en 2014, les Éditions Glénat ont démarré Les grandes collections, de 30 volumes chacune sur des thèmes très variés : “Ils ont fait l’histoire”, en coédition avec Fayard, “La sagesse des mythes”, série dirigée par Luc Ferry, ou encore “Les grands peintres, Les grandes batailles navales”… Et plus récemment, Vinifera en 2018, qui ouvre, avec la Revue du vin de France, un portrait des grandes régions viticoles. En 2019, nous lançons la collection consacrée à 30 papes (sur 266 au total) qui ont fait l’histoire de l’Occident, enrichie par l’expertise de Bernard Lecomte, spécialiste de l’histoire politique et religieuse, et en partenariat avec les Éditions du Cerf. Quatre tomes sortiront cette année.
Le phénomène des séries s’impose en BD…
JG : Exactement ! La série présente l’intérêt de fournir au public un rendez-vous régulier avec son libraire, de faire travailler de nombreux auteurs, dont certains deviennent des vedettes. Nos collections historiques ont aussi l’ambition d’entrer dans les écoles, les musées, les sites de patrimoine… Et d’exporter : la série Un pape dans l’histoire est traduite en polonais, italien, espagnol, portugais… Nous imprimons d’emblée en plusieurs langues pour nos partenaires étrangers. Une autre série à succès, qui figure en bonne place dans les bibliothèques, est celle produite pour le journal Le Monde, Les grands personnages de l’histoire en bandes dessinées, parue à 1,8 million d’exemplaires ! La plupart des lecteurs ne rateraient un numéro sous aucun prétexte. Cela est inconcevable aux États-Unis. Les Américains sont beaucoup plus addicts à leur tablette. Ils n’ont pas cette culture de la BD haut de gamme, réalisée par des auteurs de talent et associant de grands universitaires. Le Japon est sur un modèle encore différent : des mangas en très grandes séries – jusqu’à 90 tomes – produites en 3 millions d’exemplaires, chaque semaine. C’est par exemple la recette du Dragon Ball, qui connaît un succès mondial et que nous avons été les premiers à diffuser en France.
MCG : Les dernières années ont aussi été celles de la reprise de plusieurs maisons d’édition. Après Vents d’Ouest en 1991, les éditions Atlas en 1999, connues notamment pour les contes de Marlène Jobert, nous avons été sollicités pour reprendre des maisons spécialisées, par exemple les guides de randonnée ou les supports d’éveil des Éditions Quatre Fleuves, en 2018.Cet éditeur produit notamment les petits livres en tissu ou pour le bain, et le best-seller international La Couleur des émotions, de l’auteure catalane Anna Llenas. De fait, les Éditions Glénat s’affirment maintenant comme un multispécialiste, couvrant cinq grands domaines : la BD, les comics et les mangas – coeur de métier où nous sommes leader en parts de marchés – les livres jeunesse, puis les beaux livres consacrés à la mer, la montagne, la gastronomie…
JG : Savez-vous que nous sommes devenus leader du livre de grands chefs étoilés ? Nous en avons plus de 100 en collection. Le dernier consacré à Mathieu Pacaud, paru fin 2018, s’impose comme une œuvre d’art de 800 pages, 6 kilos, 350 recettes et 1 000 photos d’une qualité inouïe…
Comment évolue le marché de l’édition ?
MCG : Sur un marché en croissance lente, nous avons réalisé en 2017 une progression de 5 %, et obtenu en 2018 notre meilleur chiffre d’affaires de ventes, à 100 M€.
JG : Notre activité est clairement tirée par les BD et les mangas, auprès des 8-15 ans notamment. Mais comme la BD fonctionne bien, beaucoup d’éditeurs s’y sont mis. De fait, le marché est saturé de nouveautés. Elles sont passées de 500 à 5 000 par an en France et n’ont plus vraiment le temps de s’installer. Cette surproduction génère davantage de semi-échecs que de succès. Deux titres Glénat, réalisés par des jeunes auteurs, ont l’année dernière remporté un premier prix du Festival d’Angoulême et nous avons manqué de stocks. À l’inverse, nous investissons parfois dans des œuvres qui ne rencontrent pas leur public. Comme tout éditeur, nous aimerions connaître le secret de l’alchimie. Face à cette incertitude, notre ligne conductrice, depuis nos débuts, est d’être fiers de ce que l’on publie !
É. Ballery.
Infos clés
- Création : 1969
- Siège : Couvent Sainte-Cécile à Grenoble
- Bureaux à Paris : accueil des auteurs, création, marketing, promotion, publicité…
- Effectif : 165
- 15 % de parts de marché de la BD française
- 800 nouveautés par an
- 2 000 auteurs, 12 000 titres en collection.
- CA des ventes 2018 : 100 M€
A savoir
- La BD, ma sœur, mon frère et moi sommes nés dedans !
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