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Industrie — Le 26 octobre 2016

Énergie de demain : Grenoble relève les défis

Au croisement de la production, du stockage et de la distribution d’énergie, les smart grids mobilisent de nombreux acteurs locaux. Quelles sont les applications futures et les perspectives de marchés ? Comment Grenoble s’affirme-t-elle, discrètement mais sûrement, comme capitale de la transition énergétique ?

© Fotolia

Le dernier Learning Grid, lancé conjointement par la CCI de Grenoble et Schneider Electric le 15 septembre, éclaire sur l’importance des enjeux. En créant un réseau local intelligent entre les bâtiments de l’Institut des métiers et des techniques, le projet vise non seulement à réduire les dépenses énergétiques d’un grand équipement de formation (2 400 élèves) mais aussi à mettre en place un système expérimental de pilotage de l’énergie et un support pédagogique sur l’éco-responsabilité. Cette initiative pose un nouveau jalon dans le développement des smart grids en région grenobloise. Elle fait suite aux quatres années d’expérimentations durant lesquelles le démonstrateur GreenLys a fédéré l’ensemble des acteurs de l’énergie à Grenoble et Lyon. Il s’agissait, à l’invitation de l’Ademe, de tester à l’échelle urbaine différentes solutions destinées à optimiser le réseau électrique de demain. S’y sont investis Enedis, Engie, GEG, Schneider Electric, Grenoble INP, Atos Worldgrid, le CEA-Liten et RTE notamment, avec l’appui des deux métropoles. Chacun des partenaires a mis en œuvre ses compétences, apportant ainsi des réponses concrètes pour l’avenir. 

Des contraintes à dépasser

L’avenir ? Il commence dès aujourd’hui : le changement climatique et l’avènement des énergies renouvelables bouleversent la donne. “Tous les acteurs du secteur, à tous les niveaux, s’engagent pour se transformer. C’est ici que s’inscrivent, à l’échelle industrielle, les réseaux intelligents et les procédés de stockage de l’énergie, notamment”, explique Olivier Cateura, chargé de mission Innovation au sein du pôle de compétitivité Tenerrdis, à Grenoble. Parce que la disponibilité des énergies renouvelables reste fluctuante – liée aux conditions météo – leur injection dans le réseau tel qu’il existe actuellement peut entraîner d’importants déséquilibres. “Alors qu’aujourd’hui encore, avec les énergies fossiles, la consommation conditionne la production d’électricité, le schéma s’inverse avec les énergies renouvelables. Une grande partie de l’innovation consiste à résoudre cette problématique”, précise Florent Cadoux, responsable de lachaire de recherche sur les smart grids, chaire bilatérale Enedis – Grenoble INP lancée il y a trois ans.
 

Contributeurs d’intelligence

Les smart grids trouvent dans la région grenobloise un terreau particulièrement fertile. Une dynamique industrielle largement adossée à l’hydroélectricité et à l’identité numérique très forte, qui ont favorisé la création d’une filière aux perspectives prometteuses. “C’est un marché très vaste, confirme François Borghèse, responsable smart grids au sein de Schneider Electric. De la production au transport et à la distribution, chaque métier est en mesure de contribuer à l’intelligence de l’énergie. Nous devons également veiller à apporter des solutions pour encourager l’adéquation entre production et consommation.” Le groupe mondial spécialisé dans la gestion de l’énergie a lancé il y a quatre ans le projet StruxureWare, plateforme de pilotage énergétique sur la partie “aval compteur”. StruxureWare propose aux sites tertiaires et industriels d’accroître leur flexibilité énergétique, réduire leur facture et contribuer en même temps à l’équilibre du réseau. À l’échelle des logements aussi, Schneider Electric structure son offre. En particulier avec la solution Wiser, une technologie sans fil qui permet de piloter l’énergie de sa maison. Wiser a notamment été validée sur le démonstrateur GreenLys, auprès des 400 résidentiels grenoblois et lyonnais ayant accepté de participer au projet. 
 

