Immobilier : l’état des lieux
Impacts de la loi Élan, des mesures réglementaires et fiscales sur l’immobilier, attractivité des investissements locatifs… les professionnels du secteur alternent entre coups de froid et coups de chaud. Quel bilan dressent-ils ? Quelles prévisions font-ils en fonction des territoires, des produits proposés et des évolutions envisagées ? Le point sur une activité encore dynamique mais fragile, directement reliée au niveau de confiance des acquéreurs.
Avec 970 000 transactions immobilières réalisées au cours de l’année 2018 en France, le volume des ventes dans l’ancien culmine à un niveau jamais atteint depuis le début des années 2000. Le nombre de ventes dans l’ancien s’établit en effet à 788 000 en moyenne, sur la période comprise entre 2000 et 2019, selon la Banque de France. “Aucun des paramètres connus à ce jour ne laisse entrevoir un risque de décrochage à court terme : les taux d’intérêt, fondamentalement et historiquement faibles, solvabilisent les acquéreurs et permettent à ceux qui étaient auparavant sortis du marché de l’accession de s’y projeter à nouveau, souligne la note de conjoncture des Notaires de France éditée en avril dernier. L’immobilier demeure une valeur refuge, qui ne connaît que peu d’équivalents.”
Des prix médians qui cachent de grandes disparités
Deux autres indicateurs clés sont à retenir. En fin d’année 2018, l’encours des crédits immobiliers des particuliers a franchi pour la première fois la barre des 1 000 milliards d’euros. Une vague portée par les taux bas. Déjà considérés comme faibles en 2018, ils ont atteint un niveau plancher, à 1,29 % sur une durée de 20 ans, en juin dernier.
Par ailleurs, la hausse des prix de l’immobilier en France apparaît relativement contenue, à 3,2 % en 2018. Avec toutefois, et c’est la nouveauté de ces deux dernières années, de grandes disparités.
“Bien que trop souvent annoncés comme en forte hausse, les prix demeurent généralement stables, voire en baisse ; les tendances haussières de l’Île-de-France et de quelques métropoles régionales (Nantes, Rennes, Lyon, Bordeaux, pour l’essentiel), ne résument pas le marché national. Il est, à ce titre, intéressant de constater qu’au global, et depuis mi-2018, la tendance haussière des prix des appartements ne concerne même pas la moitié des appartements (45 % en hausse, contre 40 % en baisse et 15 % stables)”, relève le conseil supérieur du notariat.
Un marché “fluide et dynamique”
La région grenobloise se distingue peu de cet ensemble. Le volume des transactions se stabilise à haut niveau et génère une solide activité pour les professionnels. “L’immobilier reste attractif, grâce à des taux d’emprunt qui facilitent l’accès à la propriété pour les primo-accédants, et à une évolution des prix dans l’ancien très contenue sur Grenoble. Ces deux phénomènes contribuent à alimenter la dynamique : une affaire qui entre dans nos agences, située au prix du marché, ressort très vite”, confirme Vincent Delaunois, président de la Fnaim. Une tendance également confortée par les facteurs démographiques : “La population continue d’augmenter légèrement mais, surtout, la décohabitation, due notamment aux couples qui se séparent, se poursuit. Ce phénomène alimente la demande pour les logements de deux à quatre pièces quand, dans le même temps, les seniors quittent le leur de plus en plus tard.”
La fin de l’envol des prix en Isère
Cette tension rejaillit toutefois peu sur les prix puisque, entre 2008 et 2018, les acquéreurs, dans l’ancien, ont pu réaliser de vrais gains de pouvoir d’achat.
“En Isère, cette progression est très importante sur le collectif, avec un gain de 55 % : en 2018, pour une mensualité de 800 euros par mois sur 20 ans, il est possible de financer jusqu’à 76 m2, contre 49 m2 en 2008", affirmait ainsi maître Philippe Wuthrich, président de la chambre des notaires de l’Isère, en mars lors de la présentation du dernier Observatoire de l’immobilier.
Ceci grâce aux politiques de taux faibles, et à une évolution des prix moyens au mètre carré revenue dans la norme en région grenobloise, contrastant avec la flambée constatée entre 1998 et 2008 (Grenoble se hissait alors en 5e position des villes les plus chères de France en 2008, loin de sa 16e place au classement des communes par nombre d’habitants). Une tendance qui favorise les primo-accédants : “Le marché reste soutenu par des acquéreurs plutôt jeunes (âgés de 30 à 39 ans), qui représentent 31 % des parts de marché”, évoque encore le président de la chambre des notaires.
