L’hôtel Grandes Rousses prend deux ailes à l’Alpe d’Huez
Patricia Grelot-Collomb, quatrième génération d’hébergeur à l’Alpe d’Huez et présidente du club hôtelier, marque une étape décisive en ajoutant deux extensions à l’hôtel existant. Un aménagement qui s’accompagne d’une vision innovante, “pour un futur économiquement prospère et écologiquement responsable”. Interview.
Pourquoi ce projet d’extension ?
Notre famille a toujours été en avance sur son temps : elle a fondé l’hôtellerie de montagne avant même la naissance des sports d’hiver, tracé des routes là où il n’y en avait pas, utilisé l’énergie solaire dès 1976… L’histoire a démarré avec mon arrière-grand-père, Joseph Colomb. Enfant de l’assistance, il arrive en 1902 à Huez avec quelques chèvres. Il crée rapidement un premier café, L’Espérance Colomb, et ouvre à l’étage un lieu où peuvent dormir les skieurs, chauffé par la bergerie du rez-de-chaussée. Il ajoute un second “l” à son nom et transforme en 1911 ces premières installations en un hôtel de 15 chambres. En 1928, Léandre Collomb, son fils, achète le premier autocar pour transporter les skieurs, tandis que Clotaire, son frère – et mon grand-père – modernise l’hôtel en apportant eau courante et chauffage central. Clotaire est une figure marquante du développement de la station. Avec son ami et client Joseph Paganon, ministre des Travaux publics, il fait construire en quelques mois la route moderne aux 21 lacets entre Bourg-d’Oisans et l’alpage. Clotaire est aussi à l’origine du premier syndicat d’initiative, du “ski club des Grandes Rousses”, de la Sata en 1958. Dès 1959, la station est classée parmi les grandes stations de ski françaises…
Vous n’étiez pas destinée, au départ, à reprendre les rênes…
Pas du tout ! Diplômée en mécanique quantique et physique nucléaire à Grenoble, je suis partie préparer un MBA à Chicago à la fin des années quatre-vingt. J’ai travaillé ensuite pour de grandes entreprises à Paris, et j’ai rejoint la direction générale d’une agence de conseil en marketing fondée par mon mari Yannick Grelot. L’hôtel Grandes Rousses a été construit par mon père Hubert sur son emplacement actuel, en 1954. Son décès prématuré, en 1982, a contraint ma mère à gérer seule l’établissement, ce qu’elle fera jusqu’à plus de 70 ans… L’affaire familiale me rattrape une première fois en 2000 pour une remise aux normes de l’établissement. En 2003, les exigences de l’hôtel devenant trop lourdes, j’en fais construire un plus petit, avec 12 chambres, pour que ma mère continue d’accueillir des clients, pendant que Les Grandes Rousses sont confiées à un locataire gérant. En 2012, je découvre la situation chaotique laissée par le gérant. J’ai alors tout repris en direct, ce qui signifiait remettre l’hôtel en état, reconstruire une équipe, repenser la gestion, le management… Dans cette situation critique, les banques m’ont soutenue et les collectivités territoriales ont accompagné les investissements. Chaque année, des tranches de travaux ont été lancées : rénovation des chambres, du bar, du lobby, relance du restaurant L’Espérance, création du spa… En 2016, nous avons décroché une quatrième étoile et, grâce au travail de toute l’équipe, l’exploitation est redevenue bénéficiaire. Les services – ski-shop intégré, navette privée, voituriers, bagagistes – sont maintenant dignes d’un 5 étoiles.
La capacité d’hébergement double dès cet hiver avec l’extension...
La première aile comprendra 45 chambres et suites supplémentaires, la deuxième propose 57 appartements privatifs, commercialisés par deux promoteurs partenaires, Xavier Hacq et Jacques Blanchard. L’aménagement réalisé dans un style chalet, très qualitatif, épouse la pente et participe à la montée en gamme de la station. Au centre, nous créons une terrasse de 350 m2, avec piscine extérieure chauffée, jacuzzi et spa nordique, et un troisième restaurant skis aux pieds, La Ferme d’Hubert… En surplomb, quatre chalets de 250 m2 sont aussi construits, dont deux commercialisés et deux autres exploités par l’hôtel, loués en totalité ou à la chambre. Nous avons imaginé avec mon mari un concept d’installations modulaires. Les salles peuvent accueillir des séminaires entreprises jusqu’à 200 personnes, des mariages et banqueting de 500 personnes hors saison scolaire, ou bien elles se transforment en salles de jeux pour enfants, de home cinéma, de coworking pour les familles. Les salles de sous commissions sont aussi modifiables en suites familiales.
Quel est le sens de ces aménagements ?
La saisonnalité de l’activité oblige à penser les installations pour des clientèles différentes, en offrant “le bon service au bon moment au bon client ”. Par ailleurs, les vacances de ski sont très exclusives – seuls 8 % des Français partent à la montagne l’hiver – et ils ne doivent pas être déçus. Il en va de même pour la clientèle étrangère. Cela suppose de comprendre l’évolution des besoins et de monter en gamme. La qualité doit se ressentir dans tous les points de contact entre les clients et la station. Une étape importante a été franchie avec l’accueil du festival Tomorrowland Winter, dont l’apport en termes de visibilité internationale était celle rêvée depuis des années. Et dans le même temps, on ne peut plus dissocier la notion de tourisme en montagne de celle de la préservation de l’environnement…
Comment cet axe se traduit-il ?
En tant que scientifique, l’innovation fait partie de mon ADN. Quand j’étais enfant, dans les années soixante-dix, mon père me faisait déjà participer à des expérimentations de chauffage solaire. Aujourd’hui, j’installe la plus importante centrale de chauffe à granulés bois des Alpes, fournissant eau chaude sanitaire, chauffage de 10 000 m2 de bâtiments et de trois piscines, avec l’aide de l’Ademe. L’amenuisement de la ressource “Neige et glaciers”, doit aussi nous faire bouger. Les études OCDE montrent qu’avec 2 °C de plus, 80 % des stations de ski ne seront plus enneigées d’ici 10 à 15 ans.
Dans ce contexte, quelle peut être la carte à jouer ?
Du fait d’hivers plus chaotiques, l’été, qui représente 30 % de notre activité actuellement, doit devenir le fondement de l’économie des stations. En 1915, mon arrière-grand-père proposait déjà aux citadins “des cures d’air pur et de lait”. Moins de voyages longue distance crée aussi l’opportunité d’attirer des clientèles plus locales et plus conscientes. À nous de trouver créativité et inspiration ! Une première étape pourrait consister à lancer un Makerthon de l’innovation et du développement durable pour imaginer ce tourisme de demain. Le projet devrait voir le jour l’été 2020, en collaboration avec la commune d’Huez, GEM, le pôle scientifique et le Crédit Agricole Sud Rhône Alpes. Mon rêve serait que l’Alpe d’Huez se transforme en un champ d’expérimentation pour tendre vers l’autonomie énergétique et nutritionnelle, et un terrain de jeu des entreprises liées à la tech et à la montagne.
É. Ballery
Infos clés
- Hôtel Grandes Rousses
- Hiver 2019-2020 (après extension) : 106 chambres et suites, 2 chalets, 3 restaurants, 2 bars à thème, spa et piscine extérieure chauffée.
- Effectif : 120 personnes (CDI et CDD saisonniers)
- Hiver 2018-2019 : 15 000 nuitées (40 % clientèle étrangère)
- Saison été : 30 % de l’activité
- Investissement : 30 M€€
A savoir
- L’Alpe d’Huez peut devenir un Palo Alto permanent pour imaginer la montagne de demain !
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