Pilotage et interprétation

Les grands projets structurants engagés sur le long terme sont menés par RTE pour le transport et Enedis pour la distribution et les opérations de comptage. C’est donc essentiellement sur la partie aval des réseaux et au niveau de la consommation que les start-up se mobilisent, en innovant tant d’un point de vue technologique que du côté des services pour l’usager. Nombreuses sont celles qui se concentrent sur les interfaces de pilotage et l’interprétation de données. C’est le cas de Vesta System, dont la solution Vesta Energy invite l’occupant d’un bâtiment tertiaire à contrôler son confort depuis son smartphone, tout comme elle offre au résident d’un éco-quartier des conseils et des services variés, accessibles à distance.

De son côté, Halias s’adresse aux industriels et bureaux d’ingénierie. L’entreprise meylanaise conçoit des logiciels pour accroître l’efficacité de la production d’énergie des grands opérateurs, EDF ou GE Renewable Energy notamment, tout en intégrant ses propres solutions pour ses clients. “Nous intervenons par exemple là où l’installation de nouveaux process de production nécessite beaucoup de calcul, au niveau de la machine elle-même ou de manière centralisée type cloud, pour une utilisation plus efficace des ressources”, explique Laurent Testard, directeur opérationnel et fondateur d’Halias.

D’autres entreprises, plus anciennement créées, profitent de l’essor des smart grids pour valoriser un savoir-faire actualisé. À Villard-de-Lans, Atim radiocommunications est spécialisée depuis 20 ans dans les solutions sans fil : “La gestion intelligente de l’énergie représente 10 à 15 % de notre chiffre d’affaires”, détaille son gérant Francis Raimbert. L’entreprise mène actuellement plusieurs projets de R&D avec les pôles de compétitivité Minalogic et Tenerrdis. Elle est notamment impliquée aux côtés d’EDF, pour la partie transmission radio, sur le projet “Smart Hydro Monitoring”, destiné à détecter les dérives de performance des machines hydrauliques sur les barrages. Avec ses capteurs et ses boîtiers intégrés, Atim Radiocommunications accompagne aussi les hôtels Accor dans un programme de maintenance prédictive sur la VMC des établissements.
 

Le défi du stockage

L’une des problématiques clés qu’éclairent les smart grids concerne le stockage de l’électricité : “C’est l’un des sujets majeurs d’investigation où beaucoup de progrès restent à accomplir”, pointe Florent Cadoux. De nombreuses start-up locales ont choisi d’investir ce champ en utilisant la ressource hydrogène. Essaimée du CEA-LitenSylfen développe la solution “Smart Energy Hub” : un système capable d’assurer à tout instant la production d’énergie électrique et thermique (cogénération) et le stockage de son surplus sous forme d’hydrogène. “Nous mettons en œuvre une technologie réversible, qui fonctionne soit comme une pile à combustible, soit comme un électrolyseur”, détaille Nicolas Bardi, fondateur de Sylfen. Une technologie développée durant dix ans dans les labos du CEA, et pour laquelle la start-up dispose d’une licence exclusive d’un portefeuille de 22 brevets.

En interaction avec les grands acteurs de l’énergie : Engie, Air LiquideIdex et EDF, Sylfen s’adresse aux maîtres d’ouvrage de bâtiments tertiaires, en neuf comme en rénovation. Lauréate de la deuxième édition du Concours mondial de l’innovation, l’entreprise trouve un soutien précieux auprès de KIC InnoEnergy, société européenne d’accompagnement à l’innovation dans les énergies durables, installée à la Presqu’Île. Vecteur énergétique à très fort potentiel en Auvergne-Rhône-Alpes, l’hydrogène s’ouvre aujourd’hui à de multiples applications, depuis le stockage de l’énergie aux véhicules électriques dotés de la pile à combustible. McPhy Energy installe ces jours-ci à Sarreguemines la première station française pour véhicules électriques dotée d’une chaîne complète “énergie propre”, reliée à un électrolyseur lui-même alimenté à 100 % par des énergies renouvelables. Aux côtés du CEA, McPhy Energy s’implique parallèlement dans la plateforme expérimentale Paglia Orba, en Corse, visant à vérifier comment les solutions de stockage peuvent contribuer à stabiliser un réseau électrique alimenté par l’énergie solaire.