Les cas particuliers de la montagne et du Grésivaudan
Quelques spécificités se distinguent toutefois : l’immobilier de montagne, notamment à l’Alpe d’Huez, où les prix du neuf s’approchent des prix au mètre carré à Paris, et le prix moyen des biens (4 160 €/m2) est presque le double de Grenoble. Avec, là encore, une rupture par rapport à ce qui a fait le succès de la montagne dans les années 1980 à 2000 : “Le prix au mètre carré a tendance à baisser avec l’augmentation de la surface. C’est l’inverse en montagne, où l’on trouve une offre importante de studios cabines qui ne correspond plus à la demande. Du coup, le prix des deux à trois pièces, beaucoup plus rares et très recherchés par les familles, flambe”, observe maître Aurélie Bouvier, déléguée à la communication auprès de la chambre des notaires de l’Isère.
Autre phénomène : l’existence d’un “parcours résidentiel” dans le Grésivaudan : sur ce secteur où l’activité économique est dynamique, “les acquéreurs commencent par acheter un appartement. Pour ensuite atteindre le Graal qui est l’achat d’une maison et, plus encore, l’achat d’un terrain à bâtir afin d’édifier la maison de ses rêves. Puis, l’âge avançant, on retourne vers un appartement pour des raisons de commodité”, analyse maître Marc Dubois. Tout cela en restant ancré sur le même territoire.
Modération des prix sur l’immobilier neuf
Du côté du neuf, le mouvement est beaucoup plus mesuré. Au niveau national, les autorisations de logements collectifs ont reculé de 9 % entre mai 2018 et avril 2019, et même de 15 % en Auvergne-Rhône-Alpes. “L’effet n’est pas nouveau et s’observe chaque année avant les élections”, soutient Olivier Gallais, président de la FPI (fédération des promoteurs immobiliers) Alpes. “En région grenobloise, la demande est constante, mais à un volume et un niveau de prix assez bas au regard de la puissance économique du territoire. Un point est à relever : l’importance des stocks, équivalents à 21 mois, qui pèse sur les prix.”
De même, la part des investisseurs dans l’achat du neuf, à 32 %, est considérée comme peu élevée. “Les messages sur l’encadrement des loyers exercent un effet dissuasif, alors même que l’évolution des loyers reste sage à Grenoble. Dans ce contexte, les investisseurs ont tendance à se concentrer sur la Presqu’Île à Grenoble. Ici, la proximité du CEA, de grandes entreprises et du tram garantit une demande forte de location pour des logements situés entre T1 et T3.” Le Grésivaudan ressort également comme une valeur sûre, avec toutefois des constructions limitées en volume.
L’attrait du placement immobilier en question
Côté investisseurs, en effet, l’engouement des Français pour la pierre ne se dément pas, encouragé par des taux d’intérêt bas, et le faible rendement des autres actifs. Et pourtant, le resserrement des contraintes pesant sur les propriétaires, le poids de la fiscalité et, de façon symbolique, le remplacement en 2017 de l’ISF par l’IFI (impôt sur la fortune immobilière), constituent autant de marqueurs perçus comme “stigmatisants” pour les bailleurs. “Beaucoup de propriétaires le sont devenus en investissant le fruit de leur travail, et bien peu d’entre eux sont rentiers, constate maître Aurélie Bouvier. Ceux qui investissent contribuent aussi à apporter un toit à des populations qui ne peuvent ou ne souhaitent pas acheter à un moment de leur vie. S’ils ne le font pas, qui le fera ? Toute la population française n’est pas éligible à un logement social”, défend-elle Une partie des propriétaires ont d’ailleurs quitté le champ hyper réglementé du bail locatif pour rejoindre celui, totalement dérégulé, de la location courte durée commercialisée par les plateformes Internet. Un choix encouragé de façon indirecte par les taux de fiscalité locale, élevés en région grenobloise. “Quand l’impôt foncier représente l’équivalent de deux à trois mois de loyer, contre un seul à Paris ou à Lyon, cela joue directement sur l’attractivité de l’investissement immobilier et la capacité des bailleurs à financer des travaux de rénovation”, souligne Vincent Delaunois.
Engager la rénovation énergétique
Côté rénovation, le dispositif mur/mur, initié par la Métropole dès 2010 a permis, en deux vagues, de soutenir la rénovation énergétique ou thermique des copropriétés. Plus de 6 000 logements en ont déjà bénéficié. Mais de façon plus directe, les notaires militent pour une refonte des règles de l’urbanisme et de la fiscalité pour que “les copropriétés deviennent actrices de leur rénovation sans solliciter des subventions publiques”. Ils défendent en parallèle un rééquilibrage des relations entre propriétaires locataires, et des relations entre vendeurs et acquéreurs, afin de rétablir un plus juste niveau de protection juridique entre les différentes parties. Tout en se félicitant de l’amélioration du traitement du contentieux de l’urbanisme apporté par la loi Élan, concernant notamment la réduction des délais d’instruction des recours contre les opérations de construction.
Mouvements dans le logement social
Le parc de logements sociaux représente, lui, un peu moins de 20 % du parc total de logements en France. La Loi Elan transforme en profondeur le secteur, en imposant les regroupements pour tout organisme gérant moins de 12 000 logements. Sur le territoire de la Métropole, l’OPH Actis et la SEM Grenoble Habitat (16 500 logements accueillant près de 10 % des habitants) projettent de réaliser leur fusion d’ici janvier 2020. Objectifs : préserver leurs capacités d’investissement et de production, avec 300 nouveaux logements sociaux par an (contre 150 envisagés sans la fusion), 350 logements en accession chaque année d’ici 2023, et 2 000 logements réhabilités sur 10 ans.
Louer en confiance
Améliorer les relations entre propriétaires et locataires est précisément l’objet du rapport Nogal, remis par le député Mickaël Nogal au gouvernement, en juin dernier. Parmi ses “37 propositions pour louer en confiance” : déléguer aux agents immobiliers la garantie des versements de loyer, la prise en charge des impayés et des dégradations, dans le but de sécuriser les propriétaires et d’alléger le système des cautions pour le locataire. Et confier le dépôt de garantie à un organisme agréé, ainsi que cela se pratique au Royaume-Uni, afin de réduire les situations de litige. Autant de questions qui, après les premières évolutions apportées par la loi Élan (voir encadré),récurrente, de l’encadrement des loyers, face aux hausses constantes relevées à Paris et dans certaines métropoles. Les professionnels le confirment : la santé du marché de l’immobilier est directement corrélée à la conjoncture économique et au dynamisme de l’emploi. Quand, à ces deux facteurs, s’ajoute celui des taux d’emprunt historiquement bas, tous les ingrédients sont réunis pour un emballement du secteur. Pour la première fois depuis 10 ans, les statistiques montraient fin juin un arrêt de la dégradation des prix en milieu rural, marqueur d’une déconnexion entre grandes villes et périphérie. Sursaut momentané ? Phénomène durable ? Entre défense des droits respectifs des locataires, des propriétaires et velléités réglementaires, l’immobilier, secteur d’intérêt stratégique mais à la mécanique fragile, continue d’entretenir des débats passionnés.
É. Ballery
Les principales mesures de la loi Élan
(Loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique)
Construire plus, mieux et moins cher • Abattement fiscal sur les plus-value pour la vente de terrains en zone tendue afin d’accélérer la libération du foncier • Pas de nouvelle norme technique dans la construction et simplification des normes existantes • Mieux encadrer les recours dans les contentieux d’urbanisme Répondre aux besoins de chacun • Création d’un bail mobilité - Contrat de location de courte durée d’un logement meublé (durée maximale de 10 mois non renouvelables) - Destiné aux étudiants et aux personnes en situation de mobilité (mutation professionnelle, en mission temporaire, etc.) - Charges locatives versées sous la forme d’un forfait - Pas de déclaration ou autorisation administrative pour le propriétaire - Pas de dépôt de garantie pour le locataire - Pas de clause de solidarité entre les colocataires ou leurs cautions • Construction de 80 000 logements pour les jeunes actifs et les étudiants • Mobilité dans le parc social • Dispositif expérimental d’encadrement des loyers pour les zones tendues Améliorer le cadre de vie
Améliorer le cadre de vie • Doublement du programme de renouvellement urbain, de 5 à 10 Md€ • Contractualisation avec les villes moyennes et centres-bourgs pour dynamiser les territoires • Généralisation des logements connectés • Rénovation des logements pour éradiquer les bâtiments énergivores et mal isolés” |
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