Des solutions déjà exportables

Ces start-up grenobloises engagées dans le secteur de l’énergie dessinent aussi des ambitions d’emblée internationales. Ainsi Waga Energy, à Meylan, vise la valorisation des ordures ménagères d’une partie de la planète. L’entreprise, notamment cofondée par deux anciens ingénieurs d’Air Liquide (où la solution a été d’abord développée), a imaginé des unités d’épuration du biogaz produit par les sites de stockage de déchets. Destiné à remplacer le gaz d’origine fossile, ce biométhane propre peut être valorisé de deux manières : alimenter les réseaux de gaz naturel ou servir de carburant pour la nouvelle mobilité. Une innovation reconnue : Waga Energy a remporté plusieurs prix, dont celui de la start-up de l’année 2016 pour la région Auvergne-Rhône-Alpes décerné par le cabinet d’audit EY et L’Express.

Bladetips Energy fait aussi partie de ces jeunes pousses locales décidées à chambouler les schémas de production d’énergie renouvelable. Incubée au sein de Linksium, elle a mis au point un drone éolien offshore, susceptible de remplacer les éoliennes classiques en mer. Son fondateur, Rogelio Lozano, parie non seulement sur une efficacité énergétique supérieure, grâce à une importante diminution de la déperdition le long des pales et des mâts, mais aussi sur la légèreté et l’esthétique : “Il faut savoir que l’acier de cinq éoliennes offshore et leurs flotteurs pèse autant que celui de la tour Eiffel. Quand l’envergure des pales d’éoliennes atteint 40 mètres, les nôtres ne dépassent pas 13 mètres.” Soutenus par l’Ademe et Tenerrdis, les “cerfs-volants” de Bladetips Energy ont déjà fait forte impression au Sommet mondial de l’énergie d’Abu Dhabi. 
 

Prendre en compte les besoins réels

La transition énergétique se joue aussi à l’échelle microlocale. De jeunes entreprises s’efforcent d’associer leur savoir-faire à la révolution en marche, comme Horus Systems, à Quaix-en-Chartreuse, qui s’est spécialisée dans des solutions de pilotage de l’énergie adaptées à chacun. “Une petite commune n’a pas accès à tous les outils haut de gamme, coûteux à l’achat et au déploiement”, fait remarquer Dominique Paquier, gérant d’Horus. En collaboration avec des fabricants, l’entreprise fournit notamment des systèmes de gestion de leds qui “prennent en compte le besoin réel du client, quelle que soit sa taille”. Elle a récemment équipé des centres sportifs communaux, des stades, mais aussi des plateformes industrielles et logistiques, ainsi que des péages d’autoroute.

Ainsi les smart grids posent-elles un défi ultime : tant d’innovations technologiques ne sauraient atteindre leur cible, une fois mises en œuvre, si les usagers eux-mêmes ne modifiaient leur comportement. “Le consomm’acteur devient un acteur clé de la filière, assure Olivier Cateura, de Tenerrdis. Le comportement de l’usager vis-à-vis des équipements qui lui sont proposés et sa capacité à s’engager lui-même dans les initiatives de production, de partage et de revente de l’énergie, seront déterminants dans le futur.” C’est le paradigme de l’Enernet, mouvement de décentralisation massive de production et de maîtrise de l’énergie renouvelable, qui doit tirer les entreprises grenobloises du secteur vers les marchés du futur et la création d’emplois.
R. Gonzalez

Infos clés

Grenoble rassemble de nombreuses start-up positionnées sur la gestion ou le stockage de l'énergie

L'écosystème grenoblois bénéficie de la présence du CEA et de KIC InnoEnergy

Les smart grids constituent un défi à la fois technologique et sociétal